« King Kasaï », l’éléphant fétiche de l’Africa Muséum, un livre signé Christophe Boltanski, est le dernier titre d’une jeune et prometteuse collection de chez « Stock ». Son principe est de recueillir le témoignage d’un écrivain invité par l’éditeur à passer une nuit au sein d’un musée ou autre grande institution patrimoniale. L’écrivain Christophe Boltanski s’est immergé à Bruxelles dans les entrailles de l’Africa Museum de Tervuren, vaste musée consacré à l’Afrique noire et notamment à la RDC (Congo).
Une chronique de Christian Labrande
En ouverture de ce passionnant petit ouvrage, l’auteur rappelle la singulière histoire de cette institution. Nous sommes dans les années 1880 et Leopold II deuxième roi des Belges s’ennuie dans un royaume où il se sent à l’étroit. Vers quelle partie du monde porter ses envies coloniales ? Le souverain arrive un peu tard, car l’essentiel du « magot territorial » de par le vaste monde a déjà été raflé par les petits copains occidentaux.
Leopold II en père Ubu
Toutefois, jetant son dévolu sur une carte de L’Afrique une béance lui saute aux yeux. Une tâche blanche, immaculée située au centre d’un continent encore plein d’inconnus. Boltanski poursuit un récit fascinant où Léopold II tient le rôle d’une sorte de père Ubu (la pièce de Jarry est d’ailleurs contemporaine) en quête de divertissement ou de Dictateur de Chaplin jouant avec sa mappemonde .
Or, rappelle Boltanski « En 1885 lors d’une conférence à Berlin les puissances européennes procèdent au partage de L’Afrique.ou du moins ce qu’il en reste. A l’issue de ce banquet des dieux Léopold II obtient à titre personnel un fleuve entouré de chlorophylle, un bassin grand comme quatre vingts fois son plat pays, soit.une immense réserve d’Ivoire et de caoutchouc. » Ce territoire immense deviendra le Congo belge.
Léopold, capitaliste
Le roi des Belges entend gérer ses affaires à distance. Mais voilà ! l’immensité de son nouveau joujou demande des moyens nouveaux, une administration et des troupes aguerries.
Aussi, pour motiver ses sujets à se lancer dans l’aventure Leopold II profite de l’exposition universelle de 1897 pour lancer une sorte d’ opération promotionnelle. A cet effet 297 hommes, femmes et enfants sont arrachés de leurs villages, formant ce qui se voulait un « échantillon représentatif du matériel humain disponible »..
Ainsi La Belgique aura, elle aussi, a l’imitation de la France, son zoo humain. D’ailleurs, pour faire cesser les jets de nourriture des visiteurs par dessus les grillages, on appose une pancarte : » ne donnez pas à manger aux indigènes, ils sont nourris par nos soins ».,
Quoiqu’il en soit l’exposition coloniale de Leopold II est un succès et il décide de rendre permanente l’exposition des œuvres africaines. Pour ceci il demande à l’architecte français du petit Palais récemment construit à Paris, la construction d’un palais aux dimensions pharaoniques, ce sera le musée de Tervuren. Leopold ne le verra jamais achevé, il décède avant son ouverture, en décembre 1909.
Une histoire méconnue
À la faveur de sa déambulation dans le Musée de Tervuren, l’auteur croisé plusieurs épisodes d’une histoire encore méconnue. Telle celle de cette dynastie belge des de Boekhat qui furent durant plusieurs générations le bras armé du colonialisme belge au Congo et en particulier à l’occasion du conflit du Katanga.
La visite nocturne fantomatique des combles du musée est également l’occasion d’une réflexion sur notre appréhension contemporaine de toute cette affaire. En effet nombre de représentations se voient relégués dans réserves fermées désormais au public car relevant de « préjugés et stéréotypes profondément ancrés qui ont contribué au racisme dans nos sociétés modernes « . Le musée colonial se fait aussi éducateur..
Visiteur nocturne
S’agissant de stéréotypes raciaux l’évocation de la saga belge africaine ne pouvait pas faire l’économie d’une réflexion sur le rôle de Hergé. Cette évocation surgit brusquement à l’esprit de notre visiteur nocturne lorsqu’il croise une figure d’homme léopard.
Il porte une tunique et une cagoule en peau tachetée ainsi que des lames de fer au bord des doigts et égorgent leurs victimes la nuit tombée.Réels ou phantasmes ces méfaits appartiennent à la société secrète de aniotas, active dans l’est su Congo au début du XX ème siècle.
Vous aurez déjà reconnu dans cette description la terrifiante créature agressant Tintin dans Tintin au Congo. On sait à quel point ce classique de la bande dessinée a pu reprendre et amplifier tous les préjugés les plus éculés en matière ethnographique.
Tintin, administrateur colonial
Comme le note Boltanski, « intin personnifie le parfait administrateur colonial. Il représente l’autorité, le savoir , le progrès. Il distribue la quinine aux malades , introduit le cinéma et le gramophone dans la brousse (…) Il rend aussi la justice et une fois rétabli un ordre incarné par les pères missionnaires et le tirailleurs de la force publique , il part à la chasse en chaise à porteurs, coiffé de son casque en liège. A la fin de son périple on le vénère comme un dieu. Il joue à l’instituteur : « je vais vous parler de votre patrie la Belgique ».
En face les Noirs sont craintifs, cruels et paresseux. Bafouillant un idiome qui n’a jamais existé.
Pour réaliser ses dessins Hergé raconte avoir été tous les jours dans le palais de Tervuren. A la recherche d’une inspiration qui aura marqué des générations de jeunes – et moins jeunes – lecteurs.
Et Hergé pour dresser son portrait du monde africain ne s’est pas plus rendu en Afrique que le roi colonisateur Léopold II.
On l’a déjà entrevu notre image du musée évolue. Elle est faite de repentirs avec de multiples relégations dans les réserves,r écettacle de la mauvaise conscience coloniale. Hier les musées d’ethnographie procédaient à un inventaire des civilisations selon le modèle de la zoologie ou de la botanique. On traitait le matériel humain comme des choses. Aujourd’hui ces musées ont trouvé leur salut dans l’esthétique. Dans le ciel éthéré du Beau où des masques africains rivalisent avec des visages de Giacometti ou de Modigliani.
Voilà qui peut prémunir des attaques qui font rage à l’extérieur. Car
conclut Boltanski le phénomène est mondial, à Bristol, Sidney mais aussi à Bruxelles les grandes figures du colonialisme – Cook, Churchill et Léopold – sont attaquées. Leurs statuts peinturlurées ou détruites.
« King Kashaï », l’éléphant fétiche du musée, resistera-t-il à l’ire légitime des défenseurs du vivant contre la nature empaillée et muséifiée ?
King Kasaï. Christophe Boltanski. Stock . 152 p. 18,50 euros.