Charles III, le monarque le plus islamophile de l’histoire britannique

Le roi Charles III qui est en visite d’État en France, est un homme ouvertsur le monde  qui a étudié l’islam en profondeur, allant même jusqu’à apprendre l’arabe pour lire le Coran, contrairement à la droite conservatrice anglaise de plus en plus islamophobe

 Un article de Peter Oborne et Imran Mulladu sur le site Middle East Eye

 

(…) Il y a plusieurs décennies déjà, le prince Charles réfutait la thèse du « choc des civilisations » qui soutient que l’islam est en guerre avec l’Occident. Il affirme au contraire que l’islam, le judaïsme et le christianisme sont trois grandes religions monothéistes qui ont beaucoup plus en commun qu’on ne le pense généralement.

Depuis 1993, le nouveau roi est un mécène du Centre d’études islamiques d’Oxford. Cette année-là, il a prononcé le discours inaugural, intitulé « L’islam et l’Occident ». Ce n’était pas le genre de discours sur la religion que la plupart des gens attendent des politiciens et de la famille royale ; ces derniers ont tendance à se contenter de platitudes creuses.

Alors prince de Galles, il s’est plongé dans une réflexion complexe sur la civilisation islamique et ses relations avec l’Europe. Charles estime que l’islam fait « partie de notre passé et de notre présent, dans tous les domaines de l’activité humaine. Il a contribué à créer l’Europe moderne. Cela fait partie de notre propre héritage, ce n’est pas une chose à part. »

Il exhortait la population occidentale à voir au-delà des distorsions contemporaines de l’islam : « Le principe directeur et l’esprit de la loi islamique, tirés directement du Coran, devraient être ceux de l’équité et de la compassion. »

Il observait que les femmes avaient obtenu le droit de propriété et d’héritage dans l’islam il y a 1 400 ans, a rendu hommage à la « tolérance remarquable » de l’islam médiéval et a déploré « l’ignorance occidentale de la dette de notre propre culture et civilisation envers le monde islamique ».

Le prince qualifiait les communautés musulmanes britanniques d’« atout pour la Grande-Bretagne » qui « ajoute à la richesse culturelle de notre nation ».

Contrairement à ceux qui exigent que les musulmans abandonnent leur identité pour s’assimiler, le prince de Galles souhaitait un processus d’intégration dans les deux sens : les musulmans doivent « équilibrer leur liberté vitale d’être eux-mêmes avec une appréciation de l’importance de l’intégration dans notre société », tandis que les non-musulmans devraient « respecter la pratique quotidienne de la foi islamique et prendre décemment soin d’éviter les actions susceptibles de blesser profondément ».

C’était un discours électrisant : voici l’héritier du trône disant aux musulmans britanniques, pour la plupart des migrants des anciennes colonies, que leur présence dans le pays n’était pas seulement la bienvenue, mais appréciée.

Difficile d’imaginer un plus grand contraste avec les interventions récentes des politiciens britanniques de premier plan. 

Prince « controversé » 

Ces dernières années, l’attitude du prince Charles à l’égard de l’islam et du monde musulman ont souvent suscité la controverse.

Un livre du correspondant royal Robert Jobson, écrit avec la coopération du bureau du prince et publié en 2018, révélait qu’il s’ était opposé à l’invasion de l’Irak en 2003, exprimant en privé ses objections au Premier ministre Tony Blair. Selon Jobson, le prince Charles croyait que « marcher en portant une bannière pour la démocratie à l’occidentale était à la fois téméraire et futile ». Celui-ci avait également fait savoir aux ministres qu’il ne souhaitait plus que ses relations avec les dirigeants du Golfe soient utilisées par les entreprises d’armement britanniques afin de vendre leurs armes.

 

Ensuite, il y a sa sympathie envers les Palestiniens, ce qui explique peut-être pourquoi c’est son fils le prince William, et non le prince Charles lui-même, qui a effectué la première visite royale en Israël en juin 2018. Ce n’est qu’en 2020 que le prince Charles a effectué sa première visite en Israël. Il a pris soin de visiter les territoires palestiniens occupés, où il a dit souhaiter « que l’avenir apporte la liberté, la justice et l’égalité à tous les Palestiniens ».

Aucun ministre britannique n’a exprimé des sentiments similaires dans l’histoire récente. En ce qui concerne les musulmans européens, Charles III critique la laïcité de la France et de la Belgique et est en désaccord avec leurs interdictions faites aux femmes de porter le niqab en public. Il n’a pas le temps pour la politique anti-musulmane qui gagne du terrain dans toute l’Europe. 

