Coupe du monde, salafisme et droits de l’individu: l’équation impossible 

La Coupe du monde de football qui débute le dimanche 20 novembre au Qatar semble montrer les limites de la conquête de la puissance diplomatique par le sport, ce « soft power » qu’on avait tant vanté lors du rachat du club parisien, le PSG, par le si riche Émirat.

Accueillir une Coupe du monde ou être organisateur des Jeux Olympiques a toujours été un acte politique. Ces évènements sportifs focalisent l’attention des médias du monde entier, unifient l’attention des populations de la quasi-totalité des pays de la planète. Soit pour le pays organisateur un moment d’attention planétaire exceptionnel et susceptible d’attirer ensuite, sur la durée, l’intérêt des investisseurs et des touristes.

Les limites de l’exercice

Ni la Coupe du monde en Russie, en 2018 (malgré l’annexion de la Crimée quatre ans plus tôt), ni les jeux Olympiques d’hiver à Pékin (malgré les camps de travail au Xinjiang et la répression contre les Ouïgours) n’avaient suscité pareil tollé.  Pour la bonne raison que les sportifs russes et chinois ont rempli la mission qui leur avait été assignée: gagner des médailles, valoriser leur pays à chaque compétition et fêter la victoire sans craindre les excès de boisson .

Le Qatar peut bien contrôler le PSG et des chaînes de télévision sportives, il n’est pas un pays qui compte dans le monde du football.  Ni dans aucun sport.

En décrochant l’organisation de la Coupe du monde en 2010, le richissime émirat du Golfe a donc, bien logiquement, suscité les rumeurs de corruption, lesquelles entachent aujourd’hui encore l’image du Qatar aussi bien que l’image des dirigeants de la Fédération internationale de footbal (FIFA). Peut-on instrumentaliser le sport au plan politique si l’on n’est pas soi-même un pays sportif ? Pas si simple !

Les feux des projecteurs

Depuis dix ans, les critiques n’ont pas cessé. Le Qatar est apparu comme un pays esclavagiste en raison des mauvaises conditions de travail qui ont fait que des milliers de travailleurs étrangers ont trouvé la mort sur les chantiers des stades de la Coupe du monde. Nul n’a envie d’acheter une chaussure de sport si elle est produite par le travail forcé des enfants. Nul ne trouve sympathique un pays riche qui maltraite les travailleurs démunis qui quittent leur pays pour nourrir leur famille.

Les associations de protection de l’environnement ont ensuite multiplié les critiques sur la débauche énergétique liée à la climatisation des stades. Bruler du gaz et du pétrole et donc accroitre le réchauffement climatique pour le seul plaisir d’organiser une compétition sportive a été montré du doigt et considéré comme une aberration.

Le Qatar aurait-il cru que la notoriété n’avait pas d’envers ? Elle en a un : elle oblige la personne ou le pays qui est sous le feu des projecteurs a offrir une image lisse et sans aspérités. Or, en organisant un évènement sportif mondial, le Qatar a attiré sur lui les feux des projecteurs révélant un vernis craquelé.

Une communication déficiente

Comme l’explique Arab Digest, la Coupe du monde a surexposé le pays organisateur. Plutôt que de répondre cash sur la situation des droits des travailleurs immigrés ou sur la question environnementale, l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani, roi du Qatar, a dénonçé “une campagne de dénigrement sans précédent”. Plus généralement et depuis le fameux printemps arabe de 2010-2011, les dirigeants du Qatar n’ont jamais cessé de conseiller à ses frères arabes d’appliquer des droits démocratiques et pluralistes qu’eux mêmes ne respectaient pas. 

En fait, la question à laquelle le Qatar doit répondre est la suivante : peut-il et doit-il changer s’il souhaite continuer de jouer un rôle politique et sociétal à l’international ?

Une réponse a commencé d’être élaborée le 18 novembre. Deux jours avant le début des compétitions, le Qatar a brusquement décidé d’interdire la vente et la consommation de bière sur tous les stades ou les compétitions vont avoir lieu. La mesure a fait l’effet d’une douche glacée pour le million de supporters occidentaux qui considèrent qu’assister à un match et boire de la bière sont une seule et même chose.

Bière et football, pourquoi choisir? 

En d’autres termes, le Qatar a décidé, coupe du monde de football ou pas, qu’il demeurerait un pays musulman rigoriste et qu’il ne changerait pas sa législation interdisant la consommation de boissons alcoolisées.

Le Qatar avait aussi donné des assurances sur le respect des droits des personnes LGBTQ+ à se tenir la main en public par exemple. Mais les lois qataries interdisant l’homosexualité n’ont pas pour autant été abolies.

Bref, ce petit pays mégalomane qui avait cru que son argent le mettait à l’abri des mauvais coups se retrouve coincé sur une scène dont il ne peut plus descendre en raison des projecteurs qui sont braqués sur lui.  L’ambassade des États-Unis à Doha a bien compris que ce dilemme pouvait produire des effets dommageables pour les supporters du football. Elle a produit une vidéo informant les supporters américains que l’ivresse publique au Qatar est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois de prison, tandis que les démonstrations publiques d’affection ou le port de vêtements révélateurs peuvent être des motifs d’arrestation et d’emprisonnement.

L’Iran, le voisin encombrant 

Les droits de l’individu qui ont pris le pas sur l’intérêt général dans les pays occidentaux peuvent-ils faire de même dans un pays musulman ? Telle est la question à laquelle le Qatar doit répondre. Ironie des choses, l’Iran, l’allié objectif du Qatar dans la région en raison du partage des gisements de gaz, doit répondre à la même question au même moment.

Depuis deux mois, le droit des femmes à se dévoiler dans la rue ensanglante littéralement toutes les villes du pays.