Mali, le trafic de drogue, principal obstacle à la paix

Dans le Nord du Mali, constate Crisis Group, personne ne combat vraiment le narcotrafic qui ne cesse de se développer et entrave tous les efforts de paix.

Le trafic de drogue au Nord du Mali cause des niveaux de violence sans équivalent dans la sous-région. L’incapacité de l’Etat malien à contrôler cette zone a rendu le narcotrafic particulièrement concurrentiel, tandis que la circulation d’armes de guerre, liée aux rébellions des deux dernières décennies, a contribué à sa militarisation. Les rivalités entre trafiquants alimentent les tensions politiques et communautaires dans la région. Le trafic est à la fois une source de financement des groupes armés de toute nature et une cause d’affrontements. Alors que les politiques de lutte contre le trafic de drogue ont jusqu’ici été inefficaces, les autorités maliennes et leurs partenaires internationaux devraient adopter des mécanismes de régulation pour démilitariser les acteurs du narcotrafic au Nord du Mali et réduire ainsi la violence associée. Cela implique de soutenir les pactes régionaux de stabilité, qui régulent le trafic de façon informelle, de désarmer les groupes signataires de l’accord de paix de juin 2015 (dont ceux liés aux trafiquants) et de recourir à la coercition (notamment aux sanctions ciblées) contre ceux qui s’y refusent.

             Une économie locale bouleversée

L’arrivée au Nord du Mali de produits stupéfiants (haschich dans les années 1990, cocaïne dans les années 2000) a bouleversé l’économie locale. D’abord monopolisés par des fractions arabes, les profits de la drogue ont, depuis le milieu des années 2000, aiguisé l’appétit de commerçants issus d’autres communautés. La compétition – et la circulation d’armes au Sahel – a dès lors nourri une dynamique de militarisation des acteurs criminels et le développement de groupes armés pour protéger ou intercepter les convois. Les revenus de la drogue ont aussi perturbé les relations intercommunautaires et remis en cause les hiérarchies anciennes. La drogue suscite des affrontements entre bandes rivales, qui dégénèrent en conflits plus larges parce que celles-ci vont chercher du soutien au sein de leurs communautés. De son côté, même s’il ne le reconnait pas officiellement, l’Etat malien, incapable d’empêcher ou de réguler le narcotrafic, a soutenu certains groupes armés contre d’autres pour tenter de capter les ressources du trafic et d’en priver les rébellions. Les rivalités entre trafiquants entrainent parfois les groupes armés dans des affrontements qu’ils n’ont pas voulus. 

La crise malienne de 2012 a aggravé des dynamiques initiées au cours de la décennie précédente. La débandade de l’Etat au Nord a amené les trafiquants à se rapprocher des différents groupes armés, y compris parfois jihadistes (même si la relation entre jihadisme et narcotrafic au Sahel a tendance à être exagérée), pour que la drogue continue de circuler. Les grands trafiquants entretiennent des liens à la fois avec les autorités maliennes – celles-ci le démentent – et avec les groupes politico-militaires du Nord du pays ; bien souvent en effet, les réseaux trafiquants sont intégrés dans ou se confondent avec ces groupes, qui eux-mêmes dépendent du narcotrafic pour leur financement et l’accès aux armes. Cela dit, les tensions entre groupes armés et réseaux trafiquants sont récurrentes car leurs intérêts ne s’alignent pas parfaitement. Les rivalités entre trafiquants entrainent parfois les groupes armés dans des affrontements qu’ils n’ont pas voulus.

               Une question largement ignorée

Pourtant, alors que le narcotrafic joue un rôle certain dans les violences armées, cette question est restée assez marginale lors des négociations inter-maliennes engagées à Ouagadougou en 2013, puis à Alger en 2014 et 2015. Discutée en coulisses, elle est peu évoquée dans l’accord de paix de juin 2015. Par contre, des initiatives locales connues sous le nom de processus d’Anéfis 1 (octobre 2015) et 2 (octobre 2017) ont cherché à réguler le narcotrafic. Ces rencontres, auxquelles ont participé des personnalités impliquées dans le narcotrafic, ont tenté de pacifier les routes en diminuant les interceptions et de réduire les risques que les rivalités entre trafiquants dégénèrent en affrontements entre groupes signataires de l’accord de paix. Les acteurs internationaux, réticents à discuter ouvertement de la régulation du narcotrafic, continuent de considérer ces efforts avec suspicion.

