Attentats de Paris : du loup solitaire à la pieuvre djihadiste

Les attentats simultanés du 13 novembre avec ses près de 500 victimes, tuées ou blessés resteront dans l’histoire comme l’attaque terroriste la plus meurtrière jamais connue en France. Mais pour les spécialistes de la lutte antiterroristes, cet effroyable massacre inaugure également une évolution inquiétante, et peut-être durable, de la réalité terroriste actuelle en Europe, et ce pour quatre raisons.

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La mort du concept de loup solitaire

Le 13 novembre aura scellé la mort de la théorie des loups solitaires, forgée par les autorités après les attentats de Mohamed Merah, il y a plus de trois ans.

Pour justifier son incapacité à détecter le profil du terroriste toulousain et à prévenir son passage à l’acte, les forces antiterroristes et le pouvoir sarkozyste de l’époque avaient alors soutenu que Merah, dans la mesure où il agissait seul, s’était rendu totalement indécelable par l’appareil antiterroriste français. Effectivement, les investigations poussées menées pendant plus d’un an dans la région toulousaine n’avaient jamais permis de d’identifier la moindre cellule terroriste de soutien. Seul le frère aîné de Merah, présent lors du vol du scooter qui servira pendant ses massacres, avait été incriminé. Et le passage, avéré, de Merah dans les zones tribales afghanes, tout comme ses liens avec un lieutenant de Ben Laden sur place, avaient été assez largement minorées par les autorités.

En mai 2014, la même théorie du loup solitaire avait été resservie par le gouvernement Valls cette fois, après la tuerie du musée juif de Bruxelles par Mehdi Nemmouche. Malgré son passage en Syrie dans les rangs de Daesh, un engagement attesté par les otages français que le terroriste avait gardés un temps, le djihadiste de la banlieue lilloise était réputé avoir agi seul pour la seule raison qu’aucune cellule logistique n’avait pu être identifiée. Nouvel figure politiquement bien pratique, le loup solitaire servait donc depuis plus de trois ans de cache-sexe à l’impuissance policière.

Elle a encore été resservie lors des tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper-Casher en janvier dernier, même si des échanges de courrier électronique entre au moins le terroriste Amédy Coulibaly et un commanditaire en Syrie ont été détectés depuis. Las ! La théorie du loup solitaire tenait toujours. Elle a même été officiellement consacrée dans la loi, avec l’inscription dans le code pénal d’une nouvelle incrimination conçue pour lui, celle « d’entreprise terroriste individuelle ». Sur cette base a ainsi été présentée comme un grand succès des forces de l’ordre l’arrestation préventive d’un islamiste toulonnais présenté comme sur le point de commettre un attentat contre la base navale de la ville. En réalité, il s’agissait plus sûrement d’une agression au poignard contre un marin en permission que de faire sauter le porte-avion Charles-de-Gaulle. Cet indéniable succès de la DGSI ne scellait pas la victoire de la France contre le terrorisme, comme certains Place Beauvau ont voulu le faire croire.

Les attentats du 13 novembre font voler en éclat cette fiction qui voulait que le principal danger dans le pays soit ces terroristes radicalisés seuls en visionnant des vidéos de propagandes djihadistes sur internet. A Paris, ce sont en effet trois équipes de djihadistes parfaitement entraînés et coordonnés qui sont passés à l’action pour mener un assaut terriblement meurtrier. « Après avoir beaucoup entendu parler de loups solitaires, on va maintenant entendre parler des meutes de loups », ironisait samedi sur Twitter, l’universitaire spécialiste de la lutte antiterroriste Marc Hecker, de l’IFRI. Tous les experts s’accordent pour reconnaître qu’une telle campagne d’attentats ne pouvait qu’être préparées de longue date. La revendication par l’organisation « Etat Islamique » est d’ailleurs suffisamment précise pour laisser penser qu’il s’agissait d’une mission imaginée depuis la Syrie par les chefs terroristes locaux.

