Les héritiers de Mitterrand dénoncent « la communication hasardeuse » de Macron sur le Rwanda

1658136 General Juvenal Habyarimana President of Rwanda , here With French President Francois Mitterrand at Elysee Palace during Official Visit in Paris April 02, 1990 (b/w photo); (add.info.: general Juvenal Habyarimana president of Rwanda , here with french president Francois Mitterrand at Elysee Palace during official visit in Paris april 02, 1990); Photo © AGIP.

L’Institut François Mitterrand, sous la plume de l’ancien ministre et Président de l’Institut François Mitterrand, Jean Glavany,  les propos tenus ce 7 avril 2024 par le Président de la République Emmanuel Macron quant à la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda.

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Le 4 avril 2024, des conseillers de l’Elysée ont informé la presse du fait, qu’à l’occasion du trentième anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda (800 000 à un million de morts), le Président de la République allait s’exprimer dans une vidéo pour dire que « la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir » et que « la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté. » Dans la vidéo diffusée ce dimanche 7 avril à Kigali, le Président de la République n’a en aucune manière confirmé, ni démenti ces propos.

« Une communication hasardeuse »

Cette communication hasardeuse, ainsi que l’absence de démenti clair, sont de nature à créer de la confusion sur la position du Président. Au-delà de la prétendue « responsabilité accablante de la France dans un engrenage qui a abouti au pire » – chose hautement contestable qu’il reconnut à Kigali en 2021 et qu’il confirma ce 7 avril 2024 –, considère-t-il, lui aussi, que la France avait les moyens d’arrêter le génocide mais qu’elle n’en a pas eu la volonté ? Si tel est le cas, il n’est pas inutile, pour mesurer la gravité de cette position, de rappeler ce que fut l’action des autorités, politiques et militaires, de notre pays pendant cette tragédie et de mettre en regard avec ce que fut l’attitude des institutions internationales et celle des autres pays, occidentaux ou africains, alors.

En 1990, la France, seule, comprit que des massacres de masse au Rwanda, analogues à ceux qu’avait connus ce pays dans le passé, étaient possibles. Dès cette époque, son action fut guidée par la volonté de prévenir une catastrophe dans ce pays, ce que reconnaît d’ailleurs le rapport Duclert. C’est la raison pour laquelle, le 1er octobre 1990, l’armée française intervint afin éviter que l’offensive du FPR de Paul Kagamé menée depuis l’Ouganda ne renversât le gouvernement internationalement reconnu et ne déclenchât une guerre civile, ainsi que des massacres ethniques comparables à ceux qui survinrent lors de l’indépendance de la tutelle belge en 1962. Une fois l’offensive bloquée, elle imposa au Président rwandais Juvénal Habyarimana, pourtant vainqueur, qu’il s’engageât dans la recherche d’un compromis avec le FPR. Ceci aboutit à la signature des accords d’Arusha le 4 août 1993, accords qui furent salués par tous et reconnus favorables à la minorité tutsie, qui bénéficia alors d’une représentation égale au sein des instances politiques et militaires.

Les extrémistes à la manoeuvre

À l’automne 1993, les troupes françaises, présentes depuis 1990, se retirèrent du Rwanda à la demande du FPR de Paul Kagamé. La supervision de la mise en œuvre des accords d’Arusha fut donc assurée par la MINUAR, mission onusienne créée le 5 octobre 1993 par la résolution n°872 du Conseil de sécurité et composée de 2500 casques bleus, belges et bangladais, placés sous l’autorité d’un général canadien.

En dépit des accords et du déploiement de cette mission, les franges extrémistes des deux camps continuèrent d’attiser les tensions, ce qui aboutit le 6 avril 1994 à l’attentat contre l’avion du Président Juvénal Habyarimana – l’objectif des auteurs de l’attentat, qu’ils furent des extrémistes hutus ou du FPR, était de mettre définitivement en échec le processus d’Arusha voulu par la France –, le 7 avril à l’assassinat du Premier ministre, une hutu modérée, ainsi que de dix soldats belges de la MINUAR chargés de sa protection, par les soldats du gouvernement et au déclenchement général du génocide.

La nécessité d’un cadre international

Dans ce contexte, la Belgique, ancienne puissance coloniale, préféra retirer ses troupes, ce qui réduisit de fait le contingent de la MINUAR à 270 soldats le 21 avril 1994. La France, retirée depuis l’automne 1993 à la demande du FPR, s’interrogea sur l’opportunité de revenir au Rwanda. En 2021, Edouard Balladur rappela que le Président Mitterrand et lui-même, alors Premier ministre de cohabitation, furent hostiles à une intervention militaire en dehors de tout cadre onusien, au risque que la France fût perçue comme une puissance néocoloniale prenant partie dans une guerre civile et que la situation s’aggravât de ce fait. Ils furent toutefois résolus à conduire une opération sous l’égide de l’ONU.

C’est la raison pour laquelle, aux mois de mai et de juin 1994, la diplomatie française, conduite par Alain Juppé, se mobilisa au Conseil de sécurité pour que fût votée une résolution en ce sens, ce que les États-Unis bloquèrent jusqu’au 22 juin 1994. Dans ses mémoires, Madeleine Albright, alors ambassadrice à l’ONU, jugea que ceci était « le plus grand regret de sa carrière », signe qu’un vote dès le mois de mai, comme le demandait la France, aurait pu être décisif pour endiguer les massacres. En tout état de cause, à compter du 22 juin 1994, la France conduisit quasiment seule l’opération Turquoise. Elle fut composée de 2500 de militaires français et de 500 militaires africains, pour la plupart sénégalais. La résolution n°929 votée le 22 juin 1994 par le Conseil de sécurité imposa aux militaires de l’opération d’en aucun cas constituer « une force d’interposition » et de cantonner cette

opération « strictement humanitaire » au sud-ouest du Rwanda. Le rapport Duclert a reconnu que cette opération permit de sauver des milliers de Tutsis menacés d’extermination et, à cet égard, aucune des accusations, y compris pénales, mettant en cause les militaires français n’a perduré.

Si, comme ses conseillers le rapportent, le Président de la République juge que la France, avec ses alliés, aurait pu arrêter le génocide mais qu’elle n’en a pas eu la volonté, nous l’engageons à répondre aux questions suivantes. Que la France aurait-elle pu faire de plus ou de mieux ? Ignore-t-il délibérément la volonté qu’eurent François Mitterrand et Edouard Balladur de l’engager, même seule, dans une opération humanitaire visant à sauver des vies, ainsi que les efforts qu’Alain Juppé déploya aux mois de mai et de juin 1994 pour obtenir le vote du Conseil de sécurité ? Qui veut-il mettre en cause au sein de la « communauté internationale » et pour quels motifs ? Les États-Unis pour avoir bloqué le vote d’une résolution voulue par la France au moment où une opération humanitaire était la plus utile ? La Belgique et l’ONU pour avoir retiré leurs troupes prématurément ? Quels alliés africains le Président vise-t-il précisément ? L’Afrique du Sud de Nelson Mandela qui approuva l’action de la France dès 1994 ? Les dirigeants de l’Organisation de l’unité africaine qui échouèrent à maintenir la paix civile au Rwanda ? Pour lever l’ambiguïté créée par une communication imprudente, il nous semble indispensable que le Président de la République apporte des réponses à toutes ces questions. Il en va de la crédibilité de la France sur la scène internationale.

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Jean Glavany Contact ifm@mitterrand.org