Le scandale a fini par émerger dans les médias : près de 2,5 milliards d’euros ont été détournés des caisses de l’Etat irakien.
Certains parlent de « casse du siècle », d’autres de « « plus grand braquage de l’histoire de l’Irak ».Selon un document de 40 pages cité par certains médias, le vol a été effectué par l’intermédiaire de cinq fausses sociétés. Entre septembre 2021 et août 2022, quelque 247 chèques d’une valeur de 2,5 milliards d’euros ont été présentés à l’encaissement sur un compte bancaire ouvert par l’administration fiscales irakienne pour les remboursements de l’impôt sur le revenu payé par les sociétés.
Les cinq fausses sociétés portent des noms poétiques tels que « Baleine Bossue », « Vent de Bagdad », « l’Adorateur », « les Créatifs » et « le Désert du Soir ». Elles ont été enregistrées auprès de la Commission nationale des investissements (NIC) sans que leur raison sociale soit apparente.
Vent de Bagdad par exemple, enregistrée au nom d’un certain Hussein Kawa Abdel-Qadir, 21 ans, a pompé 624 milliards de dinars (environ 500 millions d’euros) dans le compte de l’administration fiscale. La société avait été créée juste avant le vol avec un capital social de un million de dinars, soit 750 euros.
Le voleur, c’est l’Etat lui-même. Ce que chacun sait à Bagdad est que le voleur n’est pas un quelconque escroc. Le voleur c’est l’Etat lui-même ou plutôt ceux qui le servent, à savoir de hauts fonctionnaires associés à des cadres corrompus de la banque Rafidain.
Ce scandale n’a rien d’exceptionnel. En août 2022, un juge corrompu a accordé une indemnisation de 600 millions de dollars à une société de traitement de paiements électroniques pour un contrat soi-disant abusivement résilié. Là encore, l’argent a été pris sur les comptes de l’Etat géré par la banque Rafidain.
L’Irak est considéré comme l’un des pays les plus corrompus au monde. Il a été classé 160e sur 180 pays sur l’indice de corruption 2021 de l’ONG internationale Transparency International, légèrement mieux que les années précédentes lorsque l’Irak était en tête de liste.
En 2021, l’ancien président Barham Salih a estimé que 150 milliards de dollars avaient été volés dans les caisses de l’Etat et sortis clandestinement d’Irak depuis l’invasion menée par les États-Unis en 2003. Mais d’autres estimations vont plus loin.
Dans un rapport publié le mois dernier, Chatham House, un think tank basé à Londres, a estimé qu’en 8 ans, entre 2006 et 2014, la corruption a couté à ‘Irak 551 milliards de dollars.
Un problème ethnique institutionnel.
Le problème de la corruption en Irak ne tient pas à l’avidité de certains hommes politiques. Il est en réalité institutionnel. En 2003, un accord ethnique de partage du pouvoir entre chiites et sunnites auquel certains Kurdes sont associés a abouti à un pacte entre les élites de chaque communauté. Cet accord conçu pour empêcher les guerres intestines et les conflits intra-communautaire, s’est transformé en un pacte entre partis politiques pour se partager les recettes pétrolières de l’Etat.
Ce pillage éhonté est aggravé par l’Iran et les partis politiques pro-iraniens en Irak qui aident ainsi Téhéran à contourner l’embargo américain. Ainsi, en 2013, on a vu Nouri al Maliki, Premier ministre inféodé à l’Iran, signer un contrat de 6 milliards de dollars avec Satarem, une société basée en Suisse, pour construire et exploiter une raffinerie de pétrole de 150 000 barils par jour (bpj) dans la province méridionale de Maysan. Un expert irakien basé en Suisse, après enquête, a fait savoir que Satarem était une entreprise fictive qui n’existait que sur le papier. Seul l’argent était réel. Une fois n’est pas coutume, Al-Maliki à dû annuler l’accord.
En 2016, pour lutter contre cet accaparement des recettes de l’Etat par les partis politiques, les dirigeants irakiens ont fait occuper les postes ministériels par des technocrates. Les Etats Unis ont également poussé pour que des hauts fonctionnaires neutres fassent tourner la machine étatique. Mais loin de régler le problème, la corruption s’est déplacée. Les technocrates irakiens agissant comme les hommes politiques, ont fait tourner l’Etat à leur profit. Aujourd’hui, les ministres se plaignent souvent d’être impuissants face à leurs propres employés. Le pouvoir s’est déplacé des chefs de gouvernement vers les hauts fonctionnaires au sein de la bureaucratie officielle.
La vie des Irakiens en danger
La corruption en Irak est si profondément enracinée au cœur de l’Etat que de nombreux Irakiens ont baissé les bras et ont cessé d’aller voter. Le taux d’abstention frise les 80%.
Mais surtout, la corruption attente à la sécurité, au bien-être et à la santé des 42 millions de citoyens. La corruption en Irak ne concerne pas une part marginale du budget de l’Etat. En réalité, c’est ce qui n’a pas été volé qui finance les écoles, les hôpitaux, l’entretien des routes, l’eau potable, le réseau d’électricité… Et comme ces sommes sont insuffisantes, les écoles, les hôpitaux, les routes tombent en ruines, les médicaments qui sont distribués sont périmés, les jeunes peinent à trouver un emploi et l’électricité fonctionne à peine quelques heures par jour.
Les Irakiens, citoyens d’un des pays les plus riches du monde, ont une espérance de vie parmi les plus basses au monde. Le corollaire est que toute contestation d’un tel système est réprimée dans le sang. En octobre 2019, de jeunes Irakiens du centre et du sud de l’Irak sont descendus dans la rue pour protester. Ce mouvement, connu sous le nom de Thawrat Tishreen – Révolution d’Octobre en arabe – a été réprimé avec la dernière violence, la police tuant des centaines de manifestants et en blessant des milliers d’autres.