Emmanuel Macron en Afrique, une pièce en cinq actes, dont on ignore encore l’épilogue. Une analyse de Yannick Nambo, co-président et fondateur de l’ONG « Diplo21 »
Acte 1 : Le candidat Macron dévoile les grandes lignes de son programme. Un focus y est fait sur l’Afrique, il est interrogé sur la séquence calamiteuse des élections dans les pays africains (RFI) notamment l’élection présidentielle d’août 2016 au Gabon : « Je ne suis pas là pour distribuer les bons et les mauvais points. Le Président Hollande a-t-il eu une autre politique africaine durant ce quinquennat ? J’ai plutôt ce sentiment par rapport à ses prédécesseurs. Il me semble que l’élection de Monsieur Bongo est pleine d’incertitudes et d’inconnues qui justifient un jugement circonstancié».
C’est l’époque où, interrogé lors de son voyage en Algérie, il déclarait : « La Colonisation a été un Crime contre l’Humanité ».
Le premier acte de « Macron en Afrique » trace de belles perspectives. Jusqu’où?
Acte 2 : Mai 2017. Emmanuel Macron est élu Président, il a un discours volontaire sur la nécessité de revoir la coopération avec les pays africains en faisant le lien avec la lutte contre le terrorisme = G5 Sahel, en dépit de tous les maux identifiés dans la région qui ne sont pas en lien direct avec le djihadisme. Hélas, cette coopération renforcée dans le domaine militaire confère une sorte de blanc-saint aux chefs d’Etats africains qui se distinguent par leurs atteintes aux valeurs démocratiques et aux Droits Humains.
En Juillet 2017, il déclare : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider de dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. » Des propos très critiqués, mais que le Président français assumera. Il justifiera ses propos par la suite en mettant l’accent sur la liberté et l’émancipation de ces dernières. En Afrique, en l’absence de système de protection sociale, les enfants sont, comme en Europe aux siècles derniers la richesse (et la retraite) des parents. Faire évoluer les coutumes familiales en Afrique pour anticiper les conséquences sur le développement et les phénomènes migratoires est une chose, mais parvenir à convaincre les Gouvernements africains de mettre en place de véritables politiques de développement au service de leur population en est une autre. Et le renforcement des dispositifs sécuritaires entre les mains des chefs d’Etats africains ne permettra sans doute pas aux peuples africains d’exprimer de telles exigences.
Acte 3 : Août 2017. Le Président Macron lance son « Conseil Présidentiel pour l’Afrique » ayant pour objectif de « montrer une volonté d’élargissement des points de vue, d’aller vers des secteurs nouveaux : le business, le développement durable, l’art engagé… En somme, d’aller vers la nouvelle Afrique, celle qui bouge et, en filigrane, rompre avec les résidus d’une politique française néo-colonialiste de plus en plus décriée sur le continent. »
Or, quelle est la légitimité de ce conseil, hébergé au sein l’Agence française de développement (AFD) ? Quels sont les critères de nomination à part l’appartenance au cercle d’amitié du Roi ? La création de ce nouvel organe laisse à penser que nos institutions diplomatiques existantes seraient trop vieilles et dépassées,
La question du développement démocratique et du respect des droits humains n’étant pas officiellement abordée au sein de ce conseil, on peut légitimement craindre qu’elle soit abordée de manière officieuse et donc faire le lit du statu-quo et de l’impunité.
Il ne s’agit pas d’être dans le procès d’intention, il s’agit juste d’elever le niveau d’exigeance, de favoriser la transparence et la prise en compte des aspirations des peuples.
Ces personnes, aussi brillantes soient-elles, et sans faire de procès d’intention sont à la merci de toutes formes corruption; pratique courante et même banale chez les dictateurs africains. Il peuvent donc, sans garde-fou, prendre des allures de lobbyistes en donnant des informations et des conseils orientés.D’autre partEn outreToutefois, le Conseil présidentiel pour l’Afrique n’aborde aucunement la question politique de la démocratie et des droits de l’Homme, pierres d’achoppement d’un développement durable et véritable. L’on peut légitimement craindre qu’elle continue à être abordée de manière officieuse et donc selon les vieilles méthodes françafricaines.
