L’ indifférence des Etats arabes face aux réfugiés syriens

Dans une analyse sans concession sur le monde arabe face aux réfugiés syriens, Abdelkader Latreche, démographe algérien, dénonce la cécité du monde arabe face à "ces damnés de la terre".

Les images révélant la détresse des milliers de réfugiés syriens qui fuient la guerre civile en Syrie n’ont cessé d’interpeller les consciences. Dans les pays arabes, trop de voix s’opposent à l’accueil de ces réfugiés. 

L’indifférence a pris fin au vu des corps trouvés ici et là aux abords de cette Méditerranée,et tout particulièrement celui de AylanKurdi, cet enfant de trois ans dont le corps a échoué au bord de la plage de Bodrum. Tout cela interpelle l’humanité et la communauté internationale sur l’entraide, le rapport à l’autre,  l’accueil des refugies mais également sur les marchands de la mort.

Mais au-delà de toutes ces interrogations, une question se pose avec acuité.  Elle a trait à la position des Etats arabes à l’égard du drame des refugiés syriens. Pourquoi les réfugiés syriens traversent-ils toutes ces frontières pour arriver en Europe, notamment l’Allemagne ? Alors que des pays arabes voisins très prochespar les affinités culturelles et cultuelles, voire par des liens tribaux -des familles syriennes appartiennent à des tribus installées dans plusieurs pays arabes y compris ceux du Golfe- peuvent les accueillir et leur garantir la sécurité(Al Amane), au titre de la traditionnelle hospitalité arabe?

La question du refuge, de l’exode et de la migration (Higra) est au cœur del’histoire des musulmans et des arabes, puisque le début de l’ère hégirienne coïncide avec la migration du Prophète de la Mecque à Médine. C’est dire la centralité du fait migratoire dans l’histoire arabo-musulmane. Mais si la migration (higra)est si centrale dans l’histoire des musulmans,  le départ forcé, appelé  aujourd’hui le refuge ne l’est pas moins, comme en témoigne la migration des compagnons  du Prophète vers l’Abyssinie chrétienne du Négus. Cela signifie que le recherche d’une terre d’accueil n’obéit pas nécessairement ne se limite pas à des contrées de même religion.

L’exemplarité palestinienne

Dans les temps modernes, les pays arabes ont toujours accueilli des personnes exilées venues d’ailleurs, et ce avant même l’adoption de la convention sur les réfugiés de 1951 et du traité de 1967. Cela s’est manifesté principalement avec l’accueil généralisé des refugies palestiniens dans l’ensemble des pays arabes sans exception. En effet, après la Nakba tous les pays arabes avaient accueilli les refugies palestiniens selon diverses procédures administratives  et sans adhérer a la convention de 1951 sur les refugies. En effet le Kuwait a accueilli des centaines de milliers de réfugiés avec un soutien illimité. Les autres pays du Golfe ont  fait de même. Quant à la Syrie, elle a non seulement accueilli des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens, mais elle les a intégrés, en les considérant comme faisant partie de la nation syrienne. Le Liban et la Jordanie se sont posés comme terre d’accueil naturel des réfugiés palestiniens. De son côté l’Irak avait également accueilli un grand nombre de palestiniens, en leur reconnaissant les privilèges des nationaux. Au Maghreb, la Lybie accueillait des dizaines de milliers de palestiniens. L’Algérie et la Tunisie firent de même.

Les pays arabes accueillent aussi des réfugiés venus d’autres  pays non-arabes. Ce fut le cas des Somaliens, des Erythréens et des Ethiopiens  en Egypte; des  Turcs en Irak, des Maliens en Mauritanie, des  Tchadiens et des Erythréens au Soudan, des Afghans en Syrie, des Erythréens et des Ethiopiens au Yémen. Les pays arabes contribuent donc pleinement à l’accueil des réfugiés à travers le monde.  Selon les statistiques de l’UNCR les pays arabes accueillent en 2014, environ 35% de l’ensemble des refugies à travers le monde, sans qu’ils aient ratifies la convention sur les refugiés.

Ce qui caractérise aujourd’hui la situation des réfugiés à travers le monde, c’est leur concentration dans des régions dites en développement. Car environ 80% des réfugiés trouvent refuge dans un pays  asiatique ou africain. En revanche, l’Europe n’accueille que 7% du nombre total des réfugiés en 2014. Ce qui signifie que l’accueil des réfugié s ne se concentre pas dans les pays du Nord et que les personnes qui fuient les guerres et toutes les formes de persécutions se dirigent naturellement vers l’Europe afin de chercher une certaine prospérité.

Premiers afflux de réfugiés

L’émergence de grandes vagues de réfugiés dans les pays arabes ne date pas d’aujourd’hui. Le premier mouvement de refugies fut l’exode palestinien. La gravité de cet exode qui donna lieu à de vastes vagues de migration de réfugiés palestiniens fut légèrement atténuée par l’accueil de ces réfugiés dans différents pays arabes. Les prémices de la première crise du refuge dans le monde arabe apparaissent avec l’exode massif des réfugiés irakiens au lendemain de la première guerre (américaine) contre l’Irak. Crise qui va apparaitre avec les départs de milliers de réfugiés irakiens vers différents pays européens dans le cadre de programmes d’accueil à destination des pays nordiques. Il faut signaler qu’à cette date la Syrie, la Jordanie, et a un degré moindre le Liban, avaient accueilli des centaines de milliers de réfugiés irakiens.

