Paul Kagame, une synthèse africaine de Poutine et de Netanyahu

 Depuis près de 25 ans, Paul Kagamé, 67 ans, dirige d’une main de fer le Rwanda, petit pays d’Afrique de l’Est de 26 338 km2, coincé entre la République démocratique du Congo, l’Ouganda, le Burundi et la Tanzanie. A la tête du Front patriotique rwandais (FPR), il a avait réussi, avec d’autres chefs de cette rébellion tutsie, à prendre le pouvoir après le génocide d’avril 1994 qui avait fait entre 800.000 et un million de morts. Sur les ruines du massacre de ses compatriotes, Kagamé à réussi à construire un Rwanda dont les succès en matière d’infrastructures, de technologie, d’organisation de conférences, de promotion du genre sont célébrés mondialement. De grands clubs comme le PSG portent sur leurs maillots le slogan « Visit Rwanda ».

Derrière ce côté carte postale, se cache une gouvernance à nulle autre pareille marquée par la répression sans pitié des voix critiques ; l’élimination physique d’opposants ; les persécutions des exilés mais aussi des visées hégémoniques et expansionnistes que l’on retrouve en Centrafrique, au Mozambique mais surtout dans la guerre dans l’est de la RDC où Kagamé soutient clairement la rébellion du M 23, en dépit des menaces de sanctions internationales que l’ex-maquisard du FPR accueille avec mépris. A regarder de près sa gouvernance et ses méthodes, le maître incontesté du Rwanda tient à la fois du président russe Vladimir Poutine et du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

Un article de Xavier Monnier 

C’est une petite et belle contrée, que les flots de l’histoire des XIXe et XXe siècle ont tragiquement tourmentée. Attribuée en 1885 lors de la conférence de Berlin à l’Allemagne, puis cédée à la Belgique après la première guerre mondiale, le vert pays des 1000 collines a vu ses institutions centenaires broyés, sa population arbitrairement classifiée en deux groupes rivaux, les Hutus et les Tutsis, dont la haine réciproque a été savamment entretenu par le pouvoir colonial… Avant qu’avec les soleils des indépendances, ne viennent les temps des massacres, carnages et autres tueries de grandes envergure, culminant en 1994 avec le dernier génocide du siècle. Près d’un million de morts tutsis et hutus modérés, presqu’autant de génocidaire et un avenir qu’alors, il était difficile d’imaginer si radieux pour un État de 6 millions d’âmes, s’étendant sur 26 338 km2 (moins que la région Provence Alpes-Côtes d’Azur), sans grandes ressources minières ou pétrolières.

Pourtant, 31 ans après, le destin du Rwanda semble avoir basculé par la force et la vision d’un homme, le Président Paul Kagame. Un exilé, un héros de la guerre qui à la tête du Front Patriotique Rwandais (FPR), a pris le pouvoir en 1994, mettant ainsi un terme au génocide. Au pouvoir depuis lors, le général-président est désormais aussi craint, respecté et ménagé que d’illustres de ses contemporains, Vladimir Poutine le Président russe ou Benyamin Netanyahu, l’insubmersible Premier ministre d’Israël.

A l’école des services secrets

Comme le premier il a été formé dans l’ombre des services secrets, à l’étranger. Quand le maître du Kremlin a longtemps œuvré à Berlin Est, Kagamé s’est formé en Ouganda, d’abord dans le rébellion de Yori Museveni, puis en tant que chef du renseignement militaire, une fois le pouvoir conquis à Kampala. Simplement une étape pour le jeune militaire qui s’empare de Kigali en 1994… pour ne plus jamais lâcher les rênes du pouvoir.

Dirigeant de fait en tant que ministre de la Défense et vice-président, il est officiellement intronisé chef d’Etat 6 ans plus tard, à la faveur de la démission du président officiel, le pasteur Bizimungu. En cette même année 2000, Vladimir Poutine a succédé à un Boris Eltsine démissionnaire.

Et le Rwandais s’embarrasse encore moins d’apparence que son comparse russe quand il s’agit d’élections présidentielles. Élu à 95 % en 2003, à 93 % en 2010 puis à 98 % en 2017 et 99 % en 2024,  des scores à faire pâlir les anciens soviétique du Kremlin, le «chairman» souffre aussi peu les contestations que les oppositions.

Dans un livre trop méconnu, Bad News – Derniers journalistes sous une dictature, le journaliste indien Anjan Sundaram détaille comment, enseignant en journalisme au Rwanda, il voit peu à peu disparaître de la circulation ses élèves et amis, coupables de vouloir enquêter dans le pays. Une once de critique que le régime ne saurait tolérer en ses frontières ou à l’extérieur.

