La terreur se répand en Tunisie

Un collectif d’avocats, d’intellectuels et de journalistes, parmi lesquels Eva Joly, Edgar Morin, Daniel Cohn-Bendit et Khadija Ryadi, dénonce dans une tribune au « Monde » le durcissement de la répression en Tunisie. Ils s’inquiètent aussi de l’absence de toute réaction de la part de la communauté internationale.

En octobre 2021, les signataires de cette tribune s’alarmaient de l’instauration d’un pouvoir autocratique en Tunisie, bâillonnant la moindre voix contestataire. Une réaction de la communauté internationale à la mesure de la gravité des atteintes aux droits de l’homme était instamment réclamée.

Plus d’un an après, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit, le 14 février, préoccupé par les arrestations d’opposants. L’ensemble de la société civile est indistinctement frappé par les mesures arbitraires prises par le pouvoir et par une justice aux ordres : responsables politiques, journalistes, avocats, magistrats.

Les tribunaux militaires sont également amenés à juger les civils et les hôpitaux psychiatriques sont parfois utilisés comme des lieux de détention. Un climat de terreur a été instauré, dans l’indifférence sidérante de la communauté internationale. La Tunisie, dans une situation financière critique, dont la population souffre de l’inflation et de graves pénuries, s’enfonce dans la dictature.



Parlement fantoche

Le 29 janvier, le président de l’autorité électorale (Instance supérieure indépendante pour les élections/Isie), Farouk Bouasker, annonçait un taux de participation provisoire surestimé et pourtant dérisoire de 11,3 % au deuxième tour des législatives, contre 8,8 % au premier tour. Non seulement les Tunisiens ne croient pas à un Parlement ainsi rendu fantoche mais leur abstention massive sanctionne, avec une rare éloquence, la politique du président Kaïs Saïed. Ses résultats électoraux confirment la déconfiture de ses discours populistes.

Les arrestations arbitraires, fondées sur des motifs toujours plus ubuesques, dont celle, le 11 février, du militant politique Khayam Turki, sont aujourd’hui devenues un instrument de légitimation par la force. La purge s’étend également aux hommes d’affaires, au motif fallacieux de la lutte anticorruption.

Le régime invoque des accusations bâties de toutes pièces, brandies comme des épouvantails : « terrorisme », « complot contre la sécurité », « intelligence avec une force étrangère »… pour compter sur la crédulité de la part infime des citoyens qui le soutiennent. La stratégie de la manipulation, dont Kas Saïed est si friand, n’échappe à personne.

L’arrestation, le 31 janvier, du leader syndicaliste Anis Kaabi illustre également la volonté du pouvoir de neutraliser les corps intermédiaires, en même temps que tous ceux qui seraient susceptibles de porter une voix dissidente. Récemment, le président tunisien a ordonné l’expulsion de la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, Esther Lynch. Cette décision illustre une volonté de briser la solidarité internationale.

Des hauts gradés au sein du pouvoir

ll n’y a désormais en Tunisie plus une seule institution à même de pouvoir garantir la moindre séparation ni le moindre équilibre des pouvoirs, ni même ne serait-ce que pour prétendre limiter le despotisme à l’œuvre.

L’arrestation, le 13 février, de Noureddine Boutar


L’arrestation, le 13 février, de Noureddine Boutar, directeur général de la radio privée Mosaïque FM, montre à quel point le pouvoir s’isole. Plus encore, il cherche à maîtriser tout élément de communication, allant par ailleurs jusqu’à annoncer des arrestations, avant même qu’elles aient eu lieu.

Fait aussi rare que préoccupant, Kaïs Saïed a introduit au sein du pouvoir des hauts gradés de l’armée, comme pour mieux compter sur leur soutien et édifier, au sens propre, un « gouvernement de combat ».

Quels peuvent être les soutiens permettant à ce régime de se maintenir au pouvoir envers et contre tous ?

Les signataires : Patrick Baudoin, avocat, président d’honneur de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ; Taoufik Ben Brik, journaliste et écrivain tunisien ; Nathalie Boudjerada, avocate au barreau de Paris ; William Bourdon, avocat au barreau de Paris ; Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris ; François Burgat, islamologue et politologue ; Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen ; Julia Ficatier, journaliste ; Hélène Flautre, ancienne députée européenne ; Iskandar Habache, écrivain libanais ; Kamel Jendoubi, ancien ministre tunisien ; Eva Joly, avocate ; Sonia Krimi, ancienne députée (LRM) ; Noël Mamère, ancien maire de Bègles (Gironde) et ancien député EELV ; Maati Monjib, journaliste et historien marocain ; Edgar Morin, sociologue ; Ali Lmrabet, journaliste ; Dominique Rousseau, juriste et professeur de droit constitutionnel ; Khadija Ryadi, lauréate du prix de l’ONU des droits de l’Homme, militante marocaine des droits humains ; Mounir Satouri, eurodéputé Groupe des Verts/Alliance libre européenne ; Arnaud Viviant, écrivain ; Michel Wieviorka, sociologue ; Z, caricaturiste tunisien ; Jean Ziegler, sociologue suisse, ancien rapporteur spécial auprès de l’ONU.

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