Le procès de madame Maya, la courtisane préférée de Bouteflika

Le récent procès de madame Maya, flamboyante hégérie du président Bouteflika, résume d’une manière édifiante les méthodes de la mafia politico-financière en Algérie.

Après des auditions dignes d’une série Netflix,  et après les plaidoiries des avocats plus que jamais remontés contre le parquet, l’affaire Madame Maya, de son vrai nom Zoulikha Nachineche, et de ses deux filles,  a été mise en délibéré pour mercredi 14 octobre 2020

Celle que l’on surnomme «Madame Maya», de son vrai nom Nachinachi Zoulikha, attirait tous les regards, ce mercredi, au tribunal de Chéraga (Alger). Pour le premier jour de son procès, note Libération, une longue procession de journalistes, d’avocats et de témoins s’étirait à l’entrée de la salle d’audience, trop exiguë pour contenir aussi les curieux.Madame Maya se faisait passer pour la fille cachée du président Abdelaziz Bouteflika. Et à ce titre, elle était courtisée, respectée, crainte.

Durant le rêgne du président déchu, Madame Maya proposait aux hommes d’affaires et autres entrepreneurs d’intercéder en leur faveur auprès des préfets, des ministres et des hauts responsables de l’État. Contre rétribution, cela va sans dire.

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Une vraie pro

Elle était pro Madame Maya, discrète comme il se doit, et redoutablement efficace si l’on juge par ce que le  Tribunal de Chéraga retient comme preuves contre elle :  9.5 milliards de centimes cachés dans trois grosses valises et 25 Kg de bijoux en or, retrouvés dans sa villa de Moretti. Et,  selon l’avocat du Trésor public, les preuves qu’au moins un million et demi d’euros transférés en Espagne où Mme Maya aurait acquis trois appartements. On reproche plein de choses aujourd’hui à Madame Maya, y compris d’avoir utilisé les services de la police algérienne pour dresser ses chiens.

Avec tous les voleurs qui rodaient dans la très protégée résidence d’Etat où elle était installée, cette dernière information introduit un peu de comique dans le passionnant feuilleton de l’incroyable procès de Madame Maya. 

Bouteflika, un président féministe

Riche en rebondissements, ce procès qui se voulait à charge contre l’ancien règne, dévoile involontairement une dimension du système Bouteflika que l’on pourrait considérer comme positif par les temps qui courent : l’ancien président déchu passe pour être le président le plus féministe qu’ait connue l’Algérie depuis son indépendance. Non seulement Abdelaziz Bouteflika aura permit à beaucoup de femmes  d’accéder au poste de ministre, mais il leur a aussi ouvert les portes de la corruption. Autant dire le coeur du système en Algérie. .

Le tribunal qui a requis des peines lourdes pour l’Intrigante et ses deux filles en a profité pour charger quelques figures emblématiques de l’ancien système : Mohamed Ghazi (l’ex-ministre du Travail et ancien wali de Chlef et de Annaba),  Mohamed Rougab  (le secrétaire général du président Bouteflika), Abdelghani Hamel , (l’ex- grand patron de la sécurité), et Abdelghani Zaalane ( ). Le moins que l’on puisse dire en lisant les comptes-rendus des audience dans la presse algérienne, c’est que les accusateurs ressortent plus affaiblis que les accusés eux même. Comme si le procès se retournait contre ses commanditaires. 

