Niger, la junte militaire au pouvoir en panne de projet

Derrière les victoires sur le départ des troupes françaises et la levée des sanctions de la CEDEAO se cachent des difficultés du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) à tenir plusieurs de ses engagements et à donner une vision et un cap clairs à la transition au Niger. Un sérieux bémol doit nuancer ce bilan pessimiste. Leniger pourrait connaitre un des taux de croissance les plus élevés du continent africain en raison d’une mise en exportation de 90000 barils de pétrole par jour (contre 20000 aujourd’hui), d’ici deux mois,  via l’oéloduc qui relie le gisement d’Agadem au Bénin.  

Près de huit mois après le coup d’Etat militaire qui a renversé le président Mohamed Bazoum, personne ne connaît encore la durée de la transition avant le retour des civils au pouvoir. Le général Abdourahamane Tiana a annoncé en août 2023 la tenue d’un dialogue national inclusif, censé déterminer la durée et l’agenda de la transition. Toutefois, plus de six mois après cette annonce, le dialogue inclusif ne s’est toujours tenu. Il ne semble même plus être une priorité de l’agenda des militaires au pouvoir à Niamey.

En prenant en compte le début du ramadan dans la semaine du lundi 11 mars, il y a peu de chance que le dialogue inclusif, dont les termes de référence n’ont pas été encore rédigés, se tienne avant le mois de mai.

Surprise et incompréhension

Le dialogue inclusif n’est pas le seul dossier sur lequel le CNSP semble à la peine et susciter des interrogations dans une large partie de l’opinion, y compris chez des personnes qui s’étaient fortement mobilisées pour le départ des forces françaises et contre toute intervention militaire de la CEDEAO. Le sentiment de malaise qui a succédé à l’euphorie du départ de l’armée française s’est récemment aggravé avec le voyage aller-retour en février à Addis-Abeba au 37 ème Sommet de l’Union africaine de l’ancien président Mahamadou Issoufou.

Alors que certains milieux de la société civile demandaient son arrestation et que d’autres réclamaient au CNSP au moins des gages de sa mise à l’écart totale de la transition, le déplacement en jet privé de l’ex-président en passant par le salon d’honneur de l’aéroport Hamani Diori de Niamey a d’abord suscité l’incrédulité des Nigériens, ensuite leur incompréhension. Le sort de l’ex-président constitue visiblement un caillou dans la chaussure des militaires au pouvoir à Niamey. Leurs tergiversations face au cas Issoufou accréditent l’idée de l’existence d’une aile du CNSP plus bienveillante avec l’ex-président et une autre prête à lui demander des comptes sur sa gestion.

Outre « le cas Issoufou », les militaires n’ont pas encore convaincu sur leur volonté de lutter contre « la mauvaise gouvernance économique et sociale », pourtant un de leurs arguments avec l’insécurité pour justifier le renversement du régime de Mohamed Bazoum. A la surprise générale, la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEF) avait annoncé qu’elle n’a hérité d’aucun dossier de la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilés (HALCIA) parce que celle-ci avait écrasé tous les fichiers avant de cesser ses activités. Le démenti à cette prétention apporté par la HALCIA qui a non seulement assuré que les fichiers existaient bel et bien parce qu’ils ont été sauvegardés mais surtout qu’elle était prête à les remettre à la COLDEF ont jeté un doute sur la réelle volonté de mener pendant cette transition la croisade contre les 12 années et demie de la mauvaise gouvernance Issoufou/Bazoum.

Confusion autour des lingots d’or

Le dossier le plus emblématique des ratés de la gouvernance qui a succédé au coup d’Etat du 26 juillet, c’est bien celui de 1.400 kg d’or, soit l’équivalent de 90 millions d’euros, en provenance du Niger interceptés en janvier dernier à l’aéroport d’Addis-Abeba, en transit pour Dubaï. Après avoir opposé un mutisme total à la rumeur sur cet or frauduleusement sorti du Niger, le CNSP a fini par communiquer par la voix du ministre nigérien de la justice Alio Daouda qui a assuré qu’une enquête était en cours et que la police judiciaire a été saisie pour entendre des personnes qui pourraient avoir un lien avec cette affaire. 

