Centrafrique, les échéances présidentielles exacerbent les tensions

Depuis l’indépendance, tous les présidents centrafricains ont été congédiés sans ménagement (1). Le président Touadera échappera-t-il à cette malédiction lors de l’élection présidentielle prévue au début de 2021?

Les massacres dans des villages, près de Paoua le 21 mai 2019, par des hommes d’un ministre-conseiller à  la Primature et le blocage du corridor entre le Cameroun et Bangui par les hommes d’un autre signataire de l’Accord de Khartoum et, de surcroît, ministre de chargé de  » la modernisation de l’administration » ( sic) contribuent à Bangui à l’agitation du microcosme.

Mais ce sont surtout les échéances, pourtant lointaines, de l’élection présidentielle, qui mobilisent les habitués de la « mangeoire » centrafricaine et exacerbent les passions. 

Le président Touadera en pôle position

Faustin-Archange Touadera ne fut pas épargné par la disgrâce et l’exil. A la suite du coup d’Etat de l’ex Seleka de Michel Am-Nondroko Djotodia, du 23 mars 2013, le Premier ministre du président Bozize ne dut son salut qu’à l’accueil du Binuca de l’ONU, où il passa plusieurs mois de réclusion, puis grâce à la France qui assura son exfiltration et son exil. Deux ans plus tard, il était élu président de la République…

Il est vrai que le président Touadera et son équipe de campagne avait beaucoup appris avec François Bozize, notamment lors des élections « hold up »de 2011.

Avec l’Accord de Paix et de réconciliation de Khartoum, signé le 6 février 2019 à Bangui, le président Touadera s’est assuré du soutien des 14 groupes armés signataires, qui contrôlent 80 % du territoire national. On peut penser que les futurs résultats électoraux de Faustin-Archange Touadera dans ces fiefs rebelles, qui n’autoriseront probablement aucun contrôle, seront à la hauteur des concessions et avantages qu’il leur a consentis. La cogestion du pays et l’impunité de fait seront les grands atouts électoraux du « candidat de la rupture »…

La réforme du code électoral devrait aussi servir les intérêts du chef de l’État sortant. Si les députés avaient légèrement amendé le projet de loi gouvernemental, résultant d’un consensus d’experts indépendants, ils l’ont adopté le 23 avril 2019. Curieusement, le chef de l’État a refusé de promulguer ce texte législatif pour finalement saisir, hors délais constitutionnels, une Cour constitutionnelle toujours pleine d’égards envers le chef de l’État. La censure partielle du texte a permis de donner un vernis démocratique et d’éliminer certaines dispositions qu’avaient proposées les experts indépendants consultés en amont.

Le bal des prétendants est ouvert

La campagne électorale est désormais ouverte. Les principaux leaders politiques ont commencé « les tirs d’artillerie lourde ».
L’ancien premier ministre (1999-2001) du président Patasse,  Anicet-Georges Dologuele, qui fut « victime de la remontada » de Faustin-Archange Touadera, souhaite prendre sa revanche. Il remobilise son parti politique – l’URCA- et ses réseaux d’amitié essentiellement dans les milieux des affaires, grâce à son cabinet de consultance. Ses interviews affichent sa volonté cachée d’en découdre avec son vainqueur de 2016, comme en témoigne son entretien avec notre confrère Jeune Afrique ( n° 3048 du 9 au 15 juin 2019).

Karim Meckassoua, plusieurs fois ministre sous la présidence Bozize ( 2003-2013) est le plus combatif. Il a peu digéré son éviction de la présidence de l’Assemblée nationale par un vote de défiance des députés, orchestré par le chef de l’État. Dans sa dernière interview dans le média en ligne 54etats.com, il demande la comparution du président Touadera devant la Haute cour de justice en listant les motifs de cette demande de destitution. Karim Meckassoua n’est pas à son coup d’essai. Il contribua au renversement du président Patasse et à l’avènement de François Bozize. Ses capacités de nuisance sont loin d’être  négligeables, d’autant qu’il peut compter sur un important réseau d’amitié à l’extérieur du pays .

Martin Ziguele, également ancien Premier ministre du président Patasse ( 2001-2003) essaie de reprendre en main son parti -le MLPC- qui est loin de partager son alignement sur la politique du président Touadera. Encore apprécié dans les milieux socialistes européens, il est durablement marqué par les violences des Banyamulenge de Jean-Pierre Bemba, à Bangui en 2002-2003. Néanmoins, ses dernières interventions et actions, tant médiatiques qu’humanitaires, montrent que Martin Ziguele sera probablement une nouvelle fois prétendant à la candidature présidentielle.

Mahamat Kamoun, ancien Premier ministre de la Transition de Catherine Samba-Panza (2014-2016), est sorti de sa réserve pour créer, le 6 juin 2019, son parti politique,  » La Centrafrique pour tous ». Ce Rounga,  musulman natif de Ndélé, formé aux Etats-Unis d’Amérique, espère obtenir le soutien de Catherine Samba-Panza et des rebelles du nord-est afin d’être le véritable artisan de la réconciliation nationale. Sa gestion financière de la Transition et notamment l’affaire du don angolais de 10 millions de dollars us seraient-elles oubliées par les Centrafricains ?

Jean-Serge Bokassa, cinquième de la dernière élection présidentielle, avec 6 % des voix, est en opposition ouverte, après son limogeage du gouvernement en 2018 et la spoliation du domaine impérial de Berengo, au profit des militaires russes. Très populaire dans le sud-ouest du pays, il n’est pas que l’un des fils de l’empereur Bokassa. Il est aussi l’une des rares personnalités qui a toujours été proche de la population et a fait preuve de courage dans ses condamnations des dérives du régime actuel. 

De lourds nuages


Paradoxalement, le climat politique s’est considérablement aggravé depuis l’Accord de Khartoum. L’opposition s’est rassemblée dans le « Mouvement pour la Défense de la Nation » –  » E Zingo Biani ». Outre plusieurs partis politiques, les organisations de la société civile et des syndicats se sont ligués contre la capitulation du président Touadera envers les 14 groupes armés. Le mouvement « E Zingo Biani » entend mobiliser la population dans des actions de protestation contre les dérives dictatoriales et collaborationnistes avec les rebelles du régime du président Touadera.

A cette montée en puissance de la contestation, le camp présidentiel organise la riposte. Les extrémistes entourant le président Touadera se regroupent désormais dans une milice intitulée « Les Requins ». Ces prédateurs hors pair, adeptes de la violence, avaient déjà sévi, sous le précédent régime Bozize-Touadera, dans la fameuse milice « Cocora ». Les Centrafricains ont bien en mémoire les assassinats politiques, dont celui de Charles Massi, en 2010. « Les Requins » ont reçu carte blanche pour lutter contre le mouvement « E Zingo Biani ».


Dans un tel contexte, on peut se demander si l’Accord de Khartoum du 6 février 2019 permettra vraiment d’assurer la Paix et la Réconciliation et de s’interroger sur la faisabilité d’élections, alors que les listes électorales et la plupart des cartes d’identité des Centrafricains ont disparu, le matériel électoral est totalement à renouveler, l’Autorité Nationale des élections est sans moyens et que l’État ne contrôle que 20 % du territoire national…La communauté internationale abondera-t-elle une fois de plus ce tonneau des Danaïdes ?

(1) David Dacko, l’empereur Bokassa 1er, André Kolingba, Ange-Félix Patasse, François Bozize et Michel Am-Nondroko Djotodia ont fait l’amère expérience d’une fin de règne non programmée.