Son travail caritatif a été critiqué. En juin dernier, le prince avait fait la une des journaux après que le Sunday Times avait révélé qu’il avait accepté une valise contenant un million d’euros en espèces du cheikh Hamad ben Jassim ben Jaber al-Thani, l’ancien Premier ministre qatari. Le fonds de bienfaisance du prince Charles avait démenti tout acte répréhensible et rien ne suggère que ce dernier en ait bénéficié personnellement. 

Il a peut-être commis des erreurs de jugement, mais une grande partie des articles de la presse étaient injustes et montraient une méconnaissance du sujet.

Pensez au déluge d’articles sensationnels en juillet sur un don d’un million de livres sterling que son fonds de bienfaisance a reçu de la famille d’Oussama ben Laden en 2013. Il n’y a eu aucun acte répréhensible : la famille ben Laden est l’une des plus établies en Arabie saoudite, et sous-entendre un lien avec le terrorisme et al-Qaïda était absurde.

Un fervent « traditionaliste »

Les commentateurs anti-musulmans se moquent du nouveau roi de Grande-Bretagne pour sa curiosité intellectuelle. Le commentateur néoconservateur américain Daniel Pipes en est un exemple. Son billet de blog intitulé : « Le prince Charles s’est-il converti à l’islam ? » cite de nombreuses « preuves » qu’il est lui-même devenu musulman, notamment le fait que le prince Charles a participé à une cérémonie de rupture du jeûne pendant le Ramadan et sa critique de Salman Rushdie pour avoir insulté les « convictions les plus profondes » des musulmans.

Au siècle dernier, de fausses rumeurs similaires tourbillonnaient autrefois autour de Winston Churchill. 

En vérité, le roi est un fervent anglican dont l’engagement profond envers l’islam (ainsi qu’envers le judaïsme et le christianisme orthodoxe) est lié à son intérêt pour le traditionalisme, l’école de pensée ésotérique du XXe siècle dont les premiers partisans se sont élevés contre le monde moderne, croyant que toutes les grandes religions partagent des vérités universelles qui pourraient être des antidotes aux malheurs contemporains. 

Le roi Charles III est un fervent anglican qui croit que toutes les grandes religions partagent des vérités universelles susceptibles d’être des antidotes aux malheurs contemporains

Charles III s’est particulièrement intéressé aux œuvres de René Guenon, l’un des penseurs les plus importants du traditionalisme. Écrivant au début du XXe siècle, Guenon – intellectuel français élevé dans la foi catholique et éduqué à la Sorbonne – voyait la modernité occidentale, qui « s’est développée sur des lignes matérielles », comme représentant une « anomalie » dans l’histoire humaine.

« Si [les traditionalistes] défendent le passé », déclarait le prince Charles dans un discours de 2006, « c’est parce que dans le monde prémoderne, toutes les civilisations étaient marquées par la présence du sacré ». En revanche, notre époque actuelle est celle de « la désintégration, de la déconnexion et de la déconstruction ».

Dans une allocution prononcée devant l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse en 2000, le prince Charles prévenait que notre époque « risqu[ait] d’ignorer, ou d’oublier, toute connaissance du sacré et du spirituel ». C’est cette préoccupation qui sous-tend son action pour l’environnement. Charles III croit que l’Occident moderne « est devenu de plus en plus avide et exploiteur », suggérant que nous pouvons réapprendre la « tutelle du caractère sacramentel et spirituel vital du monde » de l’islam.

Guenon lui-même regardait vers l’Est, rédigeant plusieurs ouvrages sur l’hindouisme et le taoïsme avant de quitter Paris pour Le Caire. Là, il s’est initié à l’ordre soufi Ahmadiyya Shadhiliyya et a étudié à al-Azhar, l’un des centres mondiaux de l’érudition musulmane sunnite. Devenu musulman, il est mort au Caire en 1951.

Le rôle de Guenon dans la formation de la vision du monde du roi a déconcerté de nombreux commentateurs traditionnels. L’historien militaire Max Hastings en est un bon exemple. En 2010, dans une critique du livre du prince Charles Harmony: A New Way of Looking at Our World, il a écrit dans le Daily Mail que « le principal péril pour notre institution royale dans les décennies à venir réside dans sa tête bien intentionnée, embrouillée et confuse ». 

Critiques brutales

Sans se laisser décourager par le regard désapprobateur des médias britanniques, le prince Charles s’est servi de son titre de prince de Galles pour faire avancer ses idées dans la pratique. En 1993, la Fondation du Prince a commencé à abriter le Programme d’arts visuels islamiques et traditionnels.

