Mal compris par ses pairs européens qui espèrent secrètement sa défaite lors de la présidentielle turque prévue le 14 mai, le président Racep Tayyip Erdogan jouit de l’estime de certains de ses homologues africains et d’une bonne partie de l’opinion publique du continent qui voient en lui le défenseur des « Etats faibles et opprimés ». Mais aussi l’artisan du décollage du partenariat turco-africain.
C’est à Ankara, capitale politique de la Turquie, que l’ancien président guinéen Alpha Condé, renversé par un coup d’Etat militaire, le 5 septembre 2021, a choisi de poser ses valises pour ses années d’exil. Ancien leader de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et opposant historique, qui a passé 50 ans à Paris où il dispose d’un appartement dans le 13 ème arrondissement, avant d’accéder au pouvoir, L’ex-président guinéen a préféré Ankara à la capitale française et Brazzaville où le chef de l’Etat congolais Denis Sassou Nguesso, son grand ami, lui a offert gîte et couvert.
Derrière la symbolique de ce choix d’Ankara, se cache le poids désormais grandissant de la Turquie dans les affaires africaines.
Tropisme africain
En devenant président de la République, après avoir été Premier ministre, le président Erdogan a choisi de donner un nouvel élan à la présence turque en Afrique. L’ancien Maire d’Istanbul aura ainsi effectué en 2021 sa quinzième visite de travail en Afrique en se rendant en Angola, au Nigeria et au Togo. Par ses diatribes enflammées et ses outrances peu diplomatiques envers ses homologues européens, notamment Emmanuel Macron et Angela Merkel, alors Chancelière allemande, Erdogan s’est construit une réputation de modèle pour ses très nombreux homologues africains. Certains présidents africains voient en effet en lui « le résistant » au diktat de l’Occident qu’ils auraient voulu être. Pour d’autres, Erdogan c’est le chef d’Etat à poigne qui se passe des critiques et injonctions venues d’une « communauté internationale » si étouffante.
Le président turc, de son côté, a compris qu’il faut caresser ses homologues africains dans le sens du poil et combler leur désidérata, y compris les plus extravagants. L’ancien président sénégalais Wade décide de construire, à la périphérie de Dakar, un Centre international de conférences flambant neuf et un nouvel aéroport international, Erdogan répond présent à ses côtés pour satisfaire l’ambition de grandeur de son homologue sénégalais.
Macky Sall, successeur de Wade, décide de doter le Sénégal d’un Stade international digne du prestige footballistique de son pays, c’est à nouveau Erdogan qui répond présent à ses côtés pour construire un Stade de 50.000 places d’un montant de 235 millions d’euros, à Diamnadio, à la périphérie de la capitale sénégalaise. Mahamadou Issoufou, président du Niger, décide de doter le Niger d’une nouvelle aérogare internationale, sans commune mesure avec le trafic passager annuel à Niamey (environ 350.000 passagers/an), Erdogan répond présent à travers un partenariat public/privé (PPP) et engage les travaux de rénovation de l’aéroport international Hamani Diori de Niamey pour 152 millions d’euros (près de 100 milliards de FCFA).
« L’arrogance occidentale » dénoncée
A cette diplomatie d’infrastructures de prestige, adorée par ses pairs africains, Erdogan a ajouté l’ouverture tous azimuts d’ambassades turques en Afrique. Avec l’inauguration de sa représentation diplomatique en avril 2021 à Lomé, Ankara a ainsi ouvert sa 44 ème ambassade en Afrique, soit le deuxième plus vaste réseau diplomatique européen en Afrique, derrière celui de la France (46 ambassades de France en Afrique). En 2002, la Turquie ne comptait seulement que 12 ambassades sur le continent.
Partout en Afrique, les ambassadeurs turcs ont la ferme instruction de ne pas se mêler d’affaires intérieures, ni de faire preuve d’arrogance. Au contraire, ils doivent tout mettre en œuvre pour convaincre leur pays hôte que la Turquie agit différemment, qu’elle se distingue de « l’arrogance coloniale et de l’impérialisme » des autres.