Acte 4 : Novembre 2017. Il eut été trop simple de ne retenir du discours de Ouagadougou que l’incident du climatiseur et la polémique attenante. Le Président Macron y a annoncé un certain nombre de mesures phares et tendu la main à la jeunesse africaine.
Son discours est celui de la promotion de la francophonie, du dynamisme économique, de mobilité étudiante, de la diversité culturelle, sans jamais citer l’Organisation Internationale de la Francophonie, sans même avoir créé un ministère digne de ce nom dans son propre pays.
Désaveu ou prise de conscience de l’inutilité de l’OIF ? Face aux défis de certains pays africains francophones, l’immobilisme et le manque de volonté politique au service des peuples de cette organisation ont été à plusieurs reprises dénoncés. Démesure et décadence d’une administration qui prétend défendre les valeurs de paix, de démocratie et de droits humains mais qui ferme les yeux sur leurs violations.
La francophonie, grande absente de notre gouvernement, sera néanmoins défendue par l’écrivaine Leila Slimani, prix Goncourt 2016 et désignée le 1er novembre 2017 représentante «personnelle» pour la francophonie. Femme de lettres et engagée, le costume de la francophonie culturelle et plurilinguistique lui sied à merveille. Néanmoins, la complexité des enjeux au sein de l’espace francophone sont tels qu’il eût fallu, avant d’exhorter à la jeunesse africaine francophone de s’en saisir, en prendre la pleine mesure sur son propre territoire. Or, les coupes budgétaires de l’Agence pour l’Enseignement du français à l’étranger (à hauteur de 33 millions d’euros soit 10% du budget), les hashtags anglais non traduits (oneplanetsummit, etc), les discours en langue anglaise et le durcissement de la politique migratoire impactant inévitablement la mobilité des étudiants francophones sont autant de signaux contraires. N’avons nous pas en France un devoir d’exemplarité à l’international ?
« Je serai aux côtés de la jeunesse qui lutte pour la démocratie. » : comment interpréter cette déclaration engageante au regard des rapprochements du Président Macron avec certains chefs d’Etats africains qui méprissent et répriment les aspirations démocratique de cette jeunesse ?
Ces mêmes chefs d’Etats qui se sont frottés les mains de leur participation au Sommet UE/UA, qui n’aura servi strictement à rien sauf à des fins de communication et d’auto-légitimation de ces derniers. La posture pro-européenne du Président Macron est un leurre : loin de suivre les recommandation des institutions communautaires, c’est toujours la France qui tire les ficelles des poupées africaines au sein des organes intergouvernementaux du Conseil de l’UE. Le conseiller Afrique du Président, Franck Paris, est passé à la fois par la DGSE et la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne.
Acte 5 : Décembre 2017. Sommet climat ou « One Planet Summit ». Suite à la défection de Donald Trump à l’accord de Paris signé pendant la COP21, le Président Macron organise avec les Nations Unies un sommet pour mobiliser la finance mondiale afin de lutter contre le réchauffement climatique. Naïf, opportuniste ? À travers la question climatique et sa volonté d’en prendre le leadership, Emmanuel Macron offre sur un plateau une opportunité de légitimer des régimes soi-disant partenaires, qui se sont pourtant installés dans la triche et dans le sang, provoquant l’ire des diasporas et l’indignation des défenseurs de la démocratie et du respect des Droits Humains. Une faute pour celui qui déclarait en septembre à la tribune des Nations-Unies : « Nous devons réconcilier nos intérêts et nos valeurs ».
Alors, qu’attendre en 2018 pour Macron et l’Afrique ? Une politique double, celle des mots et celle des actes, celle qui a permis à la France de rester maître en Afrique et l’amie des dictatures ? Ou celle de l’avenir, celle qui intègre la notion de souveraineté des peuples et la défense des droits fondamentaux ? Aujourd’hui, la France a plus besoin de l’Afrique que l’Afrique de la France. Le sentiment anti-français s’accroit d’un bout à l’autre de nos anciennes colonies. Dans de nombreux pays, les populations hyper-connectées et dont les élites ont été éduquée en Europe voient aujourd’hui clair dans notre jeu. Il apparaît donc indispensable d’en modifier les règles pour y inclure tous les acteurs et notamment les populations. Sans quoi la France perdra bientôt l’Afrique, au mieux, elle s’en fera un ennemi, au pire.