Une flamboyante victime

L’intrigante Madame Maya s’impose vite comme la star dans ce méli-mélo au coeur des règlements de comptes maffieux du sérail politique algérien. « Mme Maya à la barre, habillée d’une djellaba noire, la tête recouverte d’une écharpe en dentelle blanche ». Telle que décrite dans le compte-rendu du quotidien ElWatan, on a plus affaire à une flamboyante victime, genre la Lana Turner.Mme Maya affronte le juge en larmes, non pas pour se lamenter sur son sort, scellé d’avance, mais pour imposer d’emblée sa propre musique: «  est-ce que parce que je suis une femme que vous vous acharnez sur moi ? » laisse-t-elle entendre au juge: «J’ai travaillé toute ma vie pour gagner de l’argent. Est-ce que c’est interdit de s’enrichir ?». Elle refuse toutes les accusations, mais elle ne nie pas les faits. La forêt qu’on lui a octroyée  ?  « L’endroit était un lieu de débauche et de drogue, et elle il devenu aujourd’hui un lieu de rencontre des familles et de nombreux postes d’emploi ont été créés » réplique-t-elle, preuves à l’appui. Introduite par le président, l’ancien préfet qui lui a offert cette forêt comme on offre un bracelet, rappelle à la barre que les ordres du président sont des ordres, et sans jamais la présenter comme sa fille, le président Bouteflika demandait expressément qu’on «  prenne soin d’elle ». Ou comme dirait Mohamed Ghazi : «Comme le dit l’adage : l’intelligent comprend au clin de l’œil et l’âne aux coups de poing. Les demandes du Président sont des ordres.». Les avocats de l’ensemble des prévenus présents à l’audience ont plaidé la relaxe pour «absence de preuves »

La boite noire

Mme Maya, qui voulait passer pour la fille de l’ex-président déchue est passe presque pour une héroïne de « la hogra » ( « le mépris »). Soignant son storrytelling, elle a tenu à préciser devant que la Cour que son père était un ancien moudjahid (résistant), ami du défunt président Boumediène, et donc de son ministre des affaires étrangères. Avec Bouteflika, elle aurait entretenu des rapports amicaux, y compris durant sa longue traversée du désert, rappela-t-elle. 

En rendant ainsi hommage au président déchu, Madame Maya passe pour une « femme reconnaissante », en réalité l’exécutive-woman n’a fait que préparer le terrain de la défense qui exige désormais la présence du président déchu, Abdelaziz Bouteflika, considéré comme «la boîte noire de ce procès ». 

A défaut de gagner le procès, les accusés ridiculisent le tribunal. Personne ne croit une seule seconde que les militaires vont laisser un juge convoquer le président déchu. S’exprimant dans un entretien accordé ce samedi à la chaîne française France 24, le président actuel Abdelamajid Tebboune avait indiqué qu’il est défavorable au jugement de Bouteflika. « Je pense que la justice s’est prononcée, si la justice le demande c’est son affaire mais pour le moment il n’en n’est pas question. ». En algérien décrypté : si l’armée est obligée un jour de lâcher Bouteflika, c’est à elle de prendre l’initiative. Mais qui voudrait voir un président déchu et impotent traduit en justice ? Personne et encore moins les hauts gradés du pays. 

Khalifa, saison II

En attendant que Bouteflika meurt, ce qui arrangerait tout le monde en ce moment, le régime sort de sa besace un autre procès pour accréditer l’idée d’une nouvelle Algérie en guerre contre corruption. L’affaire de la banque Khalifa, deuxième saison ! On se souvient que ce scandale financier des années 90 qui avait coûté au Trésor public pas moins de 5 milliards de dinars, et n’a connu au final qu’un seul coupable, en l’occurrence l’ancien patron de l’éphémère groupe Khalifa, Abdelmoumen Khalifa,  condamné à 15 ans de prison.

Le pôle économique et financier de lutte contre la corruption au tribunal Abbane Ramdane (Alger)  a décidé de reprendre l’affaire, et annonce un nouveau casting : plusieurs anciens responsables écartés de l’affaire à l’époque, tels que Saïd Bouteflika, Ahmed Ouyahia, Abdelmadjid Sidi Saïd ou Abdeslam Bouchouareb, seront convoqués par la justice.Enfin des méchants vraiment méchants, pas rusés pour un centime, eux aux moins ils ne pourront jamais se faire passer pour des victimes à la manière de l’incroyable et émouvante Madame Maya ! 

Ah, la pauvre Madame Maya obligée d’expliquer devant tout le monde, pourquoi ses deux filles ont des biens considérables. « Quand j’ai appris il y a 6 mois que j’avais un cancer, j’ai décidé de léguer à ma manière mes biens à mes enfants. C’est interdit par la loi ? ». 

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