Le Qatar qui paye une rançon pour délivrer un Américain en Syrie. Des djihadistes d’Al-Qaïda qui mangent des rations alimentaires de l’armée américaine et qui se font soigner en Israël. Récit d’un chaos par Theo Padnos, otage en Syrie.
Par Ian Hamel, Munich
Ce n’est plus l’Orient compliqué, c’est l’Orient indéchiffrable. Theo, la petite cinquantaine, est Américain. A la différence de ses compatriotes, il parle d’autres langues, plutôt bien, l’arabe, le français, l’allemand. Il a voulu faire du journalisme de terrain, il est parti en Turquie, près de la frontière syrienne. Son but ? Rejoindre l’Armée syrienne libre (ASL), identifiée en Occident comme les opposants présentables au régime de Bachar Al-Assad. Theo se fait rouler dans la farine par trois voyous qui lui font passer la frontière syrienne… pour le livrer au Front Al-Nostra, l’antenne d’Al-Qaïda en Syrie. C’était en 2012. Cet Américain, auteur d’une thèse en littérature comparée, va rester vingt-deux mois aux mains des djihadistes, détenus dans des conditions souvent effroyables.
« On est plein de poux »
Nous l’avons rencontré à Munich, à l’occasion de la grand-messe sur la sécurité, et plus particulièrement d’une conférence sur le rôle du Qatar dans le soutien au terrorisme et aux groupes extrémistes. Il ne nous a pas livré un témoignage bien charpenté, fruit de quatre ans de mûre réflexion (sa libération date du 24 août 2014), mais, avec beaucoup d’émotions, il a préféré nous raconter une multitude de petits faits, d’anecdotes, souvent dramatiques qui rythment le quotidien d’un prisonnier. Comment se comporte-t-on quand en permanence « on est plein de poux », et que vos geôliers « vous empêchent d’aller aux toilettes » ? On retiendra surtout que lui, l’Américain, forcément accusé par les djihadistes d’être « un agent de la CIA », a été finalement libéré, contre une importante rançon (10 millions de dollars ?) payée par les Qataris. Il va passer sa première nuit de liberté dans un 5-étoiles à Tel-Aviv.
L’argent des djihadistes
« Ils ne dépensent pratiquement rien. Je changeais constamment de prison et j’ai parfois voyagé dans le même camion qu’Abu Maria Al-Qahtani, le responsable du groupe du Front Al-Nostra qui me retenait en otage. Il trimballait des millions de dollars dans des grands sacs en plastique noirs. Cet argent, disait-il, devait servir pour le djihad futur, à former les nouvelles générations, afin de transformer la société syrienne. C’est essentiellement en capturant des prisonniers qu’ils reçoivent des subsides. Et en ce qui me concerne, c’est le Qatar qui a payé. C’est son ministre des Affaires étrangères qui me l’a confirmé après ma libération ».
Les relations contre nature
« Personnellement, je ne tire aucune conclusion. J’ai simplement constaté que nous mangions parfois des repas préparés habituellement pour les militaires américains (céréales, chocolat, bonbons). En ce qui concerne les tentes, nous bénéficions de dons humanitaires de la part de la Norvège. Les médicaments étaient fournis par les Nations unies. Par ailleurs, les combattants du Front Al-Nostra se faisaient effectivement soigner gratuitement en Israël. Quant à moi, j’ai été libéré sur les hauteurs du Golan ».
Il faut rappeler que le Front Al-Nostra était une antenne d’Al-Qaïda en Syrie. Il a été rebaptisé le 28 janvier 2017 Front Fatah Al-Cham. Ces djihadistes prétendent avoir rompu avec l’organisation fondée par Oussama Ben Laden, mais leurs méthodes n’ont guère changé.
Les autres préoccupations des djihadistes
« En dehors de la guerre, les combattants veulent des femmes et rêvent d’être mariés. Bien entendu, l’important pour eux est d’avoir un téléphone portable et Internet. Comme ils portent des cheveux longs et des barbes fournies, leur grande préoccupation est de trouver du shampoing et du parfum. Quand on arrivait dans une nouvelle agglomération, ils tentaient de convaincre Al-Qahtani de leur donner de l’argent pour louer une villa. Ce dernier refusait souvent ».
Les autres prisonniers
« Je me suis retrouvé en cellule avec 17 officiers de l’armée syrienne, c’étaient des Alaouites. Je sais qu’au moins 14 ont été exécutés. Ces officiers étaient très dignes. Même prisonniers, ils respectaient leurs grades. Ils m’ont aidé en partageant de la nourriture, en me donnant du savon. “Il faut rester propre pour résister“ disaient-ils. Le plus dur, c’était d’entendre les cris des suppliciés ».
La torture
Au début, c’était continuellement. On se cessait jamais de m’humilier, de me tabasser, de me torturer à l’électricité, grâce à des batteries de voitures. J’ai été enterré vivant, j’ai subi des simulacres d’exécutions. Le seul bruit de la clé dans la porte de ma cellule me faisait trembler de peur. A une époque, un gardien me frappait systématiquement la tête en entrant. Ma situation s’est surtout améliorée quand le Front Al-Nostra a eu la certitude de recevoir une rançon de la part de Doha. »
L’Armée syrienne libre (ASL)
« Au début de ma captivité, j’ai pu m’évader et rejoindre des combattants de l’Armée syrienne libre. Au lieu de me garder avec eux, ils m’ont livré à mes tortionnaires ».