Burkina, ces groupes d’Afrique de l’Ouest qui alimentent un terrorisme ravageur

Démunis face aux groupes terroristes venus des pays voisins, le pouvoir burkinabé tente de trouver un bouc émissaire chez l’ancien président Blaise Campaoré

Le bilan sécuritaire du Burkina donne le tournis : 499 personnes (civiles et militaires) tuées entre novembre 2018 et mars 2019 ; 1933 écoles fermées et 9042 enseignants contraints au chômage technique alors que plus de 300 000 élèves ne prennent plus le chemin des établissements scolaires.

Le dimanche 26 mai, six fidèles ont été tués pendant une messe lors d’une nouvelle attaque contre une église catholique à Toulfé, localité du nord du Burkina Faso. A quelques encablures du Mali, les attentats contre des chrétiens se multiplient, d’après l’évêque de Ouahigouya, Justin Kientega.

Si jusqu’en 2015, le pays a été épargné par la gangrène terroriste qui a touché le Mali et le Niger, aujourd’hui les djihadistes agissent au Burkina Faso à l’est, au nord, au centre-nord et même dans Ouagadougou, cible d’attaques spectaculaires en janvier 2016, août 2017 et  mars 2018.  

La descente aux enfers

Au départ, « Ansarul islam », mouvement djihadiste burkinabé fondé par le prédicateur Ibrahim Dicko,  était désigné comme le responsable des attaques terroristes. Mais très vite, le caractère complexe et offensif ainsi que l’ingénierie logistique ont convaincu les spécialistes de l’existence de liens opérationnels entre le mouvement local burkinabé et d’autres groupes djihadistes agissant dans la région. Ces spécialistes de sont formels : les attaques de mars 2018 contre l’état-major général de l’armée burkinabé et l’ambassade de France n’ont pu être commises que par des structures terroristes telles que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) fondé par Iyad Ag Gali ou par l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS) de Adnan Abou Walid.

Face à l’évidence, le gouvernement a pourtant choisi le déni. Il a en effet repoussé les offres d’assistance des forces étrangères présentes dans la région pour privilégier des solutions nationales comme les changements en 2017 à la tête de l’armée, de la gendarmerie,  de la police ainsi que la création d’une Agence nationale du renseignement (ANR) confiée au colonel François Ouédraogo.

Ces mesures n’ont pas suffi à arrêter la descente aux enfers : les attaques étaient même devenues quotidiennes alors que la menace gagnait d’autres régions du pays jusque-là épargnées.

Blaise Campaoré, bouc émissaire

En 2019, le gouvernement a limogé cinq gouverneurs des provinces concernées et instauré l’état d’urgence. Mais, ces mesures n’ont pas été plus efficaces que les premières. A Ouagadougou, tout étant convaincu que ces mesures auront des retombées,  on accuse la main invisible de l’ancien président Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire après sa chute en 2014, d’être derrière la menace terroriste.  

En 2017, au lendemain de l’attaque contre Ouagadougou, le ministre de la Communication Remis Dandjinou, Thiery Hott, Conseiller spécial du président Roch Marc Christian et Chérif Sy, alors Haut-Représentant du président, avaient fait le tour de certains cercles d’influence à Paris pour leur vendre l’idée de la main de Compaoré dans les attaques terroristes. Il fut effectivement un temps où Ouagadougou était devenue la capitale de la libération des otages.

A cette époque-là, Blaise avait formé une équipe spéciale dédiée aux opérations de libération d’otage, un business qui a, selon l’ONU, vu circuler près de 180 millions d’euros dans le Sahel.  Moustapha Chafi le conseiller spécial de Blaise, son chef d’état-major particulier le général Gilbert Diendéré ainsi que son ministre de la sécurité puis des Affaires étrangères Djibril Bassolé étaient préposés à cette tâche. Ils en ont certes profité pour tisser des liens de proximité avec certains groupes djihadistes encore actifs au Sahel.  De là à penser que le clan Campaoré actionne les djihadistes pour déstabiliser le Burkina Faso, il n’y a qu’un pas que le pouvoir de Roch a franchi allègrement.

Toutefois, aucun élément matériel n’étaye l’accusation, Chafi vit désormais au Qatar où il est plus occupé à mettre son carnet d’adresses africaines au service de l’émirat qu’à bâtir une stratégie de retour au pouvoir de son ex-mentor. A 68 ans, Blaise Compaoré  vit son exil doré à Cocody, quartier chic d’Abidjan, après avoir pris officiellement la nationalité ivoirienne. Sauf à prouver le contraire, il n’est pas sûr que son agenda soit aujourd’hui de s’allier avec les groupes djihadistes pour faire tomber son successeur. Surtout lorsque ceux-là attaquent l’ambassade de France à Ouagadougou.

Il ne faut guère oublier que c’est Paris qui, au plus fort de l’insurrection populaire, a exfiltré Blaise Compaoré à travers une opération spéciale montée par la DGSE (services secrets français).

L’Afrique de l’Ouest gangrenée

A bien regarder la situation sécuritaire actuelle du Burkina, la vraie menace n’est ni Blaise ni Chafi,  mais le risque de contagion de la menace terroriste aux pays non sahéliens d’Afrique de l’Ouest : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée et le Togo. La Côte d’Ivoire (en mars 2016 à Grand Bassam)  et le Bénin (avec l’enlèvement en mai 2019 de deux Français) ont déjà été la cible d’actions terroristes. Un groupe djihadiste a été démantelé en avril 2019 au Togo alors que certains spécialistes soutiennent qu’il existe déjà  des cellules dormantes au Ghana.

Malgré les maigres espoirs que suscite l’avancée très laborieuse vers la mise en place effective de la force du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), la sous-région semble totalement démunie face à la puissante de feu des groupes djihadistes. Il est à craindre que l’Etat islamique, quasiment vaincu en Irak et en Syrie, concentre ses dernières actions au Sahel.