Ces expulsions qui provoquent des chicayas chez les amis d’Alassane Ouattara

La démolition du marché « Djè Konan » emménagé à l’intérieur du prestigieux jardin public de la ville d’Abidjan avait déjà tendu les relations entre Jacques Ehouo, le maire du Plateau et le nouveau gouverneur du District d’Abidjan, Cissé Bacongo, un Haussman ivoirien sans états d’âme. Mais à Yopougon, une commune dirigée par le chef du parlement ivoirien, le gouverneur a finalement reconnu qu’il était allé trop loin en détruisant des maisons et des biens dans plusieurs quartiers. Reste maintenant, dans ce dernier cas, à indemniser les victimes et à solder les vieilles haines entre les deux hommes, ce qui est une vraie gageure.

Un article de Z. Bati Abouè (correspondance)

Adama Bictogo, Président du Parlement et maire de Yopougon fait part de sa colère, lors d’une rencontre publique avec les populations : « on ne peut pas venir détruire moralement des gens !

Tout avait commencé le lundi 29 janvier. Ayant appris de surprenants déguerpissements menés par le District d’Abidjan dans plusieurs quartiers de sa vaste commune, Adama Bictogo, Président du Parlement et maire de Yopougon fait part de sa colère, lors d’une rencontre publique avec les populations : « on ne peut pas venir détruire moralement des gens ! J’irai rencontrer le gouverneur pour lui dire que je refuse que tout engin rentre à Yopougon sans mon autorisation », tempêta-t-il, avant d’annoncer « un arrêté municipal qui réquisitionne la police nationale, la gendarmerie et la police municipale pour protéger tous les quartiers concernés (par le déguerpissement, ndlr) », et de promettre la saisine du « conseil d’Etat pour que le district, au regard des documents de propriété, dédommage ceux dont les maisons ont été cassées ». Adama Bictogo promettait aussi d’offrir le gite « à ceux qui n’ont pas de document de propriété (…) après les avoir identifiés », bien évidemment.

Chicayas entre deux proches de Ouattara 

 Adama Bictogo a donc réussi sa contre-attaque. En faisant bafouiller à Cissé Bacongo d’inaudibles excuses à l’issue de la rencontre avec les victimes de ses intrusions destructrices à Yopougon, Bictogo a montré qu’il pouvait défendre ses populations contre toutes sortes d’abus, à commencer par ceux venant de son propre camp.

Mieux, le gouverneur réputé pour son caractère fonceur se ramollissait cette fois en déclarant se mettre à la disposition du maire de Yopougon et en s’excusant pour les dommages qu’il avait causés. Est-ce donc la fin d’un conflit de compétences qui a failli virer à un affrontement singulier entre deux proches du président Alassane Ouattara ? Pas si sûr. Les deux hommes ne sont pas les meilleurs amis.

Cissé Bacongo est en effet devenu secrétaire exécutif du RHDP après avoir remplacé Adama Bictogo, anciennement directeur exécutif, à ce poste de numéro deux du parti. Le départ de l’actuel maire faisait surtout suite à de nombreuses critiques en interne sur les pressions qu’il exerçait à ce poste sur les membres du gouvernement ainsi que sur les hauts responsables de l’administration. On connaît d’ailleurs sa rengaine sur « les tabourets » (poste dans la haute administration du pays, ndlr) et leurs titulaires qui devaient, selon lui, avoir un réflexe de soumission à l’égard du parti. Au surplus, son appétence pour les affaires l’a toujours fait passer pour un homme peu fiable qui n’hésiterait pas à retourner sa veste le moment venu, au gré de ses intérêts

L’ombre de la Présidentielle

Les adversités internes expliquent en partie la dernière sortie de la Cour des comptes sur la disparition de plusieurs centaines de milliards représentant la quote-part de gains de l’Etat sur la confection des passeports, cartes nationales d’identité et cartes de séjour. Leur fabrication a été concédée à la Société nationale d’édition de documents administratifs et d’identification (SNDAI) appartenant au président du parlement ivoirien.

Une bataille féroce est d’ailleurs menée depuis plusieurs mois en interne pour que l’Etat ne renouvelle pas la concession de SNEDAI qui arrive à échéance cette année. Il s’agit en effet d’affaiblir le président du parlement en lui arrachant ce puissant levier économique grâce auquel Adama Bictogo avait déjà réussi à mettre dans sa poche tous les députés, qu’ils soient de l’opposition ou du pouvoir, après la mort d’Amadou Soumahoro le titulaire du poste.

Car le président du parlement est soupçonné de vouloir succéder à Ouattara le moment venu. D’autant plus que son parachutage dans la commune de Yopougon réputée être une forteresse de l’opposition n’a pas précipité son échec, loin de là. Adama Bictogo a même réussi à neutraliser le PDCI et le PPA-CI, les deux grands partis d’opposition, qui avaient terrassé le pouvoir lors des législatives dans cette même commune.

Un communiqué vengeur

Les premières démolitions avec ce nouveau gouverneur ont pourtant commencé dans la commune Plateau dont le maire, Jacques Ehouo, a tenté de réagir à l’affront. À la tête de la commune la plus stratégique d’Abidjan qui compte moins de 10.000 résidents, mais concentre sur 3,945 km2 la présidence, l’Assemblée nationale, les principaux ministères, des sièges de banques, d’organisations internationales et des hôtels de luxe, il a indiqué dans un communiqué disponible sur les réseaux sociaux que « le destruction du marché Djè Konan », un site emménagé à l’intérieur du jardin public de la commune, fait partie de son patrimoine exclusif et se dit étonné de ne pas avoir été informé.