Outre l’instauration d’un sommet régulier Turquie/Afrique, la ville d’Ankara est devenue une destination courue des chefs d’Etat africains. Pas moins de 37 ambassades africaines ont ouvert dans la capitale politique turque pour faciliter les séjours des délégations officielles. Dans un continent traversé de part en part par des crises sécuritaires endémiques, Erdogan a vite compris les dividendes que son pays pourrait tirer en ajoutant au volet politique des aspects militaires. Drones, avions de reconnaissance, blindés, la Turquie est devenue progressivement un des principaux fournisseurs d’armes aux Etats africains qui apprécient le rapport qualité/prix des équipements turcs ainsi que les délais de livraison courts et l’absence de conditionnalités, notamment celles liées au respect des droits de l’homme et à la démocratie.
Fait remarquable, la Turquie a ouvert en 2017, à Mogadiscio, en Somalie, sa plus grande base militaire à l’étranger. « Partout où je vais en Afrique, tout le monde ne me parle que des drones », s’’était réjoui en 20121 le président Erdogan, de retour d’une tournée africaine. Pour la seule république fédérale d’Ethiopie, les livraisons d’équipements militaires turcs s’étaient élevées en 2021 à près plus de 94 millions de dollars.
Boom des échanges économiques
Entre Erdogan et les pays africains, c’est une sorte de deal tacite : le chef de l’Etat turc ne se mêle pas des affaires intérieures des Etats du continent et, en retour, personne en Afrique ne lui tient rigueur de la gestion d’une main de fer de son pays. Le président turc est même plutôt perçu sur le continent comme le « porte-voix des sans-voix » et l’architecte de la nouvelle prospérité des échanges économiques turco-africains.
De Kinshasa à Bamako, en passant par Pretoria, Libreville et Niamey, impossible aujourd’hui de parcourir l’Afrique sans côtoyer des enseignes commerciales turques et parfois même des foires commerciales saisonnières.
Les échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique ont connu une progression fulgurante pour atteindre près de 25,4 milliards de dollars en 2021. Pas moins de 1700 marchés étaient exécutés à la même date par des entreprises turques en Afrique. La compagnie nationale turque Turkish Airlines est devenue le transporteur national de nombreux pays africains, assurant des liaisons aériennes entre son hub d’Istanbul et plusieurs capitales africaines. Par la seule volonté du président Erdogan, même les lignes les moins rentables ont été maintenues alors que de nouvelles liaisons de Turkish Airlines vers l’Afrique ouvrent chaque année. Mieux, Turkish Airlines est même devenu dans les pays sahéliens, notamment, la principale compagnie de transport des pèlerins vers la Mecque.
Le soft power à l’oeuvre
Au-delà de son aspect purement économique, la Turquie d’Erdogan a bien compris le capital de sympathie que peut lui assurer le transport des pèlerins d’Afrique vers les lieux saints musulmans d’Arabie Saoudite. C’est aussi dans le cadre de cette même politique du soft power qu’Erdogan a offert un siège flambant neuf à Bamako au Haut Conseil islamique du Mali. Il s’y ajoute par ailleurs une forte explosion du tourisme médical des Africains vers la Turquie qui accorde de très nombreuses facilités de visa là où les pays européens, quant à eux, mettent un tour de vis. Des hôpitaux turcs de référence ont fleuri dans de nombreuses capitales africaines pour proposer des prestations médicales de qualité sur place à ceux qui n’auraient pas suffisamment des moyens pour s’offrir un séjour médical à Ankara ou Istanbul.
Alors qu’une bonne partie des dirigeants européens parie sur une défaite du président Erdogan lors de la présidentielle prévue le week-end prochain en espérant ouvrir une nouvelle page des rapports euro-turcs, en Afrique la préférence va majoritairement à sa réélection pour poursuivre et approfondir la trajectoire montante des relations devenues stratégiques entre Ankara et le continent.
Francis Sahel
Présidentielle turque, Recep Tayyip Erdogan au pied du mur
La Turquie vendeur d’armes majeur en Afrique