Ancien ambassadeur tunisien en Chine et en Espagne durant les années Ben Ali, le docteur Basly Mohamed Sahbi, aujourd’hui encore très actif dans les relations entre Tunis et Pékin, en appelle à une véritable union nationale pour sortir la Tunisie de l’impasse économique et sociale où elle se trouve.
Les dernières émeutes en Tunisie ont inquiété les Tunisiens, mais également nos voisins, surtout du Nord (Europe, Etats-Unis), qui n’ont pourtant pas cessé de nous féliciter pour cette transition démocratique tant attendue. Jusqu’à nous remettre, cet automne, un prix Nobel de la paix qui a permis à tous les citoyens de se sentir à juste titre , fiers d’appartenir à cette Nouvelle Tunisie.
Mêmes causes, mêmes effets
Cependant les récents événements de Kasserine, de Sidi Bouzid ou d’ailleurs, révèlent un malaise social ressenti par cette même population qui est sortie dans la rue un certain 14 Janvier 2011, en quête de plus de dignité et de travail. Que s’est il passé depuis janvier 2011 …? Deux sits-in à la Kasbah, la place au coeur de Tunis où se trouve le Premier ministère, ont imposé la dissolution des institutions de l’Etat, une Assemble constituante a été élue en octobre 2011.
Depuis, deux élections ont eu lieu, cinq gouvernements se sont succédés, et cela sans produire une quelconque valeur ajoutée, la moindre vision, le début d’une stratégie. Après tout, ces dirigeants étaient provisoires.
Adieu l’euphorie révolutionnaire
Les dernières élections législatives et présidentielles d’octobre et décembre 2004, devaient amener un gouvernement stable. Cinq années pour gérer le pays, et la Tunisie était remise en marche, après quelques années de cacophonie, d’amateurisme et de léthargie .
L’euphorie révolutionnaire s’éloignant, le peuple s’est finalement rendu à une triste réalité, une année après les élections de 2014: le désœuvrement et la pauvreté.
Pire encore, la classe moyenne qui a toujours été l’allié objectif du pouvoir en place quel qu’il soit, a vu son pouvoir d’achat se détériorer progressivement. De sorte qu’elle aussi a fini par contribuer au malaise social ambiant, après s’être convertie à la Révolution après le 14 janvier 2011, adepte de Facebook et autres réseaux sociaux et puissant agitateur d’opinions.
Panne de projets
Depuis cinq années , aucun appel d’offre international n’a été lancé pour des projets porteurs d’envergure nationale, si bien que les quelques projets d’infrastructure qui sont en cours d’exécution depuis à peine deux ou trois ans, sont des projets étudiés, décidés et financés depuis l’ère Ben Ali. Les programmes financés par des organismes internationaux ou des pays amis sont quasi inexistants. Seul l’exemple du Centre Hospitalier Universitaire de Sfax a pu être sauvé.
Ce projet est financé par un prêt à très faible taux d’intérêt qui l’assimile à un don chinois. L’accord fut initié et décidé depuis 2007, mais il a vu le jour qu’en 2015, un délai qui provoque un doublement du cout de revient du projet. Pourtant l’argent est bel et bien rentré en Tunisie depuis 2011, mais n’a servi qu’à payer de nouveaux fonctionnaires souvent inutiles, à indemniser les « prisonniers politiques » et les martyrs de la révolution ainsi que leurs ayant droit sans le moindre contrôle, à augmenter les salaires dans les secteurs publics sans une meilleure productivité en retour.
Révolution oblige, les ministres , les gouverneurs , les ambassadeurs , les directeurs , les PDG sont mieux payés, les fonctionnaires aussi et les travailleurs également. Les salaires ont presque doublés toutes catégories confondues depuis 2011. Du coup, le malaise s’installe, la productivité est nulle et l’absence d’autorité et de prise de décision est flagrante à tous les échelons de la hiérarchie administrative …
Comment peux t’on imaginer un seul instant un pareil scénarios après le 14 janvier 2011? Où est le rêve d’une nouvelle Tunisie, démocratique, libre, mieux gouvernée et donc plus productive?
Des responsabilités collectives
Ce constat d’échec a ses raisons, elles sont en nous, classe politique, organisations professionnelles, médias, société civile, tous autant que nous sommes. Oui, nous avons été en deçà de l’événement libérateur de janvier 2011. Au lieu d’aller à la rencontre des jeunes pour les comprendre, épouser leurs problèmes et construire ensemble leur avenir et celui du pays, on s’est acharné à régler des comptes, à maquiller l’histoire, à renier notre identité, alors que nous assistions éberlués, au nom de la démocratie a l’éclosion d’idéologie politiques mortes et enterrées dans les pays qui les ont vu naitre. Je cite pour exemple le nationalisme arabe du Baath, l’extrème gauche , le marxisme, le Salafisme, la confrérie musulmane …. De quoi brouiller le paysage politique tunisien.
Les élections de décembre 2014 auraient du mettre fin à cette cacophonie politique et sociale, remettre les pendules a l’heure. Il n’en fut rien et une année après l’heure est déjà aux bilans.
Paralysie générale
Le pouvoir est étrangement hésitant et tremblant. A l’instar des gouvernements précédents, mais ceux là étaient excusables, parce que, non ou mal élus, alors que celui-ci l’est, et avec une majorité confortable au Parlement. Or que découvre-t-on?
-Absence de concertation entre le gouvernement et les différents partenaires sociaux économiques et le gouvernement. Une charte de bonne conduite devrait être édictée.
– Absence de vision a moyen et long terme quant aux priorités à définir sur les plans , social , économique et politique. Le gouvernement actuel a l’instar de ses prédécesseurs , s’est laissé embourbé dans le quotidien.
– Absence de stratégie de communication avec le peuple , qui a besoin qu’on lui parle , qu’on l’éduque , qu’on lui dise la vérité , lui qui a toujours considéré son gouvernement et l’autorité d’une manière générale comme sa boussole et sa référence, qui le guide dans son quotidien et qui le rassure sur son future .
Enfin sur le plan politique, si nous avions appelé de tous nos vœux à réussir le principe du consensus politique, force est de constater que cette approche initiée par Beji Caïd Essebsi président de la République, a montré ses limites. Ce consensus n’a concerné que trois ou quatre partis qui ont pu glaner quelques sièges au parlement, et encore après des élections où l’argent a été déterminant .
Le consensus serait plus solide s’il comportait de vrais décideurs politiques à la compétence reconnue dans leurs domaines , doublés d’une expérience et d’un réseau de connaissances internationales . Ces patriotes existent, il faut les rechercher chez les anciens qui ont bien servi la République et chez les nouveaux venus dans la classe politique qui ont fait leurs preuves.
Le modèle post franquiste
Des solutions existent, et les hommes aussi. Plusieurs démocraties proches de nous ont su prévaloir l’intérêt du pays à celui des partis. Pour ne citer que l’exemple de la transition démocratique espagnole, celle ci a vu son premier gouvernement révolutionnaire composé en grande partie par d’anciens hauts fonctionnaires qui ont servi sous Franco. Ainsi Manuel Fraga, ministre du Tourisme sous la dictature, est devenu le fondateur du Parti Populaire Espagno, actuellement au pouvoir en Espagne .
En Tunisie, on n’a pas su servir la révolution, mais on continue allègrement , à se servir d’elle !