La stratégie présidentielle du Hezbollah

Jeudi, la Chambre est convoquée, pour la neuvième fois déjà, pour élire un président de la République. Et comme les huit dernières fois, l’échec sera au rendez-vous. Les députés des blocs souverainistes voteront pour le candidat-député Michel Moawad, le Hezbollah et ses alliés glisseront des bulletins blancs, et la séance sera levée à l’issue du premier tour, après un défaut de quorum qui sera provoqué par ces mêmes députés qui refusent d’élire ou, au moins, de présenter publiquement un candidat.

Elie Ziadé, journaliste au site « Ici Beyrouth »

Au bout d’un mois de vacance présidentielle, depuis le départ de Michel Aoun du Palais de Baabda, les cadres du Hezbollah s’entêtent à demander un dialogue et un consensus autour du prochain président de la République. Entre temps, les deux alliés-ennemis, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL), et Sleiman Frangié, chef du courant des Marada, tous deux candidats en leur qualité de bons maronites, sont à couteaux tirés.

Pourtant, le Hezbollah pourrait facilement trancher ce débat de sourds et imposer un candidat. Entre 2014 et 2016, il a réussi à imposer Michel Aoun au terme de deux ans et demi de vide et de blocage. Le secrétaire général de la formation armée avait, à plusieurs reprises, déclaré que son candidat était Michel Aoun, fermant la porte à tout débat au sein de l’alliance pro-iranienne. Aujourd’hui, malgré la perte d’une majorité claire à la Chambre, le Hezbollah et ses alliés sont capables de faire élire un président, tout comme ils ont fait élire Nabih Berry et Elias Bou Saab à la présidence et vice-présidence du Parlement en mai dernier. Hassan Nasrallah peut, s’il le souhaite, simplement intimer à ses alliés, qui sont davantage des serfs que des égaux, de voter en faveur d’un candidat choisi selon les critères du Hezbollah. Et s’il manque quelques voix – pas plus de deux avec l’entrée de Fayçal Karamé au Parlement la semaine dernière suite à l’acceptation de son recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel – la milice dispose d’assez de carottes et de bâtons pour faire pencher la balance en sa faveur. Pourquoi alors n’avons-nous toujours pas de chef de l’État ? Parce qu’en élire un ne lui servirait à rien, aujourd’hui.

Tenir six ans

Le Hezbollah, à tous les moments cruciaux de l’après-Taëf, notamment à partir de 1992 et l’élection de Hassan Nasrallah à la tête du parti, calcule à moyen et long termes, selon ses objectifs, dont l’ultime est la  » résistance « . Cette  » résistance  » se base sur deux piliers complémentaires : le front militaire et la base arrière comme soutien.  » Il est impensable qu’une résistance formée de groupes armés coupés de leur société puisse réussir « , affirmait en 2002 au cours d’une conférence Naïm Kassem, vice-secrétaire général du Hezbollah.  Et d’ajouter :  » Le front n’est que la vitrine avant de l’affrontement ; sur les lignes arrière se regroupent toutes les formes de soutien culturel, social, éducatif, politique… C’est ce qui a permis la victoire. […] La Résistance n’a pas fait abstraction des besoins des familles des combattants et des martyrs au quotidien; grâce à cela, ces besoins n’ont pas constitué un handicap de la base arrière qui aurait nui à la lutte. « 

Le Hezbollah a progressivement réussi à mettre la main sur tous les rouages de l’État. Rien ne se fait sans son accord. Dès 2005 et le retrait des troupes syriennes du Liban, le Hezbollah s’impose, bloque les institutions, et, si besoin, a recours aux armes dans les rues de Beyrouth comme le 7 mai 2008, ou à Tayouné le 14 octobre 2021. Il impose tout seul la paix et la guerre, dicte la diplomatie officielle notamment à l’égard des autres pays de la région, décide de la formation ou non des gouvernements, et de l’avancée ou non d’enquêtes judiciaires, etc. Il a également réussi à se détourner du secteur bancaire officiel bien avant la crise de 2019, à travers l’institution de microcrédit al-Qard al-hasan, fondée en 1983 qui a graduellement remplacé les banques commerciales libanaises depuis au moins 2014, sans compter le Hezbollah International Financing Prevention Act, deux institutions qui ne sont soumises à un aucun contrôle

L’assèchement des finances

Mais depuis quelques années, à l’instar du pays dans son ensemble, cette hégémonie de la formation pro-iranienne fait face à un obstacle de taille : l’assèchement des finances. Une rentrée d’argent continue est nécessaire pour entretenir les deux piliers de sa  » société de résistance « . Mais les différentes sanctions à son encontre et contre son parrain iranien, ainsi que le soutien au voisin syrien englué dans la guerre, ont mis à mal la trésorerie du Hezbollah. Ses positions anti-saoudiennes ont également porté un coup à l’entrée de devises étrangères et à l’exportation libanaise. L’hyper-dévaluation des monnaies de l’axe de la résistance, que ce soit le rial iranien ou les livres syrienne et libanaise, et les récessions économiques de l’axe rendent de plus en plus compliqué le soutien des familles  » résistantes « .