Docteurs La Mort, lobbies pharmaceutiques, tueurs en série… L’indignation suscitée depuis plusieurs jours par les propos de deux scientifiques français, qui ont suggéré de tester un éventuel vaccin contre le coronavirus sur des Africains, a des fondements historiques.
Par Michael Pauron
Depuis le 2 avril, jour où les Français Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et Jean-Paul Mira, le chef du service de réanimation de l’hôpital Cochin (Paris), ont suggéré, sur la chaîne d’information LCI, de tester un éventuel vaccin contre le COVID19 sur les Africains, les réseaux sociaux s’enflamment et les communiqués pleuvent.
Le hashtag #AfricansAreNotLabRats [Les Africains ne sont pas des rats de laboratoire] inonde la toile et les excuses des protagonistes n’y changent rien. Aux plaintes de l’association Esprit d’Ebène et de SOS Racisme, auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel français (CSA), viennent s’ajouter celles, auprès de la justice française, du Collectif des avocats au Maroc, et de M’jid El Guerrab, député de la 9e circonscription des Français de l’étranger (Maghreb et en Afrique de l’Ouest).
Inquiétudes légitimes
Face aux rumeurs, aux indignations de personnalités, des responsables politiques africains sont sortis de leur réserve. Le 4 avril, la présidence du Burkina Faso a publié un communiqué dans lequel elle dément « catégoriquement les informations circulant sur les réseaux sociaux classant le Burkina Faso dans une liste de pays africains ayant prétendument validé le test d’un vaccin contre le Coronavirus ». A son tour, le 6 avril sur la radio sénégalaise TFM, Abdoulaye Diouf Sarr, le ministre de la Santé et de l’Action sociale, a déclaré « le Sénégal n’est pas concerné [par d’éventuels tests de vaccination] et n’envisage pas de prendre ce vaccin ».
Et, le 7 avril, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, le chef de l’Organisation mondiale de la santé, n’a pas mâché ses mots au cours d’une conférence de presse virtuelle depuis Genève. : « Ce genre de propos racistes ne font rien avancer. Ils vont contre l’esprit de solidarité. L’Afrique ne peut pas et ne serapas un terrain d’essai pour aucun vaccin. L’héritage de la mentalité coloniale doit prendre fin. »
Tout en accordant le bénéfice du doute à ces deux scientifiques certainement plus maladroits que malintentionnés, il est néanmoins méprisant de penser que les Africains n’ont aucune raison de s’inquiéter. Le débat n’est pas nouveau et mérite d’être entendu.
En 2007 déjà, face à une levée de boucliers provoquée par la libération en Libye d’infirmières bulgares soupçonnées d’avoir transmis le Sida à des enfants, la chercheuse américaine Harriet A. Washington*, expliquait dans une tribune publiée par le New York Times : « L’Afrique a hébergé un certain nombre de malfaiteurs médicaux [blancs] de premier plan qui ont intentionnellement administré des agents mortels sous prétexte de fournir des soins de santé ou de mener des recherches. Nous devons aborder les soupçons des Africains avec respect. » Elle rappelait que ces évènements, extrêmement rares, mais très médiatisés, avaient exacerbé la défiance des Africains lors de campagnes de vaccination, notamment de la polio au début des années 2000, au Burkina Faso, au Tchad et au Nigeria.
Le Sida, arme biologique
Treize ans plus tard, les propos de Camille Locht et Jean-Paul Mira relancent certaines grandes thèses complotistes, au premier rang desquelles celles autour du virus du Sida, qui aurait été inoculé aux Africains à de nombreuses reprises, dans de nombreux pays, sous couvert de tests pour un vaccin. Un extrait du documentaire « Cold Case : Hammarskjold » est venu renforcer cette thèse.
L’enquête de Mads Brügger, sortie il y a un an, porte sur le crash jamais élucidé, en 1961 au dessus du Zaïre, de l’avion transportant Dag Hammarskjold, secrétaire général de l’Onu.
Mais un ancien mercenaire sud-africain y affirme qu’une agence secrète sud-africaine, soupçonnée d’être le commanditaire du crash et dirigée par un suprémaciste blanc, avait pour dessein d’éliminer les populations noires en leur injectant le HIV. Si ces allégations n’ont pu être formellement corroborées, elles ont une résonance particulière dans un pays où près de 20 % des adultes vivent avec le Sida.
