L’avenir du franc CFA est désormais à l’ordre du jour de toutes les réunions impliquant les Etats de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC).
La réunion extraordinaire des chefs d’État de la CEMAC, le vendredi 22 novembre 2019 à Yaoundé, était consacrée à la question existentielle pour cette zone de l’avenir du franc CFA. Comme souvent, les déclarations d’intention et la « réflexion » l’ont emporté sur un programme d’action. Davantage que dans la CEDEAO, dans l’espace CEMAC, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Un héritage colonial
Pendant longtemps, les débats sur les avantages et inconvénients du franc CFA, hérité de la colonisation française, étaient circonscrits entre des économistes africains, plutôt défavorables à son maintien, et quelques africanistes occidentaux, partagés sur ses bienfaits pour les économies africaines concernées.
Aujourd’hui, les opinions publiques africaines ont, à leur tour, investi les réseaux sociaux. La France a perdu sa position dominante dans les pays utilisant le franc CFA. Emmanuel Macron a imposé un nouveau paradigme dans les relations France-Afrique où le franc CFA apparaît comme un vestige de l’ancien monde. Enfin, la Chine et la Russie sont devenus des partenaires privilégiés des Etats africains. Ce nouveau contexte a accéléré la remise en cause du franc CFA et a contribué à promettre sa fin prochaine, mais sans véritable chronogramme.Les autorités françaises, notamment Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, sont désormais acquises à « une réforme ambitieuse » du franc CFA.
La monnaie est commune à huit États d’Afrique de l’ouest formant l’Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA). Soit le Bénin, le Burkina Faso, la Cote-d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Le franc CFA a aussi cours au sein de la CEDEAO qui compte sept autres États dont le Ghana et le Nigeria.
Cette monnaie est aussi celle de six Etats d’Afrique centrale ( Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale et Tchad), formant la CEMAC
Deux zones étanches
Le curseur de cette réforme n’est pas encore arrêté, d’autant que les deux Zones du franc CFA- UEMOA et CEMAC- sont dissemblables, tant au point de vue de l’économie, de la politique que de l’intégration régionale.
Partageant les quatre principes fondamentaux du franc CFA avec les institutions financières françaises ( garantie de convertibilité illimitée, fixité de la parité (1)- , libre transférabilité et centralisation de la moitié des réserves de change), les deux Zones du franc CFA restent toutefois étanches avec leur deux instituts d’émission, l’appellation différente du franc CFA et l’impossibilité de les interchanger dans les deux Zones.
En Afrique de l’ouest, les économies et les régimes politiques de la Zone du franc de « la communauté financière d’Afrique » (XOF), dépendant de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), possèdent des avantages comparatifs évidents par rapport aux économies et régimes politiques de la Zone du franc de « la coopération financière d’Afrique centrale » (XAF), dépendant de la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC).
Si les États de la CEDEAO ont déjà envisagé la création graduelle d’une monnaie commune, qui pourrait commencer en 2020 avec l’ECO, ce qui entraînerait la disparition progressive du franc CFA, les États de la CEMAC en sont encore au stade de la réflexion, voire du slogan politique anticolonialiste. D’autant que les positions des uns et des autres ne sont pas convergentes.
Du temps au temps
Idriss Deby Itno est un ardent partisan de l’abandon rapide du franc CFA, tandis que le président Paul Biya est beaucoup plus nuancé. Comme toujours, les États de la CEMAC affichent leurs désaccords et plusieurs présidents trouvent là un bouc émissaire idéal à leur gouvernance coupable. Idriss Deby Itno, Denis Sassou Nguesso, Paul Biya et Teodoro Obiang Nguema Mbsogo n’étaient-ils pas déjà en fonction lorsque Houphouët-Boigny présidait aux destinées de la Côte-d’Ivoire ?
Dans la CEDEAO, les monnaies nationales du Nigeria (le naïra), du Ghana (le cedi), de la Guinée (le franc guinéen) et du Cabo Verde ( l’escudo capverdien) n’ont pas engendré des catastrophes, mais non pas également apporté un développement exemplaire.
Il va également de soi que la mise en place d’une monnaie commune dans quinze États, aussi disparates que ceux de la CEDEAO, prendra plusieurs années. Le seul rapatriement de la moitié des réserves de change, actuellement entreposé au Trésor public français et rémunéré au profit de la BCEAO, au taux de 0,75 %, constituera une simple étape, après les éclaircissements indispensables que la France donnera sur le degré de son implication envers cette nouvelle monnaie.
Le poids du Nigeria
Le changement de nom d’une monnaie a surtout une valeur symbolique. En revanche, la création d’une monnaie commune exige le respect d’une politique de convergence financière, comme un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB, un endettement extérieur inférieur à 70 % du PIB et une inflation plafonnée à un taux annuel de 10%. Cette convergence ne sera pas facile dans une zone comme la CEDEAO, d’autant qu’elle doit inclure le Nigeria, qui représentera, à lui seul, près de 60% de la population de cette nouvelle zone monétaire, 70% de son PIB et une économie largement dépendante des cours du baril de pétrole. Actuellement, le Nigeria est loin de remplir les trois critères de convergence.
Dans la zone CEMAC, en dépit des trompeurs taux de croissance et taux de l’inflation, la situation paraît encore plus difficile. La disparition du franc CFA n’est pas programmée, même si un changement de nom, purement cosmétique, n’est pas à exclure. Il est vrai que les crises politiques et sécuritaires qui affectent durablement le Cameroun, la Centrafrique et le Tchad, les endettements excessifs non maîtrisés, des économies peu diversifiées et anémiées, la mauvaise gouvernance politique avec ses dérives financières et la confiscation du pouvoir par des autocrates ne sont pas de nature à permettre de rejoindre le projet de l’Eco concernant la CEDEAO. Au demeurant, le franc CFA en zone CEMAC a une appellation ( franc de coopération financière en Afrique centrale) plus réaliste que son jumeau en zone UEMOA ( franc de la communauté financière en Afrique).
Christine Lagarde en appui
La réunion de Yaoundé du 22 novembre 2019 a néanmoins eu l’avantage de demander à la BEAC de proposer des pistes vers une mutation du franc CFA en Afrique centrale, réclamée par les opinions publiques et de nombreux intellectuels. La question est de savoir si la stabilité monétaire actuelle est un handicap pour le développement des six États de la CEMAC.
Les termes de « réforme ambitieuse », utilisés par Bruno Le Maire, pour l’abandon du franc CFA dans l’UEMOA, sont explicites. Ils indiquent les difficultés et les limites de la novation du franc CFA vers d’autres horizons, largement inconnus.
En cette période pleine d’incertitudes, le soutien de Christine Lagarde, nouvelle présidente de la Banque centrale européenne ne sera pas de trop. Ancienne directrice générale du Fonds monétaire international, durant huit ans, l’ancienne ministre française de l’Economie et des Finances est probablement la mieux placée pour apporter ses conseils avisés pour cette entreprise éminemment politique.
(1) 1 euro vaut 655, 96 francs CFA