BHL dénonce « l’obscénité insupportable » d’Eric Zemmour

Dans un article paru dans la revue du CRIF, BHL dénonce, non sans une belle lucidité,  l’impensable, à savoir le fait qu’Eric Zemmour soit juif. Mondafrique qui a souvent contesté dans le passé les positions du philosophe salue cette prise de position courageuse

« Chacun y pense.

Mais personne ne semble décider à en parler.

Zemmour est juif.

Et, parmi les questions posées par sa candidature, il y a ce qu’elle implique quant au destin de l’être juif en France.

La matière est délicate.

(…)

J’observe sa rage à embrasser la rhétorique barrésienne et maurrassienne la plus criminelle comme s’il voulait arracher les yeux de la synagogue sur le fronton martyrisé de Notre-Dame.

Je regarde sa façon de s’engager dans la zone marécageuse, fangeuse, du fascisme français et, tantôt d’y barboter comme un poisson dans l’eau, tantôt d’y caracoler comme un Bonaparte de carnaval au pont d’Arcole.

Je le vois piétiner tout ce qui, dans le legs juif à la France, relève de la morale, de la responsabilité pour autrui ou de cet ancien et beau geste qui dessina, jadis, la lumineuse figure de l’étranger sur la terre et qui devrait nous inspirer dans notre hospitalité face aux migrants.

Et il y a, dans cette transgression, quelque chose qui glace les sangs.

Je l’ai dit, il y a cinq ans, aux juifs américains tentés par le trumpisme : faire alliance avec cela, abdiquer son jugement devant tant de vulgarité, s’incliner face à un mauvais berger qui ne respectait que la puissance, l’argent, les stucs et les ors de ses palais, pouvait s’apparenter à un suicide.

Eh bien je le dis aux juifs de France tentés de se reconnaître dans le simplisme funeste d’Éric Zemmour : cette hubris nationaliste et raciste, cette cruauté, ce renoncement à la générosité juive, à la fragilité juive, à l’humanité et à l’étrangeté juives, cette ignorance, non des fiches de lecture dont il s’est gavé, mais de la vraie science, inscrite en lettres de sang dans les mémoires familiales et qui implique une réserve face aux tornades de l’Histoire et aux jets d’acide de la persécution, tout cela est une offense au nom juif que tout juif porte en lui tant qu’il ne s’en est pas explicitement déchargé.

M. Zemmour n’est certes pas le premier à donner à penser que l’on puisse être juif et ultrapopuliste.

Et il restera toujours, heureusement, des juifs d’affirmation pour lui opposer que choisir entre Claudel et le Talmud, Claudel ne l’eût pas souhaité.

Reste que l’ampleur de la vague, l’engouement, l’obscure jubilation à voir cet homme, non seulement profaner son nom, mais devenir le porte-glaive de ce que l’espérance juive a combattu depuis des millénaires, est d’une obscénité insupportable.

Désastre politique en vue.

Mais aussi péril en la demeure métaphysique qui abrite, depuis la nuit des temps, un peu du sens de l’humain et de la France. »