La Procureure Ghada Aoun bras armé judiciaire de la Présidence libanaise

L’assignation à comparaître émise tout récemment par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, à l’encontre du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, est le dernier rebondissement de l’instruction à charge que cette proche du Président de la République, Michel Aoun, mène contre les grands noms de la finance libanaise, boucs émissaires faciles de la crise libanaise.  Portrait

Ghada Aoun, une magistrate réputée brillante, sert les intérêts d’un des principaux clans qui se disputent le pouvoir au Liban

 « Merci à Mme Ghada Aoun pour son courage. Nous devons la soutenir. Tant que les corrompus responsables de l’effondrement du Liban n’auront pas été jugés, le redressement du pays sera compromis ».Le tweet posté récemment par le sénateur français Joel Guerriau sur le comportement supposé exemplaire de la magistrate Ghada Aoun comporte en peu de lignes la plupart des contre-vérités qui traversent la scène libanaise. La Procureure Ghada Aoun présentée comme le héraut de la lutte contre la corruption, c’est faire preuve d’une naiveté coupable. L’action de la Procureure au sein de l’appareil judiciaire libanais répond à des objectifs d’abord politiques.

Ainsi l’hostilité que cette magistrate très médiatisée manifeste à l’égard du gouverneur de laBanque du Liban, Riad Salamé, et les procédures à charge qu’elle mène contre l’homme clé de la finance libanaise depuis vingt huit ans, servent les intérêts d’un clan politique. Lequel est adossé au parti chiite  pro-iranien, le Hezbollah, et au camp dit «aouniste», conduit par le Président de la République, Michel Aoun et son gendre, le député Gebrane Bassil, qui aimerait prendre demain la tète de l’État.

Une justice politique

« Dans le contexte actuel, Ghada Aoun n’est qu’un instrument partisan entre les mains de la présidence de la République et de son camp politique, avec pour fonction de se livrer à des règlements de compte à caractère purement politicien, même au risque de saper l’autorité, le prestige, l’indépendance et même le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire », confie à Modafrique un journaliste et intellectuel libanais.

Ainsi le président de la République a gelé depuis plusieurs mois l’ensemble des permutations judiciaires mises au point par le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM). Ce vaste mouvement de nominations prévoyait en effet le transfert dans d’autres fonctions de Ghada Aoun, actuellement Procureure du Mont-Liban, un poste sensible qui lui octroie une large marge de manœuvre.

Une posture de « chevalier blanc » 

Un peu vite présentée comme un chevaliers blanc, Ghada Aoun affirme mener une lutte sans merci contre « les corrompus responsables de l’effondrement du Liban », pour reprendre les termes du sénateur Guerriau. Sauf que cette « lutte »est limitée exclusivement aux adversaires du camp aouniste. Quand le Hezbollah met en place un circuit bancaire public (avec ATM) totalement illégal et échappant à tout contrôle étatiqu, la Procureure détourne le regard. La même formation pro-iranienne se livre à un trafic mafieux de devises étrangères en direction de la Syrie ? Un épisode insignifiant pour Ghada Aoun …

En revanche, une société de transport de devises qui opère depuis des décennies en toute légalité et sous le contrôle des autorités bancaires américaines, devient soudain la cible de Mme la Procureure qui lui reproche de … transférer des dollars à l’étranger. L’ire de Mme Aoun sur ce plan se comprend : le propriétaire de la société de transfert de fonds en question appartient au camp souverainiste hostile au Hezbollah et au président de la République.

Le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, est présenté par une partie de la presse et du monde politique comme l’artisan unique, contre toute vraisemblance, du chaos libanais. Ce qui est vrai est que des milieux d’affaires concurrents qui alimentent une campagne contre Salame cherchent à lui trouver un successeur proche de leurs intérêts !.

Cabale contre le gouverneur de la Banque centrale

Le Hezbollah mène depuis près de cinq ans une campagne effrénée contre le gouverneur de la Banque du Liban et certains établissements bancaires à qui le parti pro-iranien reproche d’avoir relayé les sanctions américaines contre des établissements qui se trouvaient dans sa mouvance. Mme la Procureure engage des poursuites contre le Gouverneur de la Banque du Liban et contre les propriétaires des banques prises pour cible par le Hezbollah. Au nom du supposé « blanchiment d’argent », une des pratiques préférées du parti pro-iranien qui contrôle les frontières, les ports et les aéroports.

Trop de partialité pour le Procureur général de la République libanaise qui a émis il y a quelques mois une décision visant à dessaisir Mme Aoun du dossier des affaires à caractère financier. Mais cette dernière a refusé de s’y conformer et poursuivi son offensive contre la société de transferts de devises susmentionnée. Le jour même de la décision prise par le Procureur général, la magistrate est entrée par effraction, devant les caméras des chaines de télévision, au siège de la société en question.

Priée de sortir par les Forces de Sécurité intérieure, elle a entrepris de haranguer publiquement, en direct sur les chaines de télévision, un groupe de partisans du camp aouniste, venus lui exprimer leur soutien ! Un Procureur soutenu sur la voie publique par ses partisans ! Et une magistrate qui lance sur les réseaux sociaux (!) des attaques contre le gouverneur de la Banque du Liban contre lequel elle multiplie des poursuites. 

Imbroglio à la libanaise !

Le 15 février, Mme Aoun a chargé un service de sécurité, dont le chef est connu pour être très proche du camp aouniste, d’exécuter un mandat d’amener qu’elle avait émis à l’encontre du gouverneur de la Banque du Liban qui avait refusé de comparaitre à trois reprises, après avoir déposé auprès de l’autorité judiciaire compétente une note dénonçant son comportement partisan. La magistrate a, jusqu’à ce jour,  refusé d’accuser réception de cette requète parfaitement légale

Dans la matinée de ce 15 février noir pour la sérénité de la justice au Liban, un très grave conflit de compétences a surgi entre deux services sécuritaires de l’Etat. Une unité de l’appareil de sécurité connu pour être proche du camp du président de la République a été chargée d’exécuter le mandat d’amener à l’encontre du gouverneur mais elle s’est heurtée à … une unité d’un autre appareil sécuritaire étatique échappant au contrôle du Hezbollah et du camp aouniste !

Cet imbroglio « à la libanaise » a poussé certains milieux politiques à stigmatiser une nouvelle fois le comportement de Ghada Aoun. Une Procureure qui se rebelle contre ses supérieurs, qui prend fait et cause pour une faction politique, qui harangue publiquement des partisans ne peut assumer ses fonctions. Sous peine de ternir gravement l’image de la Justice libanaise, pilier d’une démocratie.