Des représentants des sociétés civiles ouest-africaines ont appelé à renoncer à une approche militaire exclusive dans la « lutte contre le terrorisme » .
Dans une conférence de presse en ligne organisée le 11 juin, à la veille de la première réunion ministérielle de la «Coalition internationale pour le Sahel», une énième structure diplomatique supposer venir en aide au Sahel, cinq acteurs de terrain et experts ont souligné les insuffisances de l’approche actuelle et présenté leurs priorités pour mieux relever les défis auxquels sont confrontées les populations civiles dans la région.
Rappelons que le Sahel, déjà l’un des territoires les plus pauvres du monde, est confronté depuis 2012 à un conflit qui s’étend de plus en plus géographiquement, associe de plus en plus d’acteurs armés et fait de plus en plus de victimes parmi les populations civiles, prises en étau entre les terroristes et les forces de défense et de sécurité, les milices armées communautaires et les groupes armés terroristes.
Engager un dialogue constructif et exigeant avec les gouvernements
Les acteurs de la société civile ont souhaité « engager un dialogue constructif et exigeant avec les gouvernements de la région et leurs partenaires internationaux », en faisant valoir leur expertise locale.
Victor Ouedraogo, prêtre catholique à Ouahigouya, au nord du Burkina Faso, directeur du Centre Diocésain de Communication, a raconté la situation très préoccupante de sa région : « Il ne se passe pas une semaine sans que nous apprenions des nouvelles macabres, des tueries et des attaques liées aux groupes terroristes et autres forces armées. Cette situation a entraîné le déplacement massif de 800 000 personnes. Les femmes sont privées de liberté, même dans les camps où elles pensaient être en sécurité. Plus de 2000 écoles sont fermées et 300 000 élèves privés de leur droit à l’éducation. Sur le terrain, nous voyons peu d’amélioration. (…)Il faut impliquer les populations locales dans la gestion de cette crise. Les armes dont nous avons besoin, ce sont les armes du développement. »
Abas Mallam, juriste, secrétaire général du Réseau nigérien pour la gestion non-violente des conflits (RE-GENOVICO) a renchéri en mettant l’accent, lui-aussi, sur l’aggravation de la situation : « La lutte anti-terroriste n’a pas créé les résultats escomptés. Nous nous demandons parfois si les interventions au Sahel n’ont pas aggravé la situation. On n’a pas vaincu les terroristes et on a créé des problèmes avec le soupçon et la perte de confiance entre les communautés et l’État. Il est nécessaire de réorienter la réponse en mettant l’accent sur la protection des civils. (…) Il faut travailler sur les causes profondes du conflit. C’est pour cela que nous proposons de créer une coalition citoyenne pour le Sahel, comme un pendant à la Coalition internationale, pour inciter la communauté internationale et les pays de la région à réorienter les actions entreprises pour une meilleure protection des populations. »
L’expertise locale des populations pas suffisamment mobilisée
Niagalé Bagayoko, politologue, présidente de Africa Security Sector Network, un groupe de réflexion basé à Accra, au Ghana, spécialisé dans la réforme du secteur de la sécurité en Afrique, a quant à elle rendu hommage aux « nombreux travaux et actions mis en œuvre par des acteurs au plus près des populations et communautés et cette expertise n’est pas suffisamment mobilisée. La société civile est désireuse de s’engager dans un dialogue constructif – et critique – avec les gouvernements et de proposer son expertise pour s’attaquer ensemble aux causes profondes du conflit »
Drissa Traore, coordinateur national du projet Association malienne des droits de l’Homme AMDH/Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), s’est inquiété des risques de violations des droits humains nés de la mise en œuvre d’une réponse sécuritaire « sans consultation des communautés qui sont censées être protégées par les forces de sécurité. »
« Nous attendons de la Coalition internationale qu’elle aille au-delà des simples déclarations. Ce ne sont pas les solutions qui manquent, mais pour les mettre en œuvre, il faut une véritable volonté politique. La ‘coalition citoyenne’ que nous appelons de nos vœux pourrait utilement contribuer à convaincre les gouvernements de mettre la protection des civils et la sécurité humaine au cœur de la réponse »
Selon la Division des Droits de l’Homme et de la Protection de la MINUSMA, le premier trimestre 2020 a été marqué par une dégradation des droits humains avec une augmentation de 61% des violations par rapport au trimestre précédent. Au total, 598 violations des droits de l’Homme et abus ont été documentées, à mettre sur le compte, par ordre décroissant, aux acteurs des conflits inter-communautaires, aux milices et groupes d’autodéfense, aux forces armées nationales et G5 et aux groupes terroristes armés, signataires ou non des accords de Paix.
Cette tendance s’observe malheureusement de plus en plus autour du Mali. Le Burkina Faso et le Niger sont touchés de plein fouet par les mêmes dynamiques, même si les acteurs armés y sont un peu moins nombreux et qu’on y déplore l’absence d’une observation indépendante et impartiale de ces abus (de ce fait, documentés avec moins de précision).
https://mondafrique.com/g5-sahel-lonu-face-aux-exactions-des-armees-nationales/