Boualem Sansal, écrivain franco-algérien octogénaire, est une nouvelle fois hospitalisé en détention. Entre ennuis judiciaires, prises de position clivantes et santé fragile, que révèle cette affaire sur la situation des intellectuels critiques en Algérie ? Son état permet-il d’espérer une issue humanitaire ? L’Algérie cédera-t-elle ou lui en veut-elle au point de non-retour ?
L’écrivain Boualem Sansal, 80 ans, incarcéré en Algérie depuis la mi-novembre, a été transféré pour la deuxième fois dans une unité de soins de l’hôpital Mustapha d’Alger à sa demande, suscitant l’inquiétude quant à son état de santé. Son avocat François Zimeray et son éditeur Antoine Gallimard ont lancé un appel à sa libération pour raisons humanitaires.
Pour rappel, Sansal a été arrêté le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour Paris. Depuis, il est poursuivi en vertu de l’article 87 bis du code pénal algérien, qui sanctionne « comme acte terroriste ou subversif tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ».
Selon les autorités algériennes, l’écrivain aurait tenu des propos controversés remettant en cause l’intégrité territoriale du pays lors d’une interview accordée début octobre au média français d’extrême-droite Frontières. Il y aurait repris la position marocaine selon laquelle le territoire algérien aurait été tronqué à l’époque coloniale. Ses déclarations très critiques envers le pouvoir algérien ont également déplu.
Une demande de remise en liberté provisoire a été rejetée le 11 décembre par un tribunal d’Alger. Sansal, qui risque la réclusion à perpétuité, est détenu depuis à la prison de Koléa, à 35 km de la capitale.
Né en 1949 à Theniet El Had en Algérie, Boualem Sansal est ingénieur de formation. Il occupe de hauts postes dans l’administration et l’industrie jusqu’à son licenciement en 2003, officiellement pour avoir critiqué le gouvernement dans ses écrits.
Sansal publie son premier roman Le Serment des barbares en 1999, récompensé par le Prix du Premier Roman. Son œuvre, traduite dans de nombreuses langues, explore avec un regard acéré l’histoire récente et la société algérienne. Parmi ses titres les plus connus, on peut citer L’Enfant fou de l’arbre creux (2000), Harraga (2005) ou encore 2084 : La Fin du monde (2015), une fiction dystopique qui évoque les dérives d’un régime religieux totalitaire.
S’il vit en France depuis les années 90, Sansal a toujours gardé un lien fort avec l’Algérie dont il est un observateur engagé et un critique virulent. Il dénonce régulièrement le pouvoir en place, la corruption, le manque de libertés et l’emprise grandissante de l’islamisme qu’il considère comme une menace majeure.
Un positionnement controversé
Apprécié pour son franc-parler et son combat pour la démocratie, Sansal suscite cependant la polémique ces dernières années par des prises de position de plus en plus controversées, notamment au sujet de l’islam et de l’immigration.
Dans ses déclarations comme dans certains de ses livres, il établit fréquemment un parallèle entre islamisme et nazisme, dénonçant le premier comme une « dictature extrême » proche du second dans ses méthodes et ses objectifs. S’il se défend d’être islamophobe, l’écrivain n’hésite pas à qualifier l’islam de « loi terrifiante » devenue « totalitaire ». Il appelle à une profonde réforme de la religion musulmane pour qu’elle retrouve sa spiritualité première.
Depuis quelques années, Sansal semble aussi se rapprocher de certains milieux d’extrême-droite en France. L’entretien accordé à Frontières en octobre, où il développe selon des analystes un discours hostile aux immigrés et aux musulmans dans la lignée d’Éric Zemmour, en est le dernier exemple en date. Son approche de l’histoire, notamment sur la question du Maroc et de l’Algérie, relèverait également d’une rhétorique identitaire décomplexée.
Cette évolution est pointée du doigt par plusieurs observateurs comme le politologue Nedjib Sidi Moussa, qui estime que l’écrivain a « suivi une pente droitière » ces derniers temps, que ce soit dans ses positions sur l’islam, la gauche radicale, les migrants ou encore les « woke ». Un glissement qui contribue à faire de lui une figure appréciée d’une certaine frange de l’extrême-droite française.
Si c’est la première fois que Boualem Sansal est incarcéré, l’écrivain a déjà eu maille à partir avec la justice algérienne par le passé. En 2006, son essai Poste restante : Alger. Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes est interdit à la vente pour « atteinte au Président ». Menacé, l’auteur doit quitter précipitamment le pays.
En 2021, Sansal est condamné par contumace à 3 ans de prison pour « outrage à corps constitué » et « atteinte à l’unité nationale » après des déclarations critiques envers l’armée. Le verdict est confirmé en appel l’année suivante.
La santé de Sansal, un enjeu géopolitique
Le transfert de Sansal au sein de l’unité de soins de la prison de Koléa le 11 décembre, puis son hospitalisation à deux reprises depuis, font craindre une dégradation de son état de santé. Selon les informations communiquées par son avocat, les résultats des dernières biopsies ne seraient « pas bons ».
Son éditeur Antoine Gallimard confirme que les autorités pénitentiaires ont pris conscience de la fragilité de l’écrivain de 80 ans et des risques encourus. Une situation qui écarte a priori la piste d’une « maladie diplomatique » brandies par certains pour obtenir une libération.
Me François Zimeray a lancé un appel solennel aux autorités algériennes pour « faire preuve d’humanité » et libérer son client dont la santé est source d’inquiétude. Une demande relayée par de nombreux soutiens de l’écrivain, parmi lesquels son confrère Kamel Daoud (prix Goncourt 2014) ou l’ancien Premier ministre français Bernard Cazeneuve.
Depuis son incarcération, Boualem Sansal bénéficie d’une forte mobilisation en sa faveur, aussi bien en Algérie qu’à l’international. Outre les appels de ses proches et de son avocat, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer sa libération au nom de la liberté d’expression.
En France, une pétition lancée par les éditions Gallimard a recueilli près de 50 000 signatures. Un rassemblement s’est tenu le 12 décembre devant l’ambassade d’Algérie à Paris pour dénoncer « l’acharnement » contre l’écrivain. Le Quai d’Orsay a de son côté fait part de sa « vive préoccupation » et appelé à « un traitement digne et humain ».
Le Parlement européen a voté le 15 décembre une résolution demandant « la libération immédiate et inconditionnelle » de Sansal, qualifié de « prisonnier d’opinion ». L’ONG Amnesty International, le Pen Club et Reporters sans Frontières ont eux aussi condamné son arrestation et exigé sa remise en liberté.
En Algérie, si l’affaire divise, des intellectuels, des artistes et des défenseurs des droits humains se sont mobilisés pour apporter leur soutien. Un comité réunissant des personnalités comme le sociologue Lahouari Addi ou le militant Fodil Boumala a été créé. Des rassemblements se sont tenus à Alger, Oran et Tizi Ouzou malgré l’interdiction des autorités.
Dans ce climat de tensions, les révélations sur la santé fragile de Boualem Sansal et les appels à l’indulgence pourraient faire bouger les lignes. Si ses prises de position font polémique, y compris parmi ses soutiens, beaucoup estiment qu’il est temps d’adopter une approche humanitaire. Reste à savoir si cela suffira à convaincre un pouvoir algérien arc-bouté sur ses positions.