Ces docteurs La Mort
L’Afrique du Sud a été le théâtre de nombreux crimes médicaux, notamment sous le régime de l’apartheid. Ceux de Wouter Basson sont restés impunis, malgré les centaines de témoignages et les milliers de documents à charge. Cet ancien chef du Projet Coast, l’unité d’armes chimiques et biologiques d’Afrique du Sud sous l’apartheid, est accusé d’avoir tué des centaines de Noirs en Afrique du Sud et en Namibie, de 1979 à 1987, notamment par injection de poisons et du virus du Sida.
Werner Bezwoda, chercheur à l’Université Witwatersrand, a aussi marqué la nation Arc-en-ciel. En 1999, cet oncologue réputé est licencié pour avoir falsifié des résultats issus d’expériences sur le cancer du sein. Le scientifique blanc administrait des doses très élevées de chimiothérapie et pratiquait des greffes de moelle osseuse à l’insu de femmes noires malades. Les premiers résultats de ses travaux ont été publiés en 1995 et, devant les éléments a priori encourageants, de nombreux spécialistes à travers le monde ont prescrit ce protocole à des dizaines de milliers de femmes. Une étude américaine estime que 10 à 20 % de ces patientes sont décédées à cause de ce traitement. Là aussi, le chercheur n’est jamais passé sous les fourches caudines de la justice.
A la même période, au Zimbabwe, Richard McGown, un anesthésiste né en Écosse, est accusé de cinq meurtres et condamné pour la mort de deux enfants, âgés de deux et dix ans. De son propre chef, il avait commencé, dès 1981, à expérimenter la morphine en péridurale sur des enfants. Ce « messager de la mort traquant les hôpitaux », comme l’a qualifié à l’époque le procureur zimbabwéen, a admis avoir réalisé des expériences d’anesthésie sur plus de 500 patients, à leur insu. Condamné en 1999 à seulement un an de prison dont six mois avec sursis, et à verser 1250 dollars aux familles de victimes, l’anesthésiste a tenté de recouvrer sa licence au Royaume-Uni. Heureusement sans succès.
Serial killer en blouse blanche
Harare a aussi abrité le célèbre tueur en série américain Michael Joseph Swango. Malgré une première condamnation, aux États-Unis dans les années 80, pour avoir tenté d’empoisonner des collègues, il a pu retrouver du travail en falsifiant les informations contenues dans son dossier, et tuer impunément.
L’ancien étudiant de la Southern Illinois University Medical School se fait embaucher par l’Église luthérienne dans l’hôpital missionnaire de Mnene, dans le sud du Zimbabwe. Pendant plusieurs mois, le médecin, fasciné par le tueur en série Ted Bundy et le film « Le Silence des Agneaux », continue son œuvre macabre, toujours avec la même méthode : une injection létale de potassium mélangé au traitement habituel des patients.
Licencié en 1995, il fuit la justice via la Zambie, où il aurait fait d’autres victimes, avant de regagner les États-Unis, et trouve un nouvel emploi au Royal Hospital de Dhahram, en Arabie Saoudite. Il est arrêté juste avant de pouvoir rejoindre Ryad, et condamné en 2000 à trois peines de prison à vie pour seulement trois meurtres. Il est soupçonné d’en avoir commis une soixantaine, dont une vingtaine au Zimbabwe. Crimes pour lesquels il n’a jamais été jugé.
Pfizer pris la main dans la boite de comprimés
Outre les médecins, les grands laboratoires suscitent également la défiance, et pour cause. En 1996, l’État de Kano, dans le nord du Nigeria, est ravagé par une épidémie de méningite. Le géant américain Pfizer profite de cette tragédie pour tester deux médicaments, le Trovan et la Ceftriaxone. Onze enfants décèdent. En 2007, l’État de Kano porte plainte contre le géant américain.
Pfizer n’avait pas obtenu « un consentement éclairé » des parents pour réaliser ces tests. Une exploitation de l’ignorance que réfute d’abord le laboratoire avant de signer en 2009 un arrangement de 75 millions de dollars. Une fuite sur la plateforme wikileaks, en 2010, accélère le versements des indemnités aux familles. Les documents dévoilés (des échanges entre un responsable du laboratoire et l’ambassadeur américain de l’époque) mettent en lumière les pressions exercées par Pfizer pour faire abandonner les poursuites. Un détective privé étaient chargé de trouver des preuves de corruption impliquant le gouverneur de l’État de Kano.
*Auteur de « Medical Apartheid: The Dark History of Medical Experimentation on Black Americans From Colonial Times to the Present »