Ces « résistants » du Hamas qui sont aussi des « terroristes »

Le Hamas est créé en 1987 par le cheikh Ahmed Yassin, Abdel Aziz al-Rantissi et Mohammed Taha, tous trois issus de l’organisation islamique des Frères musulmans. Est ce une organisation « terroriste » ou l’expression politico-militaire de la « résistance » d’une partie des Palestiniens qui se fédèrent sur une base religieuse et tentent accéder à la souveraineté d’un État?
 
Le 7 octobre dernier, l’assassinat aveugle des civils israéliens est clairement de nature terroriste , mais ne saurait résumer les trente six années d’existence de ce mouvement islamiste plus divisé qu’on ne le dit généralement..
 
Ainsi la direction politique du Hamas a su, durant sa courte histoire sanglante, tenter de réels compromis avec l’État israélien. Les pro-israéliens verront dans ces stratégies successives une preuve supplémentaire de la fameuse duplicité des Frères Musulmans. Les pro-palestiniens et leurs alliés dénoncent l’instrumentalisation d’une partie des Palestiniens par un État hébreu qui a toujours refusé la perspective des deux États sauf lors de la courte exception des accords d’Oslo
 
 
 
Le Hamas, acronyme de Haraka al muqawama al-islamiya, -mouvement de la résistance islamique- peut sans doute être doublement qualifié de « terroriste » et de résistant » :
 
« Terroriste », il l’est car il sème la terreur, que ce soit lors de la vague d’attentats suicides qui ont endeuillé Israël depuis le début du XXIème siècle ou, à l’évidence, durant la sanglante attaque des Kibboutz situés le long de la frontière avec la bande de Gaza, le 7 octobre.
« Résistant », le Hamas l’est aussi puisqu’il prétend se battre contre Israël au nom des Palestiniens dans leur ensemble,  ceux de Gaza comme ceux de Cisjordanie ou de Jordanie.
 
La légitimation fracassée de l’Autorité palestinienne, basée à Ramallah, et le manque de crédibilité de son vieux leader à la réputation de satrape corrompu, Mahmoud Abbas, ont permis l’envol du mouvement islamiste fondé en 1987 lors de la première intifada -« la guerre des pierres »- par des militants des « frères musulmans ».
 
Il fut un temps où les Israéliens et leurs services secrets ont misé sur la montée en puissance des dirigeants du Hamas pour affaiblir l’Autorité palestinienne et diviser la population. À plusieurs reprises, dans les années quatre vingt, les Israéliens ont donné le feu vert ou soutenu l’établissement d' »Associations islamiques » à Gaza, ces dernières qui allaient précisément donner naissance plus tard au « Hamas » et à son allié du « Jihad islamique ». Jusqu’aux Accords d’Oslo, l’État hébreu aura ainsi fait feu de tout bois pour contrer l’OLP. 

L’OLP chassé de Gaza

Pour comprendre les dynamiques politiques à l’oeuvre, il convient de rembobiner le film. Voici trente six ans, le mouvement islamiste politico-religieux, substitut à une administration défaillante,  a réussi à s’attirer les faveurs de nombreux Gazaouis notamment par le biais de ses oeuvres caritatives permettant d’apporter de l’aide au quotidien à la population (écoles, cliniques..)
 
Dès sa naissance, le Hamas adopte une position radicale : le mouvement n’adhère pas à l’OLP, prône l’idée du djihad contre les « juifs » et s’oppose à tout dialogue avec Israël. Il est aussi opposé aux fameux « Accords d’Oslo » » signés en 1993 par l’OLP et Israël, des accords instaurant pour cinq ans l’établissement de l’Autorité palestinienne.
 
En 2006, date charnière, le Hamas est à couteaux tirés avec cette même « Autorité » depuis les élections remportées démocratiquement et de justesse: 43% pour le Hamas contre 40% pour son rival. L’année suivante, parachevant ce processus de guerre fratricide, les Frères Musulmans expulsent de Gaza par la force et au prix de durs combats les membres du Fatah – le vieux parti de Yasser Arafat et composant principal de l’OLP. 
 
Dans le monde arabe, le Hamas est ainsi de plus en plus perçu par de très nombreux Palestiniens comme le fer de lance de la « résistance » , puisque l’Autorité palestinienne apparaît comme paralysée et de surcroît, entachée en Cisjordanie par « sa collaboration » sécuritaire avec Israël…Lors de la négociation des accords d’Oslo des bombes sont placées dans les bus israéliens tuant des victimes civiles. Lors de la seconde intifada, qui débute en 2000, le Hamas intensifie sa stratégie d’attentats suicides dans les villes de l’Etat hébreu.
 