« La trahison a des conséquences »

Ancien proche du général président, compagnon depuis des aventures ougandaises, Patrick Karegeya, ex chef du renseignement extérieur, a eu la mauvaise idée de quitter le giron du pouvoir au début des années 2000, devenu trop oppressant. Un crime de lèse-majesté accompagné d’une provocation, la création d’un parti d’opposition, le Congrès National Rwandais (RNC). Il est assassiné en 2014 en Afrique du Sud, qui émet deux mandats d’arrêt contre des ressortissants rwandais. Une mort accueillie par Kagame en des termes peu équivoques : « La trahison a des conséquences (…) Quiconque trahit notre cause ou souhaite du mal à notre peuple deviendra une victime. »

Dix ans après, un autre membre du RNC a été assassiné dans les mêmes circonstances, toujours en Afrique du Sud. Liste loin d’être exhaustive.

« Un stratège hors pair»

N’hésitant pas à pourchasser journaliste comme opposant, constamment réélu, Kagame partage également avec le chef d’Etat russe des visées irrédentistes. Mais quand le « Tsar » varie les plaisirs, de la Tchétchénie à la Géorgie en passant par l’Ukraine, « Inkotanyi » se concentre sur l’ancien Zaïre, qu’il a contribué à transformer en République Démocratique du Congo, comme Mondafrique l’a rappelé.

Après avoir renversé le dictateur léopard Mobutu, coupable d’avoir protégé les génocidaires, l’armée rwandaise a déclenché la 2e guerre du Congo, aussi appelée guerre mondiale africaine, avant d’attiser les braises des rébellions, notamment du M23 depuis plus de 10 ans. Et de continuer à investir les terres d’un pays étranger…

Et comme la Russie assure protéger les russophones d’Ukraine quand elle entreprend d’annexer une partie du pays et déclencher une offensive, Kigali assure œuvrer à la protection des populations rwandophones, maltraitées par le pouvoir de Kinshasa. Une réalité, certes, qui ne légitime pas l’action de l’armée rwandaise et ses conséquences. Plusieurs millions de morts durant les guerres du Congo – entre combats, famines et épidémies -, 6 millions de déplacés au bas mot, et un million de déplacés depuis l’offensive de janvier 2025.

Un bilan effrayant, qui n’a pas attiré de mise au ban de la communauté internationale. Mieux, le budget du Rwanda est toujours abondé pour près d’un quart par les aides internationales, que ce soit les Etats occidentaux ou les bailleurs de fonds. Du grand art.

« Kagame était un ennemi, confie à Mondafrique un ancien des forces spéciales de la DGSE, qui l’a affronté au Zaïre. Mais il faut reconnaître qu’il est redoutablement intelligent, un stratège hors pair que ce soit sur le terrain militaire, politique ou diplomatique.»

« La communauté internationale nous a laissé tomber»

Auréolé du statut de héros de guerre et de sauveur de la population tutsie après son triomphe armé de 1994, Kagamé a surtout compris que l’Histoire n’a pas pris fin avec l’effondrement du bloc soviétique et l’achèvement de la guerre froide. Le rapport de force a simplement changé.

Et le maître espion va brillamment tirer profit du drame vécu par son pays, sous le regard coupable d’une communauté internationale, ONU comprise, impuissante à enrayer le massacre de sa population… « La communauté internationale nous a laissés tomber», a encore rappelé le président Kagame, en avril 2024, pour les cérémonies de commémorations de 30 ans du génocide.

Et depuis 30 ans, la contrition va confiner à signer un blanc seing à ses infractions et violations répétés du droit international.

« Le droit de se défendre»

Utilisation d’enfants soldats au Congo, massacres de populations réfugiés, invasion du pays, exploitation de ses ressources minières… Autant d’actes documentés par les organisations internationales, d’Amnesty à Human Right Watch en passant par les groupes d’experts de l’Onu, les médias internationaux, et dénoncés par les pays voisins. 

Autant de critiques balayées par le pouvoir rwandais et ses proxys, comme autant de voix « négationnistes », accusées d’avoir minimiser le génocide ou coupable par le passé de ne pas l’avoir vu venir et donc discréditées. Une formule martelée sur les réseaux sociaux, dans des tribunes, via des associations proches du régime. Un phénomène que ne renierait pas Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, grand pourfendeur des « négationnistes » qui osent critiquer la politique de son gouvernement, qu’ils soient en Israël, à la Cour Pénale Internationale, ou dans les pays étrangers. Quant aux opérations militaires au Liban, à Gaza, en Cisjordanie ou en Syrie, elles sont marquées d’un seul slogan. « Israël a le droit de se défendre.»

Interrogé sur la menace de sanction et son énième intervention au Congo, Paul Kagame a lui asséné auprès de Jeune Afrique une petite variante. « Nous sommes confrontés à des menaces existentielles depuis des années. Les menaces et les sanctions ne dissuaderont pas le Rwanda de défendre sa souveraineté et sa sécurité».

Un refrain aux funestes présages.