Le roi Charles III rencontre la Première ministre Liz Truss et des membres de son cabinet au palais de Buckingham à Londres, le 10 septembre 2022 (AFP)
Le roi Charles III rencontre la Première ministre Liz Truss et des membres de son cabinet au palais de Buckingham à Londres, le 10 septembre 2022

Là, les étudiants ont produit des miniatures mogholes, des carreaux ottomans et de la calligraphie arabe. Deux éminents érudits traditionalistes étaient des professeurs invités – le philosophe Seyyed Hossein Nasr et l’érudit Martin Lings, qui a écrit une célèbre biographie du prophète Mohammed et s’est senti « frappé par la foudre » quand il a lu Guenon pour la première fois. Le programme est devenu l’École des arts traditionnels de la Fondation du Prince en 2004.

L’amour de Charles III pour l’art islamique est visible dans sa vie personnelle. D’où le Carpet Garden, inspiré des jardins islamiques, dans sa maison du Gloucestershire, Highgrove. Il avait expliqué : « J’ai planté des figuiers, des grenades et des oliviers dans le jardin à cause de leur mention dans le Coran. » 

Tout cela place le roi Charles III dangereusement en décalage avec les critiques brutales de la droite néoconservatrice qui fixe une grande partie de l’ordre du jour de ce gouvernement conservateur.Reste à voir si, sur le trône, il continuera à parler de religion aussi ouvertement qu’il l’a fait lorsqu’il était prince de Galles. Il doit garder à l’esprit l’exemple de sa mère, qui s’est astucieusement tenue à l’écart des controverses publiques. Il est néanmoins profondément significatif que nous ayons un roi qui admirait ouvertement l’islam. 

Une déclaration audacieuse

Les mosquées à travers le pays ont présenté leurs condoléances pour la mort de la reine Elizabeth II, et de nombreux musulmans ont noté l’attitude du nouveau roi envers l’islam.

Dans son sermon avant la prière de vendredi dernier dans la mosquée écologique de Cambridge, Shaykh Abdal Hakim Murad, le maître de conférences en études islamiques de l’Université Shaykh Zayed, a abondamment cité le discours du prince Charles en 1993 sur « l’islam et l’Occident », faisant remarquer que son intérêt généreux pour l’islam le distinguait d’une grande partie de la classe politique britannique. Notant que le prince Charles avait appris l’arabe pour lire le Coran, il s’interrogeait : « Combien de personnes au Parlement feraient cela ? »

Charles III suivra-t-il le doux exemple de sa mère et soulignera-t-il tranquillement les traditions britanniques de tolérance et de multiculturalisme, contrairement au nationalisme des gouvernements Johnson et Truss ?

Charles III suivra-t-il le doux exemple de sa mère et soulignera-t-il tranquillement les traditions britanniques de tolérance et de multiculturalisme, contrairement au nationalisme des gouvernements Johnson et Truss ?

Certains signes tendent à montrer que ce sera le cas. 

Repensez au premier discours du roi Charles III en tant que souverain : « Au cours des 70 dernières années, nous avons vu notre société devenir une société abritant de nombreuses cultures et de nombreuses religions », a-t-il déclaré, avant de promettre : « Quels que soient vos origines ou vos croyances, je m’efforcerai de vous servir avec loyauté, respect et amour. »

C’était une déclaration de pluralisme à la fois audacieuse et sans équivoque. Et quiconque a prêté attention à ses déclarations et actions en tant que prince de Galles saura qu’il le pense sincèrement. C’est une position qui le distingue du gouvernement britannique. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

3 Commentaires

  1. Charles III a raison de penser que l’Islam porte les mêmes valeurs que le christianisme et le Judaisme, ça c’est le classique, ça c’est l’érudit. Car aujourd’hui la réalité du terrain chez beaucoup des musulmans est différente. Ils acceptent pas, voir ils acceptent difficilement la différence culturelle, ou ne tolèrent pas d’autres croyances.
    En effet contrairement à lui Charles III qui a étudié l’histoire de l’islam dans sa profondeur, beaucoup de musulmans n’ont pas étudié cette histoire; dans les écoles coraniques, on les enseigne que le coran et une histoire survolée de l’islam, et parfois ceux qui les enseignent ne connaissent même pas cette histoire profonde des traditionalistes, ils radicalisent les plus jeunes qui voient que chez les non musulmans, des “mécréants” d’où les attentats. D’où conséquences: beaucoup à droite et de manière générale ont une image négative de l’islam.