Le prédicateur « Cheikh » Ahmed Yassine, militant paraplégique depuis l’adolescence, ne se déplace qu’en fauteuil roulant, le Hamas n’est d’ailleurs 
 

Un Hamas « pragmatique »

 
En 2004, le dirigeant et fondateur du Hamas, le prédicateur « Cheikh » Ahmed Yassine, est assassiné par l’armée israélienne. Des hélicoptères de combat le frappent d’un salve de missiles à la sortie d’une mosquée de Gaza. Il a 67 ans. Cet ancien prisonnier des geôles israélienne ne représente à son début que l' »aile militaire » des Frères musulmans.
 
La surprise, la voici: le Cheikh avait pourtant, peu de temps avant sa mort,  affiché un certain pragmatisme, déclarant être favorable au principe d’une « houdna » – trêve de longue durée-  avec l’état hébreu, laissant à la « génération suivante » le soin de reprendre ou non le combat et d’achever l’objectif d’une Palestine souveraine.
 
Le Hamas a toujours su faire preuve à cette époque d’un certain pragmatisme et d’une capacité à évoluer au regard de sa charte initiale. En 2005, soit un an après l’assassinat de son fondateur, la direction du mouvement décide de mettre fin aux attentats suicides; l’année suivante, il accepte le principe d’un processus électoral en acceptant de présenter des candidats au scrutin législatif de 2006. Son nouveau leader Ismaël Haniyeh, qui fut le chef de cabinet du défunt « cheikh », devient premier ministre palestinien.
 
Une décennie plus tard, la direction politique du Hamas publie une nouvelle charte qui démontre un certain infléchissement de sa politique, affirmant par exemple que son combat n’est pas dirigé contre les « juifs » en tant que tels,  mais plutôt contre les « agresseurs sionistes ».
La nuance n’est peut-être pas que sémantique : certains analystes remarquent que le Hamas ne se réclame plus d’une légitimité exclusivement religieuse.
 
En 2016, le ministre de la Défense de l’époque, Avigdor Liberman, avait rédigé un document de 11 pages mettant en garde contre les plans du groupe terroriste palestinien du Hamas visant à faire irruption par la frontière de Gaza, à envahir les communautés du sud d’Israël, à organiser des massacres et à prendre des otages

L’ erreur fatale des Israéliens

Les services israéliens et occidentaux se sont fiés au pragmatisme de la direction politique du Hamas réfugiée au Qatar et en Turquie et n’ont pas compris qu’au coeur de Gaza, un groupuscule militaire extrémiste préparait un massacre spectaculaire, en tournant le dos au relatif pragmatisme qui présidant aux relations entre Israéliens et Palestiniens . 
 
Certes, les combattants de sa branche militaire, les « brigades al qassam », continuaient à envoyer des roquettes sur Israël. Ces attaques provoquant toujours de très fortes répliques de Tsahal. Mais les Israéliens comme les Occidentaux, tournés vers le rapprochement entre Tel Aviv et quelques grands capitales arabes (Arabie Saoudite, Émirats, Maroc ..) voulaient croire que ces affrontements relevaient d’un jeu de rôle maitrisé. Chaque camp jouait sa partition, mais sans jamais franchir certaines lignes jaunes, un peu à la façon dont l’armée israélienne et les combattants du Hezbollah libanais se livrent à des affrontements de basse intensité.
 
Seul un document signé en 2016 de la main de l’ancien ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, et transmis en main propre à Benyamin Nétanayhou, déjà Premier ministre, décrivait le scénario de l’attaque du 7 octobre avec l’offensive sur des villages israéliens, le risque de prise d’otages et les limites de la barrière de sécurité. « Je raconte que le Hamas est en train de s’armer et de monter en puissance, a raconté Liberman dans une interview donnée au Times of Israël. Je précise que si nous ne l’attaquons pas avant fin 2017, c’est lui qui nous attaquera ». 
 
Ce signal d’alerte avait été balayé d’un revers de main par les gradés israéliens, dont Gadi Eisenkot, alors chef d’Etat-major et actuel membre du cabinet de guerre piloté par Benyamin Nétanyahou. Les Israéliens avaient nourri en leur sein la direction militaire du Hamas, « ces Brigades » terrées dans les tunnels de Gaza et habités par la haine contre les juifs, sans vraiment prendre conscience des risques d’une déflagration générale.
 

Dans le 2eme volet de notre enquête, nous analysons comment la direction militaire a imposé sa loi à l’ensemble du Hamas

Notre série sur Hamas (2), les militaires ont pris le pouvoir sur le politiques

 
 
 
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)