La lutte contre le trafic de drogue dans le Nord du Mali reste limitée et inefficace. La plupart des acteurs publics nationaux et internationaux reconnaissent qu’elle est nécessaire, mais beaucoup se déchargent de cette responsabilité au motif – souvent recevable – qu’elle ne relève pas de leurs compétences. Sur le terrain, la lutte contre le narcotrafic apparait comme un enjeu secondaire que les acteurs internationaux font passer bien après la mise en œuvre de l’accord de paix, les opérations antiterroristes et la lutte contre les filières de migration clandestine. La réticence à s’engager plus résolument contre les narcotrafiquants s’explique en partie par la complexité des réseaux et la crainte d’interférer avec des intérêts d’affaires qui remontent potentiellement jusqu’au sommet de certains Etats de la région. Par ailleurs, pour les Casques bleus de l’ONU, déjà pris pour cible par les jihadistes, se lancer dans un autre combat créerait de nouveaux dangers, en particulier parce que de nombreux groupes armés participent aux trafics.

Au niveau mondial, la lutte contre le trafic de drogue connait peu d’exemples de succès probants. Pour être efficace, elle devrait être globale, coordonnée et s’étendre aux pays de production, de transit et de destination, dont les intérêts sont souvent contradictoires.

En même temps, le Mali, comme d’autres pays de transit touchés par une concurrence violente autour du trafic, a besoin d’une stratégie adaptée à ses besoins qui prenne en compte le contexte régional. Les efforts doivent se concentrer sur les conséquences les plus déstabilisatrices du trafic de drogue. Les autorités maliennes et leurs partenaires devraient chercher à démilitariser le narcotrafic au Nord du Mali en vue de réduire la violence associée et faciliter l’application de l’accord de paix. Pour cela, ils devraient privilégier trois axes interdépendants :

  • encourager les pactes locaux de sécurité comme ceux d’Anéfis, qui sont complémentaires du processus de paix inter-malien ; répliquer de telles initiatives dans d’autres zones du Nord ; et, sans cautionner le narcotrafic, accepter que ses acteurs participent aux discussions pour établir des pactes de non-agression autour des routes de transit et s’assurer que les combats liés au trafic ne dégénèrent pas en violences entre les principaux groupes armés du Nord signataires de l’accord de paix de 2015.
     
  • utiliser les mécanismes de sécurité instaurés par l’accord de paix – en particulier la Commission technique de sécurité (CTS) créée pour aider à la mise en œuvre de l’accord et dont font partie la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) et les forces françaises de l’opération Barkhane – pour réduire la circulation des armes lourdes et réguler l’usage des moyens roulants par tous les groupes armés signataires dans le Nord – y compris ceux qui sont liés aux trafiquants. La CTS dispose d’un mécanisme qui autorise les Casques bleus de l’ONU et les forces françaises à surveiller les convois armés ; renforcer ces efforts pourrait accélérer le désarmement et faciliter ainsi la démilitarisation du narcotrafic ;
     
  • prendre des mesures coercitives, comme des sanctions et la confiscation des armes lourdes, afin de pénaliser les narcotrafiquants les plus violents qui continuent d’utiliser les moyens militaires des groupes signataires. Le Conseil de sécurité de l’ONU, sur la base des conclusions de son groupe d’experts, peut déjà adopter des sanctions contre ceux qui enfreignent l’accord de paix de 2015. De son côté, la commission de sécurité instaurée par ce même accord peut confisquer les armes lourdes aux convois armés non autorisés des groupes signataires. Ces mandats pourraient constituer une base suffisante pour agir contre ceux qui refusent le désarmement