« La préoccupation, c’est de savoir quelle est la quantité d’or qui est mise en cause au niveau de l’aéroport international de Niamey. A qui profite cette quantité d’or ? Je veux dire à qui appartient cette quantité d’or et qui a intérêt à ce que cette quantité d’or soit exportée vers Dubaï. Il y a trafic illicite. Il y a contournement de la loi, il y a contournement des services de l’Etat. Et l’Etat est totalement défaillant Où sont les complices de ce qui se passe ? », avait-il déclaré à la radio nationale nigérienne.

Fait totalement surprenant, quelques plus tard, le général Tiania, prenant le contrepied du ministre de la justice, a écarté l’existence de cette affaire d’or sorti du Niger, expliquant qu’il pourrait s’agir un dossier monté de toute pièce pour nuire aux autorités de la transition. Son argumentaire a été fragilisé par la mutation-sanction infligée à tous les agents de l’Etat (police, douanes, gendarmes, renseignement, etc.) en service à l’aéroport après le scandale de l’or dont on ne connaît toujours pas l’identité exacte du propriétaire. Peu de jours après la sortie non déclarée de cette importante quantité d’or, le CNSP a subitement fait suspendre tous les permis miniers, en attendant d’y voir clair. Depuis lors, une sorte de black-out total s’est abattue sur cette affaire d’or, alimentant les interrogations : l’or a-t-il été récupéré ? Est-il toujours en Ethiopie entre les mains des autorités éthiopiennes ? A-t-il continué à Dubaï, sa destination finale ? Si oui, pour le compte de qui ? C’est plutôt motus, bouche cousue du côté du CNSP et du gouvernement qui semblent être mal à l’aise avec cette quantité d’or saisie en Ethiopie.

Wagner, pomme de discorde

Les autorités de Niamey paraissent, en revanche, bien plus à l’aise dans la revendication de leurs relations avec Moscou. Le Premier ministre Ali Lamine Zeine s’est rendu en janvier dernier à la tête d’une importante délégation à Moscou où il a discuté des accords dans de nombreux secteurs tels que la défense, l’agriculture, la formation des cadres nigériens. Une délégation militaire russe conduite par le vice-ministre de la défense Yunus-Bek Yevkurov avait également séjourné en décembre 2023 à Niamey.

Si les relations avec la Russie sont clairement assumées et consensuelles, par contre l’arrivée probable au Niger du groupe militaire Wagner, déjà présent au Mali et probablement au Burkina Faso, provoque des lignes de fracture à l’intérieur du CNSP. En effet, il existe d’un côté les farouches partisans de l’arrivée de Wagner emmené par le général Saifou Modi, ministre de la Défense, très proche des militaires maliens, et de l’autre les adversaires résolus du groupe de sécurité russe incarnés par le tandem formé par Moussa Salaou Barmou, chef d’état major général de l’armée et Mamane Sani Kiaou, chef d’état-major de l’armée de terre, deux officiers américanophiles. Formés par les forces spéciales américaines le général Barmou et le colonel Mamane Sani Kiaou ont été les interlocuteurs privilégiés des Etats-Unis après le coup d’Etat du 26 juillet. Des gages alors fournis aux Américains que Wagner ne mettrait pas pied au Niger les avaient convaincus de maintenir la présence dans le pays des quelque 1200 soldats et la reprise rapide des activités de lutte contre le terrorisme et de la coopération militaire. Faute d’accord à l’intérieur de la junte nigérienne, le débat sur l’arrivée de Wagner dans le pays a été renvoyé aux calendes grecques. Il pourrait, toutefois, resurgir à tout moment. Avec les risques que les choses se passent moins bien que sur le voyage controversé de l’ex-président Issoufou à Addis-Abeba ; l’affaire de l’or saisi en Ethiopie ou les atermoiements de la junte dans la lutte contre la délinquance financière et économique pendant les 12 années et demie des présidents Issoufou et Bazoum.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)