Bilan Macron (8), le bourbier au Mali: la faute aux Africains

Comment Emmanuel Macron peut-il éviter qu’en pleine campagne présidentielle, le président français ne se voit reprocher l’échec de la lutte contre le terrorisme en Afrique? Le pesant silence qui est celui de l’Élysée ces dernières semaines est masqué par l’actualité en Ukraine. Jusqu’à quand?

La parade qui devrait être celle d’Emmanuel Macron après le renvoi, le 31 janvier 2022,  de l’ambassadeur de France au Mali, on la devine aisément à travers les déclarations de ses deux fidèles ministres Jean Yves Le Drian et Florence Parly, le premier patron du Quai d’Orsay et la seconde à la tète des Armées. Les éléments de langage distillés ces dernières semaines, révèlent une vision bien négative de « des amis et alliés africains ». Lesquels seraient, à la tête d’États faillis, bien incapables d’apporter l’eau et l’électricité aux populations locales. Sans parler de la fâcheuse tendance de ces pays du Sahel à multiplier les coups d’Etat en tournant le dos au modèle démocratique que la France a tenté d’exporter en Afrique depuis le fameux et brillant discours de La Baule de François Mitterrand en 1990. Et le tout, nous fait-on croire, sur fond d’une négociation coupable de certains Etats africains avec les groupes islamistes que l’armée française combat depuis 2013, au péril de la vie de ses soldats.

En résumé, si la lutte entreprise contre « le terrorisme » au Mali et au Sahel a échoué, c’est la faute aux Africains, mais en aucun cas aux choix militaires justes qui ont été faits avec constance et solidarité par les autorités françaises depuis neuf ans. Qui peut croire à une telle relecture de l’histoire? Le plaidoyer qui va être celui de Macron et Le Drian durant la campagne présidentielle ressemble fort à la philosophie africaine d’un Nicolas Sarkozy expliquant à Dakar que « l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ».

En somme, si cela va mal au Sahel, c’est la faute aux Africains ! Face aux journalistes Antoine Glaser et Pascal Airault, Emmanuel Macron exprimait le peu d’estime qu’il avait pour ses interlocuteurs maliens.  « Le Mali ne s’est pas donné les moyens d’avoir une armée autosuffisante. La preuve : la première chose que la junte a faite, après son coup d’Etat militaire (au mois d’août 2020) c’est de réitérer sa demande de soutien de la force française Barkhane. C’est la première chose que les putschistes nous ont demandée, ainsi que le président de transition, pas plus tard qu’hier ».

Des États faillis

La faillite de la plupart des États du Sahel, qu’évoquent aujourd’hui les dirigeants français, est effectivement une réalité. Elle ne date pas d’aujourd’hui. Encore faut-il en cerner les raisons. La faillite  a débuté depuis trente ans au moins, et elle a pour nom: l’héritage colonial, la mise sous tutelle des ressources naturelles et minières par des groupes étrangers; la tradition de la Françafrique qui a rempli ses mallettes d’argent liquide en Afrique, le soutien enfin de régimes corrompus serviles comme au Congo, au Gabon ou au Cameroun où le groupe Elf a fait la loi pendant des décennies pour le plus grand profit de la classe politique française

Et que dire de la priorité donnée par le budget français aux dépenses militaires sur l’aide au développement, alors que la Chine, la Turquie ou les monarchies du Golfe, ces puissances montantes, ciblent leur coopération vers la société civile et les grands équipements..

Deuxième procès qui est fait aux Africains par la Macronie, les coups d’Etat se multiplient. Oui, c’est vrai. Et c’est tant mieux, a-t-on envie de dire avec un peu de provocation, car ces putschs sont  initiés, comme au Mali, par des officiers supérieurs apparemment soucieux du bien public. Ce sont les seuls à même de provoquer une sorte d’alternance dans des pays dirigé par des élites discréditées et corrompues  portées au pouvoir dans des démocraties d’opérette par des élections fraudées..

Mieux vaut, peut-être, des militaires débutants mais de bonne volonté que des pouvoirs répressifs, aveugles et immuables comme ceux que la France de Sarkozy, de Hollande et de Macron ont soutenu justement au Mali, au Niger, en Centrafrique, Tchad, au Gabon, au Congo, au Cameroun.

La paix des braves 

Ultime reproche fait aux Africains, les régimes du Sahel chercheraient enfin un compromis avec certaines forces islamistes. Pourquoi le nier? La recomposition du paysage politique est effectivement une réalité au Mali. Tout comme la progression des groupes islamistes dont l’influence est grandissante dans une population gagnes par un Islam fondamentaliste. 

Faut-il négocier des compromis avec les mouvements islamistes les plus articulés et les moins sectaires, comme l’ont tenté les régimes malien et burkinabé dans une recherche d’union nationale? Ou s’agit-il de poursuivre une guerre sans fin contre une idéologie qui gagne chaque jour du terrain?La junte militaire au pouvoir au Mali préfère offrir une paix des braves aux groupes armés qu’ils ont combattu avec autant de courage que l’armée française.

La France a échoué a exporter ses valeurs laîques, humanistes et démocratiques. Ce triste bilan mérite mieux que des invectives, un sérieux examen de conscience

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)