Le long parcours du combattant vient de débuter. Sur la ligne de départ, le président Joseph Aoun en a clairement défini les grandes orientations. Dans son discours d’investiture prononcé devant l’assemblée nationale et le Corps diplomatique, le chef de l’État a exposé une feuille de route qui sort des sentiers battus et des traditionnels lieux communs.
Un article de Michel Touma
“Mon but n’est pas de faire de la politique (politicienne), mon objectif est d’édifier un État.” Le nouveau locataire de Baabda a donné le ton. D’entrée de jeu, il fait montre d’une ferme détermination. Une détermination nécessaire, certes, mais pas suffisante. Car il n’est pas le seul acteur dans cet audacieux processus de redressement national multidimensionnel.
Pour mener à bien sa mission salutaire, il doit impérativement être d’abord soutenu sans équivoque et sans atermoiement par les partis, formations et personnalités souverainistes – ce qui est déjà le cas. Mais il doit aussi bénéficier de l’appui de tous les autres députés, courants et pôles d’influence qui ont véritablement le souci de la chose publique et qui sont opposés à la ligne de conduite anti-libanaise du Hezbollah. Ils doivent surtout avoir un minimum de conscience nationale pour admettre que le peuple libanais n’est plus en mesure de subir six nouvelles années de dilapidation de fonds publics, d’affairisme aveugle, de déconstruction de l’État et des secteurs vitaux du pays de la part d’un clan de “responsables” politiques qui se comportent en “fromagistes” sans scrupules, ou dont le seul souci est de se placer au service d’une puissance régionale aux ambitions hégémoniques démentielles, en faisant fi du bouleversement du rapport de force dans la région.
L’appui ferme des pays arabes, notamment des États du Golfe, et de la communauté internationale, États-Unis et Union européenne en tête, est tout aussi vital. Mais là aussi il s’agit d’une condition nécessaire mais pas suffisante, car en définitive c’est aux chefs de file politiques et aux pôles d’influence du pays de tout mettre en œuvre pour permettre au président Aoun de concrétiser les fondamentaux qu’il a définis dans son discours et de faire face, rapidement, aux adversaires acharnés de l’entreprise de redressement.
Le premier croc-en-jambe auquel ne tarderont pas à recourir ces adversaires se manifestera vraisemblablement à l’occasion des consultations parlementaires en vue de la désignation d’un Premier ministre. Ils tenteront d’imposer au président un chef du gouvernement susceptible de saboter dès le départ le nouveau mandat et de rendre caduque la feuille de route définie le 9 janvier par le président Aoun.
Un sursaut parlementaire est devenu impératif dans ce contexte, du moins parmi les députés qui gardent encore un minimum de conscience nationale (et de maturité politique!). À l’aune de la nouvelle donne régionale et, surtout, de la situation de déliquescence avancée dans laquelle a été entraîné délibérément le Liban, le choix du Premier ministre ne peut plus désormais répondre à la logique “il faut rassurer le Hezbollah”, “il faut éviter de l’affronter”, “il faut lui accorder la troisième présidence pour compenser son échec dans le choix du président de la République”.
Quelle que soit l’identité du Premier ministre, le pays n’est plus en mesure de subir le choix d’une personnalité qui accepterait délibérément d’assurer la continuité politique d’un demi-siècle d’occupation, de tutelle, de diktat régional, de clientélisme et de détournement des fonds publics… En somme, d’absence de gouvernance et de dignité nationale.
Le choix du chef du gouvernement pourrait ne pas être idéal, du fait de la composition actuelle du Parlement. Mais il est requis du Premier ministre désigné, quel que soit son passé, d’avoir le courage politique de tourner la page de l’ère iranienne et d’être obligatoirement en phase avec les orientations du président avec qui il devrait œuvrer pour concrétiser la teneur du discours d’investiture. Il devrait être conscient de la nécessité impérieuse de s’ancrer au nouvel ordre régional, condition sine qua non pour permettre à la population de bénéficier, enfin, d’une ère de calme, d’apaisement, de paix civile durable et de prospérité.
À l’évidence, le point essentiel reste la composition et le profil du nouveau gouvernement, dont dépendra la réussite du nouveau mandat, du moins jusqu’aux prochaines élections législatives de mai 2026. Il n’en demeure pas moins que tout choix dans la désignation d’un Premier ministre qui viserait à assurer une continuité aux cinq décennies de déconstruction “pour ne pas fâcher le Hezbollah” ou, pis encore, “pour ne pas accorder de crédit à l’opposition” souverainiste (!) constituerait rien moins qu’un crime national contre les Libanais, aggravé de non-assistance à peuple en danger.
Le Liban enfin pourvu d’un président de la République, Joseph Aoun