En Afrique du Sud, dans les montagnes du Cap oriental, l’Ukwaluka est un rite d’initiation traditionnel pratiqué par l’ethnie Xhosa, à l’issue duquel de jeunes garçons, « les initiés », deviennent « des hommes ».
La loi du désir
Deux fois par an, des groupes d’adolescents quittent ainsi leur communauté et rejoignent des campements isolés pour prendre part à un rituel de circoncision d’une violence quasi insoutenable (au rasoir et sans analgésique). C’est à l’issue de cette initiation douloureuse qu’ils sont considérés par leurs pairs comme des adultes virils et accomplis.
Oui, mais à un détail près : là comme ailleurs, la loi du désir se fait entendre et dans cette communauté exclusivement masculine, elle brouille les cartes.
Le jeune héros du film, Kwanda, qui débarque en pleine forêt pour subir ce rite, porte un regard critique, à la fois fasciné et effrayé, sur cette pratique archaIque. C’est ainsi qu’il découvre le secret de deux des « parrains » chargés de veiller au bon déroulement des rites, qui sont amants. L’histoire de leur amour impossible prend le pas sur le documentaire…
Sous la férule des ainés
La caméra du réalisateur, qui connaît bien son sujet pour l’avoir scénarisé avec deux anciens « Initiés » (Thando Mgqolozana et Malusi Bengu) se veut à la fois réaliste et poétique. Le film flirte ainsi tout d’abord avec le documentaire ethnographique où l’on observe des citadins retourner à l’Etat de nature sous la férule et les brimades des aînés de la tribu.
Mais peu à peu la fiction s’impose et propose une dramaturgie très élaborée, où le jeune héros, d’abord passif (prostré sur sa paillasse après l’acte brutal de circoncision) devient peu à peu voyeur… Et c’est une intense histoire d’amour homosexuelle qui se révèle être au coeur du film, secret honteux et dissimulé dans une région du monde où les gays sont au mieux stigmatisés, au pire pourchassés et parfois torturés comme au Zimbabwe. Il en fait le symbole d’une Afrique qui sacralise la puissance virile et considère l’homosexualité comme une menace, un crime. L’audace de ce Sud-Africain blanc ne s’arrête pas là. L’homophobie est si forte parmi les Noirs, suggère-t-il, qu’elle est entretenue par ceux-là mêmes qui en sont victimes. Les relations sexuelles qui unsisent les deux amants, brèves et brutales illustrent le rapport de force qui s’exprime entre eux. La pression de leur entourage et leur désir de cacher cette relation interdite métamorphose leur tendresse en brutalité.
Il y a une parenté évidente entre ce petit film confidentiel et le Secret de Brokeback Mountain, dans sa peinture terreuse et atavique de l’amour impossible entre deux hommes virils (ici, de peau noire) contraints de vivre selon les dogmes machistes de la société locale ou bien avec le récent « Moonlight » qui a conquis l’Amérique.
L’homosexualité comme un retour aux sources
Le réalisateur, John Trengrove, s’explique sur l’origine du projet et des deux tabous qu’il pulvérise : « Nous avons parlé de la possibilité de faire un film queer en Afrique du Sud. A l’époque, il y avait un certain nombre de choses qui étaient dans l’air et qui avaient de l’importance pour nous. Les déclarations de Robert Mugabe, qui explique que l’homosexualité est non-africaine sont de plus en plus populaires. »
S’il a choisi d’aborder ce thème en corrélation avec un rite initiatique, ce n’est pas n’importe lequel qu’il a choisi : la circoncision, symbole du passe à l’état de « mâle accompli » et accomplissemnt de la virilité : « L’initiation est en général gardée secrète. Beaucoup des choses qui s’y produisent ne sont pas censées être connues du monde extérieur. Tout film qui évoque le sujet fera face à de la controverse et à des opinions très fortes ».
La beauté de la lumière, des corps et des lieux d’une sauvagerie féérique confère au rite une dimension mythologique et l’esthétisme, la sensualité revendiquée avec laquelle la caméra s’attarde sur les corps musculeux des amants-adultes, mais aussi sur ceux, meurtris, graciles et recouverts de peinture blanche pour la cérémonie, des adolescents… confère au film une majesté sulfureuse.
A fleur de peau
On songe à la beauté plastique d’un Alain Giraudie dans « l’Inconnu du Lac », mais aussi au cinéma du thaïlandais Apichtpon Weerasethakul (notamment « Tropical Maladie ». Autant de cinéastes qui immergent la question de l’homosexualité dans une nature luxuriante et magique, comme un retour aux sources, à l’origine du monde.
« Les Initiés », bien plus qu’une énième romance homosexuelle, se révèle un thriller ethnographique, érotique et subversif, à fleur d’une peau ….noire ébène.