La presse rwandaise muselée au nom de la mémoire génocidaire

Malgré une lente amélioration de la liberté journalistique au Rwanda depuis 1994, la presse reste muselée et interdite la critique du président Paul Kagamé, au pouvoir depuis 30 ans. Les lois et pratiques liberticides sont souvent justifiées par… la mémoire du génocide.

Un article de Mateo Gomez

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La commémoration des trente ans du génocide tutsi au Rwanda est un évènement national, consensuel, mémoriel, à l’unisson avec le président rwandais, Paul Kagame, et sous le feu des projecteurs. Une parfaite occasion pour revenir sur l’étrange cas de la liberté de la presse dans ce petit pays d’Afrique de l’est. D’après Reporters Sans Frontières, le Rwanda n’est que 131e mondial dans le domaine, sur 180, derrière des pays avec des réputations de mauvais élèves, tels la RDC, le Salvador ou le Qatar. Tout de même, une amélioration par rapport à 2022, quand le pays était 136e. Les journalistes rwandais qui participent à des enquêtes corroborent: ils ont le sentiment que leur liberté augmente, que la parole journalistique se libère peu à peu.

Il reste interdit de critiquer le gouvernement. Les chaînes de télévision et radio sont sous contrôle gouvernemental. Des journalistes se font régulièrement corrompre ou arrêter. Or souvent, le cadre légal qui permet ces restrictions trouve ses origines dans la période immédiatement post-génocidaire, et les traumatismes qu’elle réveille. En effet, la presse est souvent muselée au nom de la prévention du génocide, en souvenir du rôle qu’avaient joué les médias rwandais dans ce dernier, qui diffusaient des mensoges et incitaient à la haine. On retient notamment l’exemple tristement célèbre de Radio Mille Collines, qui en 1993 et 1994, diffusait en continu des discours haineux envers les tutsis. 

On pourrait croire à un héritage trop étrange pour être honnête, et se dire que ce genre de lois ne sont qu’une excuse du gouvernement pour faire taire les dissensions et les scandales. Mais des enquêtes sur le journalisme en Afrique de l’Est par les professeures états-uniennes Karen McIntyre et Meghan Sobel Cohen montrent qu’en réalité, les journalistes rwandais semblent penser l’inverse. Ils déclarent jouir d’une grande liberté qu’ils considèrent que leurs voisins, notamment ougandais et congolais, n’ont pas. Ils ne se sentent pas oppressés. Lorsqu’on leur demandent ce qu’ils pensent de l’interdiction de critiquer Kagamé, ils déclarent que les étrangers ne comprennent tout simplement pas le contexte historique particulier du Rwanda, c’est-à-dire l’héritage du génocide.

Une situation figée

Car au Rwanda, les journalistes, le gouvernement et même les Rwandais semblent se faire une conception différente de la presse. Les audiences et les avis sur les chaînes de télévision publiques sont au beau fixe. Les journalistes enquètés déclarent croire que leur rôle est d’unifier le pays et de réparer les torts de leurs prédecesseurs, qui ont exacerbé le génocide, plutôt que d’informer les citoyens de vérités difficiles.

A mesure que le pays s’éloigne chronologiquement du génocide et que sa mémoire se fait de plus en plus diffuse, la liberté de presse s’améliore lentement mais sûrement, depuis 1994. Mais jusqu’où? À long terme, l’Histoire récente le prouve, l’obsession de la paix inter ethnique finit par limiter sérieusement le développement de la liberté de la presseet renforcer les structures autoritaires d’un pays.

Sources:

https://rsf.org/en/country/rwanda

https://theconversation.com/press-freedom-in-kenya-uganda-and-rwanda-what-journalists-have-to-say-about-doing-their-jobs-224750