Le football anglais otage des conflits du Moyen Orient

Les deux rivaux du Golfe, l’Arabie Saoudite et le Qata,r sont en compétition pour le rachat du club Manchester United

L’Arabie saoudite a déposé une offre pour le rachat de Manchester United PLC, le plus célèbre des clubs de football britannique avant la date limite de vendredi, a rapporté jeudi The Telegraph.

D’autres milliardaires sont en compétition pour le contrôle du fabuleux club de foot britannique – comme le milliardaire britannique Jim Ratcliffe, épaulé par plusieurs sociétés de capital-investissement américaines – mais l’ennemi intime de l’Arabie saoudite sera également sur les rangs : la famille royale du Qatar prépare également une offre d’environ 5 milliards de livres (6 milliards de dollars). Selon Bloomberg, un consortium comprenant Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani, ancien Premier ministre du pays et ancien chef de la Qatar Investment Authority, met la touche finale à une proposition d’acquisition du club.

Le Qatar et l’Arabie Saoudite sont des rivaux politiques de longue date. Le Qatar apporte son soutien aux « Frères Musulmans » bannis en Arabie Saoudite. L’Émirat est en outre très en retrait dans la lutte des monarchies sunnites contre l’Iran chiite au Moyen Orient. En juin 2017, l’Arabie Saoudite avait tenté – mais sans succès – d’asphyxier le Qatar en bouclant les frontières de l’émirat rival.

Newcastle, prise de guerre séoudienne

Manchester United, quatrième club de football le plus riche du monde, selon Deloitte, risque donc d’être une scène de rivalité supplémentaire entre les deux pays.

Cette rivalité s’est déjà exprimée quand l’Arabie Saoudite a pris le contrôle du club de football britannique de la ville de  Newcastle. Ce même Newcastle qui a été défait par Manchester (2-0) en finale de la coupe Carabao au stade de Wembley, dimanche 26 février.

Newcastle a été acheté en 2021, par un consortium dirigé par la financière britannique Amanda Staveley et son mari, Mehrdad Ghodoussi, mais le couple était soutenu en grande partie par le Public Investment Fund (PIF), l’énorme fonds souverain d’Arabie saoudite.

Le parasitage politique

Si les centaines de millions investis par les saoudiens ont propulsé le club de Newcastle dans les hauteurs du classement, la polémique politique a parasité en permanence la vie du club.

La Premier League a d’abord bloqué la vente du club de Newcastle au motif que l’Arabie saoudite était impliquée dans le piratage de ses droits de diffusion audiovisuels. Il a fallu que des « assurances contraignantes » soient données prouvant que le P.I.F. était une entité distincte de l’État saoudien. En sous-main, la rivalité entre les deux pays du Golfe s’exprimait par le fait que beIN, la chaîne de télévision sportive du Qatar, devenait le principal diffuseur des matches de football anglais en Arabie saoudite. Ce que les Saoudiens ne supportaient pas.

Gâteries séoudinnes

Finalement, la prise de contrôle du club de Newcastle par les Saoudiens a eu lieu et à coups de dizaines de millions de livres, les Saoudiens ont rebâti une équipe qui a cessé de se languir dans les tréfonds du classement de la Premier League.

Ce rachat du club de Newcastle a eu un effet déclencheur sur  une foule de projets d’infrastructures. Une ville et une région qui se sentaient depuis longtemps brimées et sous-financées par le centre politique et financier du pouvoir situé à Londres, ont pris soudain leur envol. Les investissements sont tombés en pluie à Newcastle.

Mais la polémique a terni à nouveau la fête. Democracy for the Arab World Now, une association qui se présentait comme les « collègues et amis » du journaliste  Jamal Khashoggi assassiné par les Saoudiens, s’est étonnée que l’Etat britannique permette à « un dictateur (saoudien) qui massacre littéralement des journalistes » de réaliser un rachat aussi symbolique qu’une équipe de football britannique. Jamal Kashoggi était membre des Frères Musulmans et il n’est pas interdit de penser que le Qatar polluait en sous main l’opération financière et sportive de son rival saoudien. La fiancée de Khashoggi, Hatice Cengiz, a déclaré qu’elle était « horrifiée » à la perspective que l’Arabie saoudite devienne propriétaire d’un club anglais.

Plus l’équipe de football de Newcastle grimpait dans le championnat, plus des associations  ont attaqué le club comme relevant d’une opération de « sportwashing », à savoir une tentative de l’État saoudien de « détourner l’attention des graves violations des droits de l’homme ». Pour les fans de football, Newcastle ouvrait la voie au rêve, mais pour d’autres, le club symbolisait la noirceur de la dictature saoudienne.

Dimanche, pendant que les fans se rendaient avec fébrilité au stade de Wembley pour assister à la finale, d’autres, des militants des droits de l’homme remettaient une lettre à l’entraineur de Newcastle au nom de la famille d’un dissident emprisonné en Arabie saoudite.

La mise en vente de Manchester United et la rivalité saoudo-qatari risquent d’exacerber l’importation des rivalités moyen-orientales dans le sport britannique.