L’ambition démesurée de Recep Erdogan

Après sa réélection le dimanche 24 juin, Recep Tayyip Erdogan devient un des acteurs majeurs des relations internationales. Une chronique de Dov Zerah

 

Recep Tayyip Erdogan n’a cessé de renforcer son pouvoir sur l’échiquier mondial. Avec la remise en cause du kémalisme, des atteintes régulières à la démocratie, aux droits de l’homme, à la liberté de la presse, des intrusions régulières de la religion dans le champ politique, la mise en place progressive d’un Etat islamique de la tendance des frères musulmans.

La tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016, réel ou supposé, a entraîné plusieurs centaines de morts, des milliers de blessés, et une véritable « chasse aux sorcières » ; elle a concerné tout l’appareil d’Etat, les fonctionnaires, les enseignants, les universitaires, les gouverneurs, les militaires, les policiers, les gendarmes, les magistrats, les juges, les conseillers d’Etat, les membres de la Cour constitutionnelle…sont arrêtés, placés en détention, gardés à vue, licenciés. 60 000 personnes ont été concernées.

Cela a constitué un bon prétexte pour mettre en place des fidèles, modifier l’ordre constitutionnel et s’arroger les pleins pouvoirs avec la mise en place d’une hyper présidence. Ce ne sont pas les prochaines élections du 24 juin qui vont changer la situation, et qui devraient permettre à Erdogan de rester au pouvoir jusqu’en 2029.

 

La manifestation la plus caractéristique du culte de la personnalité est la construction d’un palais présidentiel pour près de 500 M€, avec des frais de fonctionnement de plus en plus exorbitants ; 200 000 m² en pleine forêt classée site naturel, 1 000 chambres ultra luxueuses, dans le plus pur site néo-seldjoukide, la première dynastie turque…Cela dénote la volonté d’exhumer la gloire passée du « Grand Turc ».

Erdogan veut faire de son pays « une puissance globale, une force maitresse capable d’agir militairement pour assurer sa sécurité. » L’activisme turc se manifeste tous azimuts :

 

En Syrie, les Turcs ont profité de l’émergence de DAESH pour y intervenir, et après s’en prendre aux Kurdes.

A Gaza, pour défendre le Hamas, membre des frères musulmans

Le Président Erdogan refuse la réunification de l’île de Chypre, coupée en deux depuis 1974. Cette politique se décline notamment avec l’exigence du maintien d’une base militaire turque et ses 30 à 40 000 soldats, mais avec les initiatives récurrentes de colonisation, voire de « turquisation » du sud de l’île.

Mais les ambitions turques ne se limitent pas au seul Proche Orient. Nous assistons depuis 2 000, à une véritable offensive turque en Afrique sub-saharienne. Les échanges entre le pays et le continent sont passés en un peu moins de 20 ans de 100 M$ à plus de 20 Md$, et l’objectif est d’atteindre dans les 5 ans les 100 Md$. L’influence turque ne se limite pas à l’économie ; cette stratégie d’entrisme concerne le secteur militaire avec une base en Somalie, l’action humanitaire, l’éducation avec le financement de bourses à des étudiants ou de madrasas pour propager une forme d’islamisme radical propre aux frères musulmans.

Cette stratégie est favorisée par une croissance économique de plus de 7 % en 2017, après les 3,3 % de 2016 et les 5,9 % de 2015 qui masque de nombreux problèmes : la livre turque a perdu depuis début 2018 près de 20 % de sa valeur à cause notamment d’une inflation à plus de 11 % et des comptes extérieurs déficitaires; par ailleurs, les affaires sont entravées par une corruption généralisée.
Face à ce voisin turbulent, que fait l’Europe ? Certes, elle paie 6 Md€ pour s’assurer qu’il garde les migrants, le sujet de l’adhésion est repoussé aux calendes grecques, mais cela ne suffit pas à faire une stratégie.
De son côté, l’OTAN est confrontée au dilemme entre le respect de ses prérequis démocratiques et ne pas en tenir compte eu égard l’importance géostratégique de la Turquie, et notamment de la base d’Incerlik.
Les prétentions turques ne cesseront pas d’occasionner des soucis à l’Europe, aux Etats-Unis et à l’OTAN.