La nouvelle donne des kamikazes

Jamais la France n’avait connu d’attaque-suicide. Jusqu’ici en Europe, seule la Grande-Bretagne en avait été victime. Le 7 juillet 2005, quatre terroristes de nationalité britannique, affiliés à Al Qaïda, s’étaient fait sauter dans les transports publics lors d’une attaque coordonnée ayant fait 56 morts et 700 blessés. Le 13 novembre, sept kamikazes, « un groupe ayant divorcé de la vie d’ici-bas », précise le communiqué de renvendication, sont entrés en action à Saint-Denis et Paris. Un fanatisme terroriste poussé à l’extrême. Car si les assaillants du Bataclan se sont fait exploser seulement à la fin de leur massacre, pendant l’assaut de la police, alors qu’ils n’avaient plus aucune chance, les trois kamikazes du Stade de France se sont fait sauter pratiquement seuls, faisant une seule autre victime. Le déroulement des faits n’est pas encore clair. Certaines informations font état d’une tentative d’entrer dans le stade. Un scénario se dessine : Un terroriste aurait prévu de se faire exploser dans le stade, pendant que deux autres auraient actionné leurs engins au milieu de la foule paniquée qui aurait reflué en masse vers la sortie. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Et face à l’impossibilité de pénétrer dans les travées du stade, les terroristes n’ont pas hésité à se faire sauter seuls. Une action qui peut sembler, de prime abord, ratée. Elle est pourtant suffisante pour déclencher, partout dans le pays, « la psychose du voisin », cette méfiance de l’autre, de celui qui marche à côté de nous et qui pourrait être porteur d’un gilet d’explosif. Ravageur en terme de vivre-ensemble.

Le retour à une situation « algérienne »

Les derniers attentats terroristes commis par des Français ciblaient très précisément un objectif « ennemi » pour les djihadistes. Le massacre de Charlie Hebdo visait les caricaturistes du prophète ; celui de l’école juive de Toulouse, de l’Hyper-Casher de Vincennes ou du Musée Juif de Bruxelles, la population juive, assimilée à Israël et ennemie fantasmée des islamistes. Des agressions moins meurtrières ont également visé des militaires français ou des policiers français en tant que représentant des forces sécuritaires. Mais pour la première fois depuis la vague d’attentat de 1995-1996, les attaques de Paris ressortent du terrorisme de masse, du massacre indifférencié. Comme les réseaux du GIA en France dirigés par Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem, auteurs de dix attentats ou tentatives entre juillet et octobre 1995, cherchaient à tuer la population en représailles au soutien de la France au pouvoir d’Alger, Daesh cible maintenant tous les Français pour « venger » les bombardements aériens de l’armée de l’air en Syrie et en Irak. Les conséquences sont multiples. Mais la première d’entre elle est qu’il devient quasi-impossible de protéger la population puisque les cibles d’éventuelles frappes sont pratiquement impossibles à deviner.

Le spectre de la Cinquième colonne

Au-delà de l’horrible bilan morbide de ces attaques, l’éventuelle présence parmi les assaillants d’un migrant syrien est sans doute l’élément le plus dévastateur pour le futur du pays. On sait qu’au moins un passeport syrien, au nom d’un migrant enregistré cet été par les autorités grecques dans l’île de Leros, le point de passage des migrants vers l’Europe, a été retrouvé près du corps déchiqueté du premier kamikaze du Stade de France. Si le passeport au nom d’Ahmad Almohammad, né il y a 25 ans à Idlib, une zone actuellement tenue par Daesh, se révélait authentique et s’il appartenait effectivement au terroriste, cela signifierait que Daesh a envoyé des « soldats du califat » dissimulés dans les hordes de migrants sincères fuyant le conflit en Syrie et accueillis avec plus ou moins de bonne volonté par les pays européens au nom des droits de l’homme. L’homme aurait suivi la route des migrants passant de Grèce en Macédoine puis entrant en Serbie le 7 octobre, date à laquelle on perd sa trace après sa demande d’asile politique.

L’organisation « Etat Islamique », qui compte parmi ses dirigeants des anciens gradés des services secrets de Saddam Hussein, est malheureusement parfaitement capable d’avoir imaginé un tel scénario. S’il s’agit vraiment de cela, le regard bienveillant qu’une partie de la population européenne porte à ces réfugiés, va changer du tout au tout. Les risques d’incidents dans les centres d’accueil, déjà sporadiques, notamment en Allemagne, pourraient alors s’aggraver. Et les portes de l’espace Schengen se fermer définitivement. C’en serait terminé de l’idéal européen et de la liberté de circulation.

C’est évidemment l’objectif des terroristes. Celui qu’il faut combattre, donc.