Emmanuel Macron au Burkina Faso (II volet): le risque d’une d’insurrection

Alors qu’Emmanuel Macron arrive au Burkina Faso, les ingrédients de la colère sont réunis qui pourraient conduire le peuple à descendre la rue.  

« J’en ai assez de voir des millions de jeunes courageux livrés au chômage et au désespoir avec un horizon assombri dans une indifférence indescriptible ». Ces propos avancés jeudi 26 octobre 2017 par le ministre burkinabé de la Culture Tahirou Barry pour justifier sa démission du gouvernement traduisent une cruelle réalité : trois ans après la chute de l’ancien président Blaise Compaoré le pays n’a pas su relever l’épineuse question du chômage des jeunes. Or, au-delà du contentieux politique autour de la modification de l’article 37 portant limitation du mandat présidentiel, c’est bien le manque d’emploi pour les jeunes Burkinabé qui a balayé les 27 années de régime Compaoré.

Si les jeunes ont été le fer de lance de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, c’est surtout parce que le régime renversé n’a pas su répondre à leurs problèmes d’accès à l’emploi. En 2014, le Burkina Faso comptait trois différentes promotions de bacheliers en première année d’université. Il y avait alors 5000 étudiants en première année de droit, 2000 autres en première année de géographie. Et même s’ils sortaient diplômés des facultés, ces jeunes étaient fatalement promis au chômage.

Sous la transition mise en place après la chute de Compaoré, le binôme Michel Kafando/Isaac Zida avait évalué la situation à sa juste mesure puis décidé de transmettre le dossier aux autorités élues.

Deux après son installation, le président Roch Marc Christian Kaboré n’a pas trouvé de solution aux problèmes de chômage des jeunes. Dans ce contexte, l’offre du pouvoir burkinabé de recruter les titulaires du baccalauréat comme enseignants apparaît comme totalement dérisoire. Aucune des deux grandes mesures envisagées sous la transition pour aborder frontalement le problème n’a encore été mise en route. Il s’agit des états-généraux de l’emploi au Burkina Faso et de la rédaction d’un livre blanc sur le chômage des jeunes.

Faute d’avoir été pris en charge, le problème pourrait même s’aggraver. Car le pays connaît un accroissement naturel de 3,1% chaque année. De 18,4 millions de personnes en 2015, la population burkinabé est passée à près 19,2 millions  en 2017. Environ 72,1% des Burkinabé ont moins de 30 ans et aspirent donc à trouver du travail. Le chômage des jeunes est devenu une vraie bombe à retardement que Roch Kaboré n’a pas encore désamorcée.

Contentieux politique

Comme si cela ne suffisait, le Burkina Faso post-Compaoré doit gérer le contentieux politique qui oppose la majorité au pouvoir regroupée autour du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) à l’opposition emmenée par l’Union pour le progrès et le changement de Zephirin Diabré par ailleurs Chef de file de l’opposition. Le front constitué par l’UPC, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) de l’ex-président Compaoré et l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) accuse le pouvoir de « dérive dictatoriale », citant, entre autres, les velléités du ministre de la sécurité publique Simon Compaoré d’interdire leur meeting en avril dernier. La nouvelle alliance des partis d’opposition soupçonnent par ailleurs le régime de Roch de vouloir changer les règles du jeu électoral à travers la modification de la loi électorale. Ce que le pouvoir présente comme une volonté de simplification des opérations de vote est considérée par les opposants comme une réelle volonté de fraude. A ce contentieux entre pouvoir et opposition, s’ajoute la rivalité entre le MPP et l’UPC, les deux premières forces politiques.

Selon M. Diabré, il y a bien la main du MPP derrière la décision de 13 députés de son parti de créer un nouveau groupe parlement dénommé « UPC/RD ».

« De manière indiscutable, l’Union pour le progrès et le changement a été l’objet d’une tentative de déstabilisation de la part d’officines liées au MPP », a affirmé à la presse le chef de l’opposition.

Ce contentieux politique devrait s’alourdir à mesure qu’approchera la présidentielle de 2019, l’UPC étant convaincu que le MPP cherche à l’affaiblir pour favoriser la réélection de Roch.

Machine judiciaire en panne

Outre le chômage des jeunes et le contentieux politique autour de l’article 37, les carences du système judiciaire furent une des raisons de l’insurrection populaire qui a renversé Compaoré. Ce n’était pas un hasard si à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays les manifestants avaient entièrement pillé puis incendié le 31 octobre 2014 le palais de justice. Pour eux, il fallait alors s’en prendre à une machine judiciaire incapable de garantir une justice équitable.

Des états-généraux de la justice ont certes été organisés du 24 au 28 octobre 2015 à Bobo-Dioulasso, mais ils n’ont pas suffi à rétablir la confiance entre les Burkinabé et leur justice. Il faut dire que le peu de progrès réalisés dans le traitement des dossiers emblématiques comme l’assassinat de Thomas Sankara (1987) ou l’affaire Norbert Zongo (1998) n’a aidé au retour à la confiance dans les magistrats. En effet, si quelques actes d’instruction importants ont été effectués par les juges, on est encore bien loin du dénouement judiciaire de ces deux affaires. Ce qui a le don d’agacer une partie de l’opinion persuadée que tout aurait pu élucider aussitôt Compaoré chassé du pouvoir.

Par ailleurs, le traitement judiciaire de la tentative de coup de septembre 2015, menée par le général Gilbert Diendéré, n’est pas près d’aider à améliorer les rapports entre la justice et les Burkinabé. De nombreux citoyens, notamment dans les rangs de la société civile, n’ont guère apprécié la décision du tribunal militaire d’accorder la liberté provisoire (même avec assignation à résidence) à l’ancien ministre des Affaires étrangères Djibril Bassolé. Ils y ont vu « une insulte à la mémoire » des « martyrs » de l’insurrection populaire et de la tentative de coup d’Etat de septembre 2015. Et lorsqu’on ajouté à toutes ces raisons qui ont conduit à l’insurrection populaire d’octobe 2014, la grande insécurité que connaît désormais le pays (au moins 60 morts dans 3 attentats terroristes commis en deux ans), on peut dire que le Burkina post-Compaoré cherche encore sa voie.

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