Tunisie, Djerba. Les juifs célébreront Lag Ba Omer le 3 mai et se rassembleront pour le pèlerinage de la Ghriba. Les juifs de Tunisie et du monde entier partageront avec les Djerbiens cette fête riche en émotions.
Récit : Virginie Prevost, photographies : Axel Derriks
Chaque année, l’île tunisienne fête Lag Ba Omer, le trente-troisième jour après la Pâque : il marque la fin de la période du deuil en souvenir de l’épidémie qui décima en Palestine les fidèles de Rabbi Akiva, et il célèbre la hiloula, l’anniversaire de la mort de Rabbi Shimon Bar Yoyaï, le saint le plus vénéré des Séfarades, qui aurait été l’un des initiateurs de la mystique juive et aurait écrit le Zohar au deuxième siècle de notre ère. Une légende locale rapporte également que des juifs exilés atteignirent Djerba au terme de leur exode après la destruction du premier Temple par les Babyloniens ; ces Cohanim munis d’une Torah ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur l’emplacement de leur synagogue et il fallut attendre le jour de Lag Ba Omer pour qu’une pierre sacrée tombât du ciel, imposant le lieu de la construction.
La foule est immense et de tous côtés affluent des gens, une fois passés les multiples contrôles de sécurité de la police. L’enjeu est considérable pour les autorités tunisiennes : assurer la pleine sérénité des pèlerins de la Ghriba, encore marqués par l’attentat d’avril 2002.
Entre 2500 et 3500 pèlerins étaient attendus pour l’édition 2017, bien plus fréquentée que les années précédentes. Les fidèles séfarades viennent de partout, de Tunisie évidemment – la communauté compte quelque 1500 membres – mais aussi des États-Unis, d’Israël, de France, de Libye et de nombreux autres pays. Quelques juifs ashkénazes participent également aux festivités, ainsi que de nombreux musulmans, profondément touchés par les rites accomplis dans la synagogue djerbienne, qui veulent les partager en toute fraternité.
La Ghriba, dont la réputation est connue des juifs du monde entier, serait selon la légende la plus ancienne synagogue bâtie par la diaspora. Nous la voyons aujourd’hui telle qu’elle a été restaurée en 1920, date à laquelle le pèlerinage annuel ou ziara a été institué. C’est le temps des retrouvailles à la fois dans le lieu de culte et dans le fondouk, l’ancien caravansérail aménagé pour l’occasion en souk et en salle de spectacle. On vend là des souvenirs de Tunisie, des confiseries et du couscous. Il est presque impossible d’avancer tant la foule est compacte. La vente aux enchères liée à la procession de la Ménara parmi les rues de Hara Sghira est suivie par un concert et l’an passé, l’émotion était à son comble lorsque le chanteur avait entonné « Allah Akbar ».
Les femmes sont étonnantes, souvent endimanchées comme pour un mariage, portant des tenues affriolantes que l’on n’imaginerait pas destinées à un pèlerinage, si festif soit-il. Talons aiguilles, bas résille et mini-jupes côtoient des costumes folkloriques. Les maquillages sont souvent outrés. La sensualité que dégagent ces femmes s’explique par un mélange de pratiques religieuses et de superstitions païennes liées à la fécondité ; les femmes stériles et les jeunes filles à la recherche de l’âme sœur sont particulièrement concernées.
Plusieurs petits garçons sont par contre très sérieux, tout de noir vêtus. Des vendeurs proposent au profit d’œuvres caritatives d’acquérir des téfilines, ces petites boîtes cubiques renfermant des textes bibliques que les hommes accrochent savamment sur le front ou le bras à l’aide de longues lanières en cuir. Une pièce entière est d’ailleurs réservée à accueillir les dons financiers des fidèles, qui financeront l’entretien de la synagogue.
Il faut jouer des coudes pour entrer dans la Ghriba proprement dite, dont l’intérieur est décoré de céramiques colorées. La première salle de prière, qui remplace exceptionnellement ici la cour des synagogues tunisiennes, est noire de monde. À l’entrée s’empilent des tas de pièces de tissu que les femmes pourront emprunter pour se couvrir les cheveux lorsqu’elles pénétreront dans la pièce principale. Certains des bancs de bois répartis dans la salle, très larges pour permettre de s’asseoir à l’orientale, sont recouverts d’assiettes de gâteaux et de fruits secs.
C’est le rite de la séouda, un repas partagé par les pèlerins et précédé par la prière des rabbins. Ces assiettes passent de banc en banc, chaque fidèle les proposant à son voisin. Bientôt le sol de la synagogue est jonché de miettes. La boukha – un alcool local à base de figues – et l’arak importé d’Israël circulent également, et certains pèlerins en ont manifestement abusé. Les restes de nourriture et d’alcool seront emmenés par les fidèles chez eux, pour les partager avec ceux qui n’ont pas pu participer aux réjouissances.
Pour accéder à la salle principale qui comprend la Téva – la tribune de la Torah – et les objets rituels sacrés, il faut se couvrir la tête et ôter ses chaussures. Des cierges sont partout allumés, en souvenir des défunts ou pour accompagner des vœux. La Téva orientée vers Jérusalem, où le rabbin lit le Livre chaque shabbat, est somptueusement ornée. Tout au fond sont des vitrines renfermant quantité d’ex-voto en or et en argent qui rappellent les souhaits exaucés.
Une petite grotte creusée dans le mur du fond de la salle est l’objet de toutes les attentions : les femmes en attente d’enfant ou de mari font la file pour venir y déposer l’œuf sur la coquille duquel elles ont écrit leur vœu au feutre. L’œuf cuira à la lueur des bougies et la femme le consommera le lendemain.
Celles dont le vœu a été exaucé reviendront chaque année à la Ghriba, en reconnaissance pour la baraka dont elles ont bénéficié. L’exubérance rivalise avec la spiritualité et avec la ferveur qui gagne tous les participants.
Les fidèles qui retrouvent enfin la terre de leurs ancêtres débordent d’émotion, comme cette femme dont la famille d’origine libyenne vit depuis plusieurs générations en Suède et qui s’émerveille de l’accueil amical que lui offrent les Tunisiens.
Les retrouvailles de la Ghriba, si chères au cœur des Séfarades, vont cette année encore combler les participants de chaleur.