D’après des diplomates occidentaux et des membres des services de sécurité, l’attentat du 7 mars 2015 à Bamako pourrait bien constituer un avertissement du chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keïta, aux réseaux favorables à l’ancien président ATT
L’attentat spectaculaire du 7 mars dernier contre le restaurant « La Terrasse » au coeur de Bamako, qui a causé cinq morts dont deux européens, révèle peu à peu ses zones d’ombre. Beaucoup à Bamako s’interrogent sur les vrais instigateurs de cette attaque sanglante. La revendication par le groupe de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, proche d’Al-Qaida, pourrait bien être un écran de fumée. De notoriété publique, l’établissement visé n’était pas seulement la cantine de queques expatriés, mais aussi le repaire de trafiquants de drogues. Autant dire que le crime « terroriste » profite à beaucoup de monde.
L’ombre d’ATT
Traversé par les affrontements entre l’armée et les indépendantistes, le Nord du Mali, en crise permanente, constitue un écran face aux troubles qui agitent la capitale malienne plus au sud. « On assiste à Bamako à une recomposition du paysage mafieux dans la capitale » relève un homme politique malien de premier plan qui n’est plus aux affaires. Des réseaux occultes constituées de narcotraficants, de sommités locales, de mercenaires, se reconstituent. Des proches d’Amadou Toumani Touré, l’ex chef d’Etat malien exilé au Sénégal, qui avaient partie liée avec les trafiquants de drogue, agissent dans l’ombre. « Certains des fidèles d’ATT tentent de récupérer leur influence passée », confie un diplomate européen.
Face à ces forces de déstablilisation, le pouvoir malien est-il tenté de réagir? Et fomente-t-il des assasssinats et des attentats? C’est l’hypothèse, certes inimaginable, mais qu’évoquent désormais des experts du Mali, qu’ils soient diplomates étrangers, opposants politique ou agents des services français. Première salve, le 26 janvier 2015, le général Mohamed Abderrahmane Ould Meydou qui a longtemps servi sous ATT a été victime d’une tentative d’assassinat devant son domicile. Arabe originaire de la région de Gao, cet officier resté fidèle à l’armée régulière malienne lors de la crise en 2012 avait été placé par l’ex-président à la tête des unités spéciales mobilisées pour lutter contre les insurrections touarègues.
Mises en garde
Un mois plus tard, le restaurant « La Terrasse » est à nouveau l’objet d’un attentat spectaculaire. Est-ce un hasard? Le patron de cette auberge cossue est connu pour ses sympathies avec l’ancien préident malien ATT. « Compte tenu des dimensions du restaurant, l’attaque aurait pu faire beaucoup plus de morts », affirme une source sécuritaire. Et un autre d’expliquer: « Nous avions prévenu les forces maliennes que quelque chose se préparait, mais rien n’a été fait pour prévenir l’attentat ». La fusillade aurait-elle été une nouvelle mise en garde des réseaux du pouvoir contre les hommes de l’ex président? Après tout, les bandits corses, qui servent le président malien, sont coutumiers de ce type d' »avertissement ».
Or IBK a toutes les raisons de craindre les possibles représailles des fidèles d’ATT, les ex « bérets rouges » qui constituèrent l’ancienne garde présidentielle. Eux n’ont pas oublié les massacres commandités voici trois ans par leurs rivaux, les « bérets verts » du capitaine Sanogo, qui avait renversé ATT en 2012. Et ils se souviennent aussi de la proximité ancienne entre IBK et le bon capitaine. Déjà lors du putsch, l’actuel président malien et la junte avaient échangé des gages et Sanogo avait été nommé général trois jours après l’élection d’IBK. Quelques charniers découverts dans la caserne de Sanogo et les avertissements d’Amnesty International et des diplomates américains, IBK avait du emprisonner le capitaine qu’il avait fait général. A moins que ce soit une façon de le protéger. Une certitude, l’enquète judiciare concernant les éxécutions massives dont le militaire est accusé traine en longueur. Pour peu qu’il ait une altercation avec son gardien, on lui envoie illico presto un infirmier pour panser ses blessures.
La loi du talion
Les méthodes employées par les forces de l’ordre maliennes après l’attaque contre « La Terrasse » renforcent les doutes sur l’origine du crime. Après la fusillade, l’unité judiciaire de la commune 3 de Bamako a été saisie. C’est pourtant les forces spéciales qui ont mené, en dehors de toute procédure judiciaire, l’offensive musclée lancée le 13 mars dans le quartier populaire de Faladie contre les suspects présumés. Lors de cet assaut, deux hommes ont trouvé la mort, dont le chauffeur de l’expédition terroriste du 7 mars, un a fui et les autres ont disparu. “Apparemment, les forces de l’ordre maliennes, pilotées par le nouveau pole antiterroriste, n’ont pas compris l’intérêt de judiciariser les procédures », commente un diplomate occidental. « C’est la loi du talion qui s’applique”. Et d’ajouter: “c’est dommage, car la quête de renseignements passe par un traitement moins brutal et plus sophistiqué”. Une source diplomatique va plus loin : « C’est comme si on avait voulu que personne ne soit interrogé ».
Plus cocasse, la liste des objets saisis au cours de la perquisition qui a suivi fait état de la présence de treize corans et de… treize kalachnikovs. Comme s’il s’agissait d’une mise en scène destinée à démontrer que la katiba djihadiste était prète à affronter un état de siège. Sans évoquer des sacs de riz, de sucre et de céréales, ainsi qu’un couvre lit et du “petit matériel de toilette” entassés dans la maison. La scène est trop parfaite pour être crédible.
L’attaque « terroriste » du 7 mars avait été pourtant été revendiquée par les intégristes d’Al-Mourabitoune dans un enregistrement diffusé par l’agence de presse mauritanienne al-Akhbar, sous la coupe d’un proche du président mauritanien Aziz, dont IBK est par ailleurs un fidèle soutien… Bizarre, comme c’est étrange.