Au Plateau, Cissé Bacongo a aussi dans le collimateur d’autres espaces appartenant en réalité à des propriétaires privés qui les louent à titre d’exploitation pour la restauration collective ou pour des commerces divers. Mais Jacques Ehouo n’a pas réagi avec la même énergie parce que M. Bacongo n’est pas n’importe qui. Secrétaire exécutif du parti au pouvoir, ministre-gouverneur, maire de Koumassi, il est surtout un proche d’entre les proches du président Alassane Ouattara, son arrivée à la tête du District autonome d’Abidjan ne doit sûrement rien au hasard. Puisque pour le placer à ce poste, le président ivoirien a été obligé se défaire de Beugré Mambé, un collaborateur prévenant qui plus est Atchan, la communauté à qui ce poste a toujours été destiné.

Bien sûr, Beugré Mambé a été promu Premier ministre et n’a donc pas été rétrogradé. Mais l’arrivée de Cissé Bacongo montre que le RHDP s’est donné les moyens d’administrer cette commune qui lui échappe depuis plusieurs décennies, d’abord dans l’opposition et depuis douze ans en tant que parti au pouvoir. A plusieurs reprises, le maire actuel, Jacques Ehouo, a réussi à battre toutes les têtes d’affiches locales du parti au pouvoir : d’abord Fabrice Sawegnon, le communicateur du président, puis Ouattara Dramane, et enfin les deux personnalités ensemble à l’occasion des dernières élections municipales. Ce nouvel échec a probablement fait perdre patience au Président Ouattara qui a désigné un gouverneur fonceur qui n’a jamais hésité à détruire, quitte à rebâtir.

Parmi les 7000 habitants du Plateau, on retrouve de riches hommes d’affaires, d’anciens hauts cadres de l’administration et autres compagnons retraités du premier président ou leurs ayants-droits, mais aussi des familles de petits personnels ayant servi au palais présidentiel.

Huit millions le m2

La commune du Plateau est à la fois une vitrine nationale et un énorme enjeu immobilier pour les grandes agences qui ont pignon sur rue à Abidjan. Parmi elles, l’Agence internationale de commercialisation immobilière (AICI) fondée par l’épouse du président de la République à la fin des années 80. Pour devenir cette agence mondialement connue, Dominique Folleroux a pu bénéficier du soutien d’Houphouët-Boigny qui l’avait alors présentée aux présidents africains de l’époque. Conséquemment, ces déguerpissements pourraient bien lui offrir de nouveaux espaces dans la ville d’Abidjan. D’autant plus que la destruction d’une partie du Plateau relève d’un projet présidentiel.  Son but est de sortir tous les camps militaires qui avaient transformé la commune en une forteresse militarisée, le Palais présidentiel étant seulement à quelques centaines de mètres de l’état-major de l’armée de terre et de la gendarmerie.

Parmi les 7000 habitants du Plateau, on note de riches hommes d’affaires, d’anciens hauts cadres de l’administration et autres compagnons retraités du premier président ou leurs ayants-droits. Il y a aussi des familles de petits personnels ayant servi au palais présidentiel qui vivent généralement là dans des conditions précaires semblables à celles des communes pauvres du pays. Des familles de militaires, gendarmes et policiers vivent également au Plateau, soit à l’intérieur des différents camps ou dans des cités dont la plus connue de tous est la cité policière.

Le Plateau a pourtant perdu, au fil des années, son statut de centre des affaires de premier plan. De nombreuses entreprises ont déménagé vers les nouveaux quartiers d’Abidjan qui reflètent, à leurs yeux, une qualité de vie que le Plateau a perdue. Du moins, ce sont les raisons avancées par les autorités ivoiriennes pour justifier la construction de nouveaux bureaux, des centres commerciaux d’affaires ainsi que des habitations de haut standing reflétant le projet futuriste du président Ouattara. Pour leur faire de la place, la présidence prévoit également de casser les « 40 logements » et l’ex-cité Ran qui valent de l’or en raison de leur proximité avec la présidence ivoirienne.

Fortes pressions politiques

Pour libérer ces quartiers jouxtant le périmètre présidentiel, le gouvernement exerce d’énormes pressions sur la mairie du Plateau qui a choisi d’acheter un terrain de plusieurs hectares à Ayaou, près de Grand-Bassam (43 km d’Abidjan), afin d’y loger son personnel et les habitants de l’ex-cité Ran qui ne savent où aller. Car face à l’intransigeance de l’Etat, la mairie et, encore moins, les habitants ont très peu de moyens à faire valoir. En parallèle, le gouvernement procède aussi à l’affaiblissement de l’autorité des collectivités locales en intensifiant la pression fiscale au moyen du plafonnement des recettes fiscales. La mairie du Plateau voit ainsi son budget dédié aux subventions aux associations bloqué à 10%.

Ces financements alternatifs étaient jusque-là les seuls moyens légaux pour porter assistance aux plus démunis, financer des activités au bénéficie du bien-être des populations et aider les communes les plus pauvres à travers des accords de jumelage. Au total, ces mesures de plafonnement vont coûter quelque 2,4 milliards de Fcfa au budget de cette année. Mais à ces chantages fiscaux plus ou moins légaux, le régime ajoute également la pression judiciaire, dernier maillon de la pression politique.