La laïcité ne passe toujours pas chez les musulmans en France  

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A la question : la laïcité est-elle discriminatoire envers les musulmans ? 44 %  d’entre eux répondent qu’elle est effectivement « très discriminatoire », et 34 % qu’elle est « assez discriminatoire ». Soit presque 8 musulmans sur 10. Le sondage de l’IFOP montre que ce sont ceux qui votent le plus à gauche (sous-entendu pour Mélenchon) qui dénoncent avec le plus de fermeté la laïcité (89%). En revanche pour les musulmans « plutôt à droite », le pourcentage tombe à 65 %, et il chute à 54 % pour les électeurs « très à droite ». 

Par Ian Hamel, à Genève

  

Il s’agit d’une étude très complète publiée à l’occasion de la journée nationale de la laïcité du 9 décembre dernier. Elle a été commandée par la toute nouvelle chaîne franco-arabe Elmaniya.tv, qui se déclare laïque. Le sondage de l’IFOP a été réalisé auprès de personnes qui s’identifient comme musulmans, résidant en France métropolitaine, qu’ils soient de nationalité française ou étrangère. Les résultats ne laissent pas indifférents et donnent des interprétations fort différentes. Pour Gilles Kepel, spécialiste de l’islam et du monde arabe, dans Le Journal du dimanche : « La terre entière est entrée dans la juridiction du domaine de l’islam ».  En revanche, pour Vincent Geisser, sociologue, spécialiste de l’islam, dans Libération : « les Français musulmans connaissent de mieux en mieux ce qu’est la laïcité »…

Alors que seulement 12 % des Français se déclarent « croyants et religieux », et 42 % « croyants mais non religieux », les musulmans sont 66 % à être « croyants et religieux », et 26 % « croyants mais non religieux ». Les 25-34 ans apparaissent beaucoup plus pratiquants (75 %) que les anciens (58 %). Les cadres supérieurs (74%) fréquentent davantage la mosquée que les ouvriers (65 %) et les chômeurs (60 %). Les étrangers (71%), plus que les musulmans de nationalité française (65 %). Enfin, ceux qui ont voté Mélenchon en 2022 sont à 72 % « croyants et religieux ». Le chiffre tombe à 43 % concernant les supporters de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Ces résultats n’ont rien de très surprenant. 

       

Le financement des lieux de culte                                                                                                                                

Le rapport à la religion ne manque pas de faire sursauter Gilles Kepel. Alors que l’ensemble des Français ne sont que 17 % à considérer qu’il n’y a qu’une « seule  vraie religion », en revanche, les musulmans plébiscitent celle d’Allah à 75 %. Le chiffre grimpe même à 83 % chez les moins de 25 ans. « Dans la vision la plus dogmatique, l’héritage chrétien a vocation à se voir effacer par le triomphe d’un islam universel, car les juifs et les chrétiens ont “falsifié leurs Écritures“, et la seule vérité réside dans le message coranique », dénonce l’auteur des « Banlieues de l’islam » (1). Lorsque la religion et la science s’opposent sur la question de la création du monde, 22 % des Français donnent la préférence à la science, tandis que 76 % des musulmans basculent du côté de la religion. Sur ce sujet, il n’y a pas de réelle différence entre ceux qui ont suivi des études et les autres.              

Concernant la laïcité, elle reste en travers de la gorge pour 78 % des musulmans, qui dénoncent son caractère « musulmanophobe ». Dans les mêmes proportions, ils réclament l’instauration de nouveaux jours fériés pour les religions minoritaires, le financement public des lieux de culte comme en Alsace-Moselle, et l’autorisation pour les athlètes français à porter des couvre-chefs à caractère religieux lors des Jeux Olympiques en 2024. Mais pour le sociologue Vincent Geisser, auteur de « La nouvelle islamophobie », les milieux musulmans français ont intégré les principes de la laïcité « même s’ils s’insurgent contre son instrumentalisation identitaire et sécuritaire » (2).

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Condamner ou non l’assassinat

Le sondage de l’IFOP révèle sans beaucoup de surprises que les musulmans ne sont pas du tout sur la même ligne que le reste des Français concernant la décision du ministre Gabriel Attal d’interdire le port des abayas ou qamis à l’école. Les premiers désapprouvent à 72 %, quand les non-musulmans approuvent à 81 %. Pour les musulmans, cette interdiction est à la fois une « source de stigmatisation », une « forme de police du vêtement », enfin une « source de contrôle au faciès ». Si les moins de 25 ans ont déjà porté une abaya, dans un établissement scolaire ou dans des espaces publics, ils ne sont que 37 % chez les 35-49 ans et 27 % chez les plus de 50 ans.   

Les chiffres qui feront le plus sursauter portent sur les réactions après l’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard à Arras. Il n’y a que 5 % des Français dans leur ensemble à ne pas exprimer de condamnation totale à l’égard de l’auteur de l’attentat. En revanche, 6 % des musulmans sont indifférents à cet assassinat. 5 % ne le condamnent pas et 11 % le condamnent , mais partagent « certaines des motivations » de l’auteur de l’attentat… C’est surtout l’attitude des élèves musulmans, scolarisés dans l’enseignement secondaire ou supérieur, qui fait réagir : ils sont 31% à ne pas exprimer « de condamnation totale à l’égard de l’auteur de l’attentat ».

Dans Libération, Vincent Geisser estime qu’une partie de la classe politique pourrait être tentée d’exploiter ce sondage « sur un registre anxiogène et ce d’autant que la situation actuelle est particulièrement tendue, en raison du conflit Israël-Palestine ». Il ajoute : « Il ne faut donc pas négliger les possibles instrumentalisations politiques et idéologiques de l’enquête ».

 

  • Aziliz Le Corre, Le journal du dimanche, 10 décembre 2023.
  • Bernadette Sauvaget, Libération, 8 décembre 2023.

 

 

 

 

     

1 COMMENTAIRE

  1. Je voudrais bien connaître les questions qui ont été posées et la manière dont l’échantillonnage a été fait et dans quelles sont les modalités du sondage. Exemple vécu: la majorité des français condamne l’antisémitisme, il est fort probable que les réponses prennent en compte ce qui politiquement correct ou pas. Sur mon lieu de travail (une centaine de personnes), les plus antisémites ne sont pas ceux qu’on croit.

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