C’est l’attaque la plus meurtrière qu’ait connue récemment l’Egypte avec 305 morts. L’Etat Islamique est-il le seul responsable de ce carnage, comme l’affirme le régime égyptien?
Ce vendredi 24 novembre 2017, alors que les fidèles étaient en prière dans la Mosquée Al-Rawda de Bir Al-Abd, un village de 2500 habitants située dans le Nord-Sinaï, une quarantaine d’hommes masqués et vêtus d’uniformes militaires ont encerclé les lieux avec quatre véhicules tout terrain. Après avoir fait explosé une bombe à l’intérieur du lieu de culte, ils ont tiré à l’arme automatique sur les fidèles présente à l’intérieur de la mosquée. Et les mêmes s’en sont pris, à l’extérieur, à tous ceux qui tentaient de s’échapper. Un véritable carnage!
Ensuite, les assaillants ont incendié des véhicules pour bloquer les routes, et pris la fuite avant l’arrivée de l’armée. L’assaut n’a duré que vingt minutes. Selon un témoignage diffusé par le site web Mada Masr, la majorité des personnes fréquentant cette mosquée venaient des localités de Cheikh Zuwed et Rafah.
Attentats à répétition
Pour l’instant, l’attentat n’a pas à été revendiqué. Les autorités égyptiennes se sont certes empressées de désigner un coupable : « l’Etat Islamique (EI) dans la province du Sinaï ». Selon la vulgate officielle, ce groupe serait une émanation de Ansar Beit Al-Maqdis (« Les Partisans de Jérusalem ») qui aurait prêté allégeance à Al-Qaida en août 2013, puis à l’EI depuis 2014. Et ce, sans que cette mutation du groupe terroriste soit vérifiable, l’unique source d’information étant les Mukhabarat (services de renseignements) égyptiens.
La seule certitude est que « Ansar Beit Al-Maqdis » est apparu dans le Sinaï juste après « la révolution du 25 janvier 2011 », qui marque les débuts du printemps arabe en Egypte. Ses premiers faits d’armes furent l’attaque simultanée du poste frontière égypto-israélien Kerem Shalom, près de la pointe sud de Gaza, ainsi que les sabotage des gazoducs alimentant Israël et la Jordanie. Ansar Beit Al-Maqdis s’est limité, depuis, à revendiquer des raids meurtriers ciblant des barrages de police ou de l’armée égyptienne, ainsi que des convois de conscrits. Ces dernières années, les dizaines de policiers et de soldats ont ainsi été tués dans des embuscades et des attentats à la voiture piégée.
Depuis le coup d’Etat du maréchal Al-Sissi, d’autres groupes armés ont vu le jour dans le Nord-Sinaï, et particulièrement dans un triangle délimité par les villes d’Al-Arish, Rafah et Cheikh Zuwad. Une zone désertique, au périmètre réduit, où la population, en perpétuelle insurrection contre le pouvoir central, est fortement réprimée, car considérée comme complice des « djihadistes », ces partisans de l’ex-président égyptien Morsi, issu des Frères Mususmans, qui ont fui les arrestations. Ces derniers y mènent une véritable « guerre de guérilla » contre l’armée, déployée en force dans la région. L’état d’urgence est décrété dans tout le Nord-Sinaï depuis octobre 2014, et les journalistes y sont interdits. Précisions que la localité de Bir Al-Abd, où a eu lieu le carnage de la mosquée, est à 40 kilomètres à peine d’Al-Arish, chef-lieu de la province où se trouve une importante caserne militaire.
Les israéliens en embuscade
Est-ce une simple coincidence ? L’attaque s’est produit alors que le passage frontalier de Rafah entre l’Egypte et Gaza devait rouvrir pendant trois jours, suite à un accord de réconciliation signé au Caire, le mois dernier, entre le Fatah et le Hamas, sous l’égide des services de renseignement égyptiens. Les rivaux palestiniens ont accepté, entre autres, de transférer la responsabilité du passage de Rafah à un gouvernement d’union. Autant dire que le voisin israélien ne voit certainement pas d’un bon œil ce qui pourrait s’avérer être le premier jalon de la levée du blocus de Gaza.
En 2014, le gouvernement israélien avait notamment exigé de l’Egypte qu ‘elle aménage une zone tampon sur sa frontière. Ce qui s’était traduit par la destruction aux bulldozers des quartiers de Rafah les plus proches d’Israël et le déplacement brutal de leurs habitants par l’armée égyptienne; une barrière électronique était érigée le long de la frontière. De quoi précipiter les jeunes en colère, ou en fuite, dans les bras des groupes armés !
Un camouflet contre Sissi
Dès lors, le massacre de Bir Al-Abd est un sérieux camouflet pour le maréchal Al-Sissi qui clame être le seul garant de la sécurité dans la région. « Notre réaction sera brutale ! » a-t-il assené lors d’une réunion ad hoc tenue dès l’annonce de l’attentat. Et comme pour joindre les actes à la parole du président, des drones ont détruits, selon une source militaire anonyme relayée par la chaine Sky News Arabic, « des véhicules transportant des terroristes » dans une zone désertique nommée Al-Risha. Cette information n’a jamais été officiellement confirmée !
Quoi qu’il en soit, sous couvert de lutte contre le terrorisme, il ne faut pas exclure une aggravation de la répression dans la région, voire même à d’autres massacres non revendiqués, y compris ailleurs en Egypte. Les Bédouins du Sinaï sont en effet désignés régulièrement par les médias gouvernementaux comme étant des « traîtres à la nation » et leurs enfants d’être les « complices des terroristes ». Une façon de détourner la vindicte populaire après chaque attaques contre l’armée faisant des morts parmi les jeunes conscrits envoyés sans aucune expérience dans le Sinaï.
A moins que ces attentats soient une façon de préparer le terrain à de nouveaux déplacements de la population.
Rabha Attaf, grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient et auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée »
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