Les ventes d’armes de la France devant la justice

L’association Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER), suivie par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France) et rejointe par Médecins du Monde (MdM), Salam for YémenAction contre la faim et Sherpa, une ONG animée par William Bourdon, décident de faire appel du jugement en première instance du tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la suspension des exportations d’armes françaises vers les pays de la Coalition impliqués dans la guerre au Yémen.

Pour rappel, par un jugement du 8 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris s’était reconnu compétent pour examiner la requête introduite par l’association ASER, rejointe par l’ACAT, qui visait à obtenir la suspension des exportations d’armes françaises vers les pays de la Coalition impliqués dans la guerre au Yémen[i]. L’ASER et l’ACAT se félicitent de cette première étape qui permet donc à la justice et aux citoyens un droit de regard sur ces exportations et constitue une victoire pour l’Etat de droit face au risque de déni de justice.

Cependant, les associations requérantes ne peuvent se satisfaire de cette décision, car ce que le tribunal administratif a donné d’une main, il l’a repris de l’autre. En effet, le tribunal refuse aux citoyens et aux associations qui les représentent le droit de se prévaloir des engagements internationaux de la France, pour contrôler l’action du gouvernement en matière d’autorisation d’exportation d’armes à des pays responsables des plus graves exactions contre les populations civiles yéménites.

Les deux associations ayant débuté le recours, rejointes par 4 autres, ont donc décidé de faire appel de cette décision afin de contraindre le gouvernement à respecter les engagements internationaux de la France : le Traité sur le commerce des armes ratifié en 2014 par la France et la position commune 2008/944/PESC du Conseil de l’Union européenne[ii].

Le Groupe d’Eminents Experts du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies chargé de documenter les violations du droit international commises au Yémen a lui-même dans un rapport rendu public il y a deux semaine demandé aux Etats, dont la France, de s’abstenir de fournir un soutien militaire quel qu’il soit aux parties au conflit au Yémen affirmant qu’ils pourraient en être tenus responsables[iii]Les Experts constatent par ailleurs que la légalité de ces transferts d’armes est « douteuse » et que ces équipements en alimentant le conflit participent à la souffrance des populations[iv].

Le conflit au Yémen est aujourd’hui décrit comme la plus grande crise humanitaire en cours dans le monde avec plus de 80% de Yéménites nécessitant une aide humanitaire et 20 millions de personnes souffrant de la faim au quotidien. Les risques de famine sont toujours réels avec plus de 3 millions de personnes nécessitant un traitement contre la malnutrition aiguë.[v]

On compte actuellement plus de 90’000 morts directement lié au conflit[vi] tandis que l’on devrait atteindre les 230’000 décès, directs et indirects, d’ici la fin de l’année 2019[vii].

Il est urgent de faire cesser les ventes et la maintenance d’armes par la France.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)