Libanais en Côte d’Ivoire (volet 2), les transferts financiers vers les chiites du Hezbollah

Si la diaspora libanaise s’est intégrée au cours des dernières années en Côte d’Ivoire (voir le premier volet de notre enquète), sa composante chiite majoritaire  reste une communauté puissante et structurée. Poumon économique en Côte d’Ivoire, les chiites permettent aux familles restées au Liban  de recevoir des aides qui participent à la survie du Sud Liban, fief du Hezbollah. Entre rumeurs, fantasmes et réalités

De notre envoyé spécial à Abidjan,  Jean Louis Cardan

Généraliser à propos de la diaspora libanaise est une faute, car il n’y a pas une communauté libanaise. Il existe des communautés qui sont traversées par les mêmes lignes de fractures confessionnelles que celles existantes au Liban. En Côte d’Ivoire, toutes sont représentées: maronite, sunnite, chiite, néanmoins, cette dernière est de loin la plus nombreuse. 

En un peu plus d’un siècle de présence, ces ressortissants du Sud Liban ont organisé leur vie sociale, culturelle, ont créé des réseaux d’entraide, de solidarité qui restent très puissants aujourd’hui. Même s’ils sont plus « assimilés » qu’auparavant, les quartiers résidentiels de Marcory ou de zone 4 restent des lieux qu’ils privilégient.

Ils prient aussi à Al-Zahra, leur grande mosquée Fatima Al-Zahra. En 2009, sous le règne de Laurent Gbagbo, l’imam de ce lieu de culte, Abdul Kobeissi, a été arrêté puis expulsé au Liban. Américains et Israéliens le soupçonnaient de financer le Hezbollah.Lorsqu’on interroge ces Libanais sur leurs liens avec le parti d’Hassan Nasrallah, ils répondent en chœur : « pur fantasme ».

Pourtant, en 2004, lors des très fortes tensions entre Paris et Abidjan et alors que Charles Blé Goudé, leader de la jeunesse ivoirienne, proche de Laurent Gbagbo, avait harangué ses partisans en lançant l’appel « à chacun son Blanc », les hommes du Hezbollah avait protégé les biens des Libanais.

Pendant la guerre de 2011, ils veillaient encore au grain en protégeant Marcory, selon des Ivoiriens vivant dans ce quartier.

Fantasme ou réalité

« Le Hezbollah qui aide les chiites d’Abidjan : fantasme ; les chiites qui aident le Hezbollah : fantasme ; la diaspora qui vient en aide au Liban encore des fantasmes », tonne un maronite installé depuis les années 60 en zone 4.  Les rumeurs ont la peau dure, les réalités aussi. Il est pourtant de notoriété publique que depuis la guerre de 1975 au Liban, les émigrés ont toujours porté assistance à leurs compatriotes restés au pays et qu’ils l’ont fait sur une base purement confessionnelle.

Sans cette aide financière comment certaines familles n’auraient pas pu survivre surtout depuis 2019 date de la pire crise financière que le pays du Cèdre a connue. Toute l’économie de la région de Tyr, au Sud Liban, est irriguée par la manne des émigrés de Côte d’Ivoire. A tel point que dans le village de Zrarieh, la rue principale a été surnommée « avenue d’Abidjan ».

Il est vrai néanmoins qu’au cours de ces dix dernières années avec la guerre en Syrie, l’effondrement de l’économie et de la monnaie libanaise, la diaspora ne se fait plus construire de somptueuses villas dans son pays d’origine, elle juge plus sûr d’investir dans l’immobilier à Abidjan. Au passage, ces crises ont largement contribué à l’assimilation des Libanais de Côte d’Ivoire, compte tenu du désordre à Beyrouth, ils sont de moins en moins tiraillés entre leurs deux amours.  .

Dans le viseur des Américains

Mais depuis la fin 2019, les banques ont bloqué les retraits à quelques centaines d’euros, par conséquent faire parvenir de l’argent à la famille n’est pas simple. Comme au bon vieux temps, c’est le retour des bonnes vieilles valises. En prime, ce retour au cash permet de passer outre les multiples contrôles.  Les Etats-Unis ont placé le parti d’Hassan Nasrallah est sur la liste des organisations terroristes, cela leur donne un cadre juridique pour surveiller et sanctionner toutes les sociétés, les personnes privées, les associations caritatives soupçonnées d’avoir un lien avec le Hezbollah. Le 8 mars dernier, deux hommes d’affaires libano-guinéens, Ali Saadé et Ibrahim Taher, ont été poursuivis par le parquet de Conakry pour : « présomptions graves de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme ». Tous leurs biens ont été saisis et leurs avoirs ont été gelés. Et comme par hasard, la sanction de la justice guinéenne tombe quelques jours après que le Trésor américain ait sanctionné les deux hommes ! Washington ne s’en cache pas, cette action « vise à perturber le réseau d’affaires du Hezbollah en Afrique de l’Ouest ». A bon entendeur…

Le contre coup de la crise libanaise

Dans le même esprit, le FMI a négocié un accord préliminaire avec le gouvernement libanais afin de recapitaliser les banques.  Selon ledit accord, au-delà de 200 000 dollars les déposants ne récupèreront pas leur argent. Or, près de 40% de ces fonds appartiennent à la diaspora libanaise en Afrique qui est bien entendu vent debout contre cet arrangement. Si cette convention était signée en l’état, cela aurait pour conséquence de faire fuir tous ces épargnants du Liban.

En outre, comme en plus tous les chiites d’Afrique sont, plus souvent à tort qu’à raison, soupçonnés par le Trésor américain de soutenir financièrement le Hezbollah ils n’auront plus aucune banque en dehors de leur pays de résidence où déposer leurs économies…

Cs manœuvres financières auront pour corolaire d’augmenter la part d’investissements de ces opérateurs économiques en Afrique et de les pousser un peu plus encorevers l’eldorado ivoirien.

Les Libanais en Côte d’Ivoire (volet I): « J’ai deux amours » !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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