Cette situation va restreindre les champs de mobilités des refugies arabes au sein du monde arabe, en la limitant à quelques pays comme la Syrie, la Jordanie et le Liban. Cet espace va connaitre une nouvelle transformation en 2006, après l’agression israélienne contre le Liban qui, de pays d’accueil des refugies va produire des réfugiés à son tour, réduisant ainsi une nouvelle fois le champ de mobilité des refugiés entre les pays arabes. Et ce fut au tour de la Syrie d’accueillir des milliers de refugies libanais, à l’instar d’autres pays du Golfe. Ceci montre les perpétuelles transformations du champ de mobilités des réfugiés à l’intérieur des pays arabes suite aux différentes guerres.

Mais c’est inévitablement la crise actuelle, ou la deuxième crise des réfugiés dans les pays arabes, qui suscite le plus d’interrogations et d’incompréhension.

L’accueil des réfugiés dans les pays arabes a toujours obéi à des considérations politiques. Ainsi, au temps où le discours sur l’Unité arabe était dominant, l’accueil des réfugiés palestiniens se posait comme une manifestation naturelle voire une obligation de la solidarité arabe, sans que cela passe par l’adoption de la convention de 1951 sur les réfugiés et sans que cela confère aux réfugiés palestiniens dans la totalité des pays arabes le statut de réel de réfugiés, car ils étaient considérés comme chez eux, mêmes s’ils ont été invités à quitter leurs pays d’accueil dans beaucoup  de cas. Mais depuis, les rapports entre les pays arabes se sont dégradés, des divisions sont apparues et le discours sur l’unité arabe n’est plus à l’ordre du jour. Il est même devenu obsolète et la concertation interarabe une simple fantaisie. Cet ère nouvelle dans les relations entre les Etats arabes va avoir des incidences directes sur la nature des relations entre ces pays, y compris dans le volet migratoire. C’est au milieu des années 90 que l’on assiste à une forte réduction des mobilités intra arabes. Ce nouvel ordre dans les relations politiques entre les pays arabes va affecter directement un des domaines d’échanges entre les pays arabes à savoir la réduction des mobilités et des circulations migratoires entre ces pays tout particulièrement les flux des migrants arabes vers les pays du Golfe.

Conventions fluctuantes

Les circulations migratoires et les mobilités entre les pays arabes ne sont régies par aucune approche régionale ou globale mais par des conventions bilatérales exposées à tout changement. S’ajoute a cela l’absence d’une instance régionale chargée des questions de mobilité et des migrations internationales entre les pays arabes. En revanche, les pays arabes participent a des forum de dialogue sur les questions migratoires avec d’autres pays voisins, tel que le dialogue 5+5 entre les pays du Maghreb et les pays de la rive Sud de la méditerranée ainsi que le processus d’Abou Dhabi entre les pays du Golfe et les pays asiatiques dont sont originaires les travailleurs migrants dans les pays du GCC (Conseil de Coopération du Golfe).

En effet, l’absence de cadre régional concerté concernant les mobilités et les migrations entre les pays arabes rend non seulement difficile la gestion des questions migratoires entre les pays de la région et les questions qui leur sont liées y compris la question des réfugiés, mais aussi la gestion de toute forme de crise comme celle des réfugiés syriens. L’unique modalité de gestion de ces crises demeure le durcissement des conditions d’entrée et l’octroi de visa : depuis le début de la crise en Syrie on a assisté a une généralisation progressive de l’instauration des visas a l’encontre des syriens dans tous les pays arabes et a un arrêt de la délivrance de toutes formes de visa au syriens. S’ajoutent à cela les directives données  à certaines compagnies aériennes dans les aéroports ou embarquent les syriens en vue de garantir leur départ afin d’éviter toute demande de refuge potentiel. Ainsi, objectivement l’espace arabe est fermé aux syriens. C’est pourquoi la recherche d’autres lieux de  refuge s’est imposée comme unique choix devant ces milliers de refugiés qui fuient la Syrie suite à l’intensification des violences dans ce pays.

L’absence de position officielle dans les pays arabes persiste également au moment où l’on voit se manifester différentes formes de solidarité à travers le monde, aussi bien dans le sport que dans les médias. Même la société civile arabe avec toutes ces composantes reste indifférente, à l’exception de quelques initiatives  timides ici et là. Le silence des instances arabes, régionales et nationales, traduit-il seulement leur refus de s’impliquer directement dans le conflit syrien ? Quelles que soient les réponses d’ordre politique, la cécité des états arabes a l’égard du drame des réfugiés syriens traduit un « oubli » des réflexes ancestraux de solidarité humaine qui valurent aux Arméniens réfugiés dans le désert syrien en 1915 d’être sauvés par les bédouins de cette région. Elle signifie une dérogation aux règles traditionnelles de « l’hospitalité sacrée » à laquelle Louis Massignon doit d’être resté en vie en 1908 à Baghdad où la famille El Aloussi tenait à garantir sa sécurité. a des conséquences morales qui font que ne fera que creuser le fossé. Nul doute que ces manquements ne feront que creuser encore plus le fossé qui sépare les gouvernants et les gouvernés dans les pays arabes.

 

Abdelkader LATRECHE. Démographe algérien. Auteur de plusieurs publications (en arabe et en anglais) sur les flux migratoires.