Cinq jours après le report de l’élection présidentielle au Sénégal, la situation est toujours confuse dans ce pays où Macky Sall répond à la pression de la rue par de violentes répressions qui ont déjà fait deux morts parmi des manifestants. Mais malgré la menace d’un chaos généralisé qui se profile à l’horizon, la communauté internationale se contente de dénonciations de principe.
Bati Abouè
Un pied dans le chaos. Cinq jours après la décision de Macky Sall qui fit reporter l’élection présidentielle prévue le 25 février au 15 décembre 2024, le Sénégal a enregistré, samedi 10 février, ses deux premiers morts, 1 au nord de Saint Louis et 1 autre, tué par balle, à Colobane, dans un quartier populaire de Dakar. Le premier, Alpha Yoro Tounkara, 22 ans, était étudiant en deuxième année de licence de géographie à l’Université Gaston-Berger, tandis que le deuxième, Modou Gueye, 23 ans, était un vendeur ambulant de maillots et de drapeaux. Un gendarme lui aurait tiré une balle réelle dans le ventre, a témoigné à l’AFP Mbagnick Ndiaye, un manifestant qui dit avoir tenu la main à l’infortuné et pris son sac quand il est tombé.
La mort des deux premiers manifestants a été vivement critiquée par l’opposition sénégalaise qui dénonce la brutalité des forces de sécurité alors que « le pays fait face à un coup d’état institutionnel », a déploré, dimanche 11 février, un membre de la coalition Bassirou Diomaye Faye président. De nouvelles manifestations sont prévues mardi 13 février prochain et l’ex-Première ministre Aminata Touré, membre de la coalition des candidats, a condamné, lors d’une conférence presse animée, des violences policières insupportables avant d’appeler les populations à manifester conformément à leurs droits constitutionnels.
La menace du chaos
La coalition des candidats a de nouveau insisté sur le maintien du calendrier électoral, mais celui-ci est visiblement devenu intenable dans un tel contexte de violences et de dégradations des biens. quatre véhicules appartenant à des particuliers ont d’ailleurs été brûlés à Dakar, le week-end dernier, lors de la manifestation de la société civile qui s’est achevée par une course-poursuite entre policiers et manifestants. En raison de ce contexte, les candidats qui avaient dit leur détermination à battre campagne malgré le report de l’élection n’ont pu le faire jusque-là à cause des multiples arrestations opérées dans leur rang par les policiers et les gendarmes. Bref, l’élection présidentielle ne peut logiquement plus se tenir le 25 février et c’est probablement sur l’impossibilité pratique de l’organiser que joue le président Macky Sall qui bénéficie du soutien discret de la communauté internationale.
La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la France, l’Union Européenne et enfin les Etats-Unis avaient en effet fait, chacun, une nouvelle déclaration exigeant le maintien du calendrier électoral au président sortant après une première vague de réactions qui laissaient plutôt dos-à-dos les différentes parties prenantes au conflit. Mais depuis, tous sont redevenus discrets.
Et cela est d’autant plus étonnant que d’habitude, de telles dénonciations sont suivies d’un train de sanctions contre les personnalités jugées responsables dans les cercles immédiats du pouvoir.
L’ombre d’un coup d’Etat françafricain
Bien au contraire, la communauté internationale reste plutôt bienveillante envers Macky Sall, en dépit des apparences. Le président sénégalais reste malgré tout très isolé dans son pays puisque les syndicats, les communautés religieuses et des personnalités connues en dehors des frontières du pays ont, tour à tour, dénoncé sa décision reportant l’élection. Pour le freiner, l’opposition joue, de son côté, à la fois la rue et la carte du droit puisque plusieurs recours ont été formulés devant le conseil constitutionnel pour retoquer la décision de report. Si elle ne réussit pas, le pouvoir et ses alliés internationaux pourraient d’abord se satisfaire de la situation chaotique du pays avant d’envisager un coup d’état à la gabonaise qui mettrait fin au pouvoir de Macky Sall et aux ambitions du Pastef, parti d’Ousmane Sonko, de parvenir au pouvoir.
La France et avec elle la vieille classe politique sénégalaise redoutent en effet l’arrivée de cet ancien inspecteur des impôts à la tête de l’Etat. A ceci près qu’un coup de force de ce type au Sénégal ferait perdre tout crédit à la CEDEAO et à la France qui tentent toujours de redorer leur blason dans une ouest-africaine qui a fini par intérioriser la prise du pouvoir par les militaires comme une condition au démantèlement de la Françafrique.