    Si tout musulman pouvait avoir accès à ces écrits érudits sur l’islam, je pense qu’il y’aura moins d’extrémisme dans l’islam et les non musulmans auront une autre image sur eux.
    L’intégration des musulmans dont parle Charles III, se fera facilement aussi s’ils avaient accès à ces écrits profonds de l’islam et les autres non musulmans seront plus tolérants vis à vis d’eux, car beaucoup des jeunes musulmans notamment du Maghreb nés en France ou en Europe, se sentent plus maghrébins que les maghrébins nés et restés au Maghreb, c’est justement à cause de cette éducation radicale religieuse islamique proche du salafisme ou qui berce dans le wahhabisme (que même l’Arabie saoudite berceau de ça ne veut plus, et cette idéologie fondamentaliste que les autres pays arabes veulent donner à leurs enfants) qui ignore les fondamentaux de l’islam.

    Quelqu’un peut être né en Europe d’origine marocaine ou algérienne ou d’autres nationalités du Maghreb et du monde arabe en général, il n’est pas un citoyen du pays de ces parents, ce sont ses parents qui sont citoyens de ces pays, lui qui est né en Europe il est avant tout citoyen du pays où il est né, et il se doit d’abord parler, écrire et être comme citoyen de ce pays avant de se tourner vers la culture de ses parents: donc citoyen européen n’ayant pas oublié l’origine de ses parents. Voilà.

  2. Charles III a raison de penser que l’Islam porte les mêmes valeurs que le christianisme et le Judaisme, ça c’est le classique, ça c’est l’érudit. Car aujourd’hui la réalité du terrain chez beaucoup des musulmans est différente. Ils acceptent pas, voir ils acceptent difficilement la différence culturelle, ou ne sont pas tolèrent pas d’autres croyances.
    En effet contrairement à lui Charles III qui a étudié l’histoire de l’islam dans sa profondeur, beaucoup de musulmans n’ont pas étudié cette histoire; dans les écoles coraniques, on les enseigne que le coran et une histoire survolée de l’islam, et parfois ceux qui les enseignent ne connaissent même pas cette histoire profonde des traditionalistes, ils radicalisent les plus jeunes qui voient que chez les non musulmans, des “mécréants” d’où les attentats. D’où conséquences: beaucoup à droite et de manière générale ont une image négative de l’islam.

    Si tout musulman pouvait avoir accès à ces écrits érudits sur l’islam, je pense qu’il y’aura moins d’extrémisme dans l’islam et les non musulmans auront une autre image sur eux.
    L’intégration des musulmans dont parle Charles III, se fera facilement aussi s’ils avaient accès à ces écrits profonds de l’islam et les autres non musulmans seront plus tolérants vis à vis d’eux, car beaucoup des jeunes musulmans notamment du Maghreb nés en France ou en Europe, se sentent plus maghrébins que les maghrébins nés et restés au Maghreb, c’est justement à cause de cette éducation radicale religieuse islamique proche du salafisme ou qui berce dans le wahhabisme (que même l’Arabie saoudite berceau de ça ne veut plus, et cette idéologie fondamentaliste que les autres pays arabes veulent donner à leurs enfants) qui ignore les fondamentaux de l’islam.

    Quelqu’un peut être né en Europe d’origine marocaine ou algérienne ou d’autres nationalités du Maghreb et du monde arabe en général, il n’est pas un citoyen du pays de ces parents, ce sont ses parents qui sont citoyens de ces pays, lui qui est né en Europe il est avant tout citoyen du pays où il est né, et il se doit d’abord parler, écrire et être comme citoyen de ce pays avant de se tourner vers la culture de ses parents: donc citoyen européen n’ayant pas oublié l’origine de ses parents. Voilà.

  3. La guerre de cents ans est ce passé qui ne cède pas le pas au potentiel présent et à l’espoir d’un futur de paix. Un prisme humain qui fait que la haine supplante les raisons de la joie et partage. Le Roi d’Angleterre est tout sauf anti-islamique, sinon on aurait vu moins de pays islamiques à son couronnement. Paradoxalement, l’Angleterre a été un modèle perméable à merci à l’islamisme qui fait levier dans le monde. En effet, l’islamisme y prospère, parait-il qu’il y aurait même des tribunaux islamiques qui ont pour code juridique, la charia. Ce Roi a été un écologiste avant l’heure, bien entendu avec ses propres contradictions, vu qu’il apprécierait la chasse au renard. C’est toute l’humanité qui avance avec ses propres contradictions. Plutôt gageons sur le futur potentiel de paix, à commencer par les tensions en Ukraine. Ce Roi est capable d’autocritique et peut bien nous surprendre. Souhaitons aux Anglais la paix et longue vie au Roi, après tout, l’Angleterre, ce sont aussi les travailleurs et pauvres qui n’ont jamais été ni colons, encore moins, des racistes. Arthur Blair et Mister Bean ont su être citoyens du monde par le cœur et la raison, sont le fruit de ce pays.

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