L’Empire ottoman, le retour

Depuis 2015, Recep Tayyip Erdogan sillonne l’Afrique, du Maghreb à l’Afrique australe en passant par l’Afrique de l’Ouest. Evidemment, ces visites sont à la fois politique, économique et culturelle avec notamment une approche islamique.


Lors de ces visites d’État, Recep Tayyip Erdogan est accompagné de nombreux ministres, de dizaines d’opérateurs économiques et de religieux. Fruit de cette offensive diplomatique, la Turquie est passée de 12 ambassades en Afrique, en 2009, à 42 en 2020, alors que la France en compte 45. Des ONG proches de Erdogan ont préalablement préparé ces visites de consolidation d’un partenariat « gagnant-gagnant » , fondé sur  » la lutte contre la pauvreté et l’ignorance ».  Nul doute que cette approche est plus attractive que les réflexions mondialistes sur les changements climatiques, la promotion du Genre ou le thème  » la ville et les territoires durables » qui avait été retenu pour le Sommet Afrique-France, de juin 2020, qui n’a pu finalement se tenir, mais qui avait mobilisé la diplomatie française durant plus d’une année. 

L’association du développement et de l’islam

La Turquie a sensiblement développé en Afrique le réseau de son Agence de coopération et de développement (TIKA). Les entreprises turques recueillent les retombées de l’activisme de TIKA et des visites présidentielles. L’exemple du Sénégal illustre ce « Soft power » . La quatrième visite de Recep Tayyip Erdogan au Sénégal, en janvier 2020,  a permis de faire le point sur 29 projets de développement pour 775 millions d’euros. Les entreprises turques ont été choisies  pour la gestion du nouvel aéroport Blaise-Diagne de Dakar,  la réalisation du RER Dakar – Diamniado, future capitale du pays, la construction du Centre International des conférences Abdou-Diouf, du Palais des sports Arena de Dakar, de l’Hôtel Radisson de Diamniado, du Marché d’intérêt national, de la minoterie FKS, des centres de santé, des logements…
Recep Tayyip Erdogan utilise largement les organisations de promotion de l’Islam comme les Fondations Aziz Mahmud Hüdayi, Maarif et Diyanet pour la construction de mosquées, de centres d’études islamiques, d’établissements scolaires musulmans construits sur les décombres des écoles Gülen, du nom de l’opposant historique à Erdogan, éradiquées dans de nombreux pays. De même, ces Fondations allouent des milliers de bourses pour les étudiants africains, alors que ceux- ci rencontrent beaucoup de difficultés, pour aller en France, dans la délivrance de visa et le paiement des frais d’université.

 Dans la lutte contre les djihadistes, Ankara offre aussi sa coopération militaire, enrichie par son expérience en Syrie et son appartenance à l’Otan. Des coopérants militaires turcs sont les bienvenus en Afrique de l’ouest, à Djibouti, au Soudan et dans l’ex- Somalie. Deux bases militaires ont été ouvertes à Mogadiscio et dans l’île Suakin, au Soudan. Cette offre de service vient à point nommé dans ces pays où le wahabisme de l’Arabie Saoudite connaît un rejet de plus en plus important. Le président Erdogan propose aux Africains une alternative musulmane séduisante pour lutter contre le terrorisme islamiste. La Turquie s’est également invitée dans la crise du monde arabe en  s’opposant à l’Arabie Saoudite, à l’Égypte et aux Emirats Arabes Unis, comme en Libye. Le retour de la Grandeur de l’Empire Ottoman passe par des sacrifices que le président Erdogan n’exclut pas.

Un bilatéralisme triomphant

L’islamo-nationalisme de Recep Tayyip Erdogan ne pouvait que heurter la France d’Emmanuel Macron. Les ressentiments sont nombreux de part et d’autre. Les discours réciproques ont dépassé l’habituelle retenue diplomatique. Dans ce contexte de bras de fer, avec ses 787 000 km2 et ses 83 millions d’habitants, la treizième  puissance économique mondiale poursuit son rêve de remettre à l’honneur l’Empire Ottoman, qui a laissé une trace sanglante dans l’Histoire des pays conquis, tandis d’Emmanuel Macron souhaite, avec courage, tourner le dos à la période coloniale qui a constitué  » un crime contre l’humanité ».

En dépit de cette référence à l’Empire Ottoman, qui aurait pu indisposer les pays ayant subi sa tyrannie et les réprobations de l’expédition militaire en Libye, la diplomatie turque déploie un bilatéralisme triomphant qui s’impose même dans le temple du multilatéralisme qu’est l’ONU. Par 178 voix et 11 abstentions, le diplomate turc Volkan Bozkir a été élu, le 17 juin 2020 , à la présidence de la soixante-quinzième session de l’Assemblée générale de l’ONU.

Recep Tayyip Erdogan pourra savourer son triomphe, lors de l’ouverture, mi-septembre 2020, de cette Assemblée générale, à laquelle participera évidemment le président Macron.