Au terme de consultations parlementaires effectuées au pas de charge, le président Michel Aoun a chargé, le lundi 26 juillet, le député et milliardaire de la ville sunnite de Tripoli (Nord du Liban) de former un nouveau gouvernement.
Michel TOUMA
Un nouveau Premier ministre a été désigné au Liban, lundi 26 juillet en début de soirée, au terme de consultations parlementaires entreprises au pas de charge tout au long de la journée par le président libanais Michel Aoun. Le choix s’est porté sur l’homme d’affaires Negib Mikati, député de Tripoli (capitale du Liban-Nord), et l’une des figures de proue de la communauté sunnite (dont doit être issu obligatoirement tout chef du gouvernement au Liban, conformément à la répartition des hautes charges de l’Etat entre les principales communautés religieuses libanaises). M. Mikati a déjà été Premier ministre en 2005 et 2011.
La Constitution libanaise prévoit que le président de la République doit entreprendre des consultations parlementaires « contraignantes » pour la désignation d’un Premier ministre et c’est la personnalité qui recueille le plus grand nombre de voix parmi les parlementaires qui est chargé de former le gouvernement. Au terme de la journée de consultations, Nagib Mikati a obtenu le soutien de 72 députés sur les 118 qui constituent actuellement le Parlement. Quarante-deux parlementaires se sont abstenus de désigner un Premier ministre soit pour marquer leurs réserves au sujet du choix de M. Mikati (position adoptée notamment par l’une des principales formations chrétiennes, le Courant patriotique libre, CPL, fondé par le président Michel Aoun et présidé par son gendre Gebrane Bassil), soit pour bien mettre en évidence leur rejet de la classe politique actuellement au pouvoir (c’est le cas de l’autre principale formation chrétienne, le parti des Forces libanaises, présidé par Samir Geagea).
La répartition des soutiens politiques
Il ressort du bilan des consultations parlementaires tenues dans la journée du lundi 26 juillet que Negib Mikati a obtenu le soutien des anciens Premiers ministres, de la principale formation sunnite (le courant du Futur de Saad Hariri), du tandem chiite (le Hezbollah pro-iranien et le mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry), du bloc parlementaire de la principale formation druze, le Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt.
Les deux principaux partis chrétiens, le CPL (courant aouniste) et les Forces libanaises, n’ont donc pas accordé leur soutien au nouveau Premier ministre désigné, mais celui-ci peut se prévaloir d’une certaine couverture chrétienne du fait de l’appui que lui ont accordé certains députés chrétiens indépendants.
En dehors des cercles politiques traditionnels, Negib Mikati ne bénéficie pas outre mesure d’un grand soutien populaire, plus particulièrement des milieux de la contestation issus de la révolte du 17 octobre 2019 qui l’accusent de corruption et lui reprochent son affairisme à grande échelle. Le nouveau Premier ministre désigné est connu en effet pour être l’une des six personnalités les plus riches du pays. Sa fortune est estimée à non moins de 3 milliards de dollars. Il a fait fortune, avec son frère Taha Mikati, dans les télécoms, non seulement au Liban, mais surtout à l’étranger, notamment en Syrie (avant les sanctions américaines) ainsi qu’en Afrique.
Les milieux de la contestation lui reprochent notamment d’avoir profité récemment de prêts au logement subventionnés, en dépit de sa fortune. Dès l’annonce d’un accord autour de sa personne pour former un nouveau gouvernement, des groupes de contestataires se sont rassemblés dimanche, 25 juillet, en soirée devant sa résidence beyrouthine pour protester contre sa désignation.
Le paramètre iranien
Pour l’heure, la grande question que se posent les Libanais et les milieux politiques locaux est de savoir si Negib Mikati parviendra à former un gouvernement ou s’il butera sur les mêmes obstacles auxquels a été confronté son prédécesseur le leader du courant du Futur Saad Hariri qui a jeté l’éponge le 15 juillet dernier après avoir tenté pendant neuf mois de mettre sur pied une équipe ministérielle (il avait été désigné Premier ministre à la fin du mois d’octobre, après la récusation d’une autre personnalité sunnite, l’ambassadeur du Liban en Allemagne, Moustapha Adib, qui lui aussi n’était pas parvenu à former un gouvernement malgré un mois de tractations intensives).
Nagib Mikati aurait-il donc davantage d’atouts en main que ses deux prédécesseurs, Saad Hariri et Moustapha Adib ? Les prochains jours, ou les prochaines semaines, permettront d’apporter des éléments de réponse à cette interrogation. A sa sortie du palais présidentiel, lundi soir, après avoir été officiellement désigné par le président Aoun, il a souligné explicitement sa volonté de former un gouvernement afin de concrétiser l’initiative française lancée le 1er septembre dernier par le président Emmanuel Macron lors de sa visite à Beyrouth, afin de paver la voie à une sortie de crise. M. Mikati a fait état dans ce contexte « d’assurances étrangères » qui l’ont poussé à relever le défi de la formation du gouvernement.
Selon certaines sources proches des milieux de l’opposition hostile à l’emprise iranienne, M. Mikati se serait donné un mois pour accomplir sa mission. La question reste de savoir si les obstacles qui ont entravé la tâche de Moustapha Adib puis de Saad Hariri sont dus à des considérations purement internes, dues à des conflits de pouvoir avec le président de la République et son camp politique (le CPL), ou si au contraire ces entraves sont le résultat d’un blocage commandité par Téhéran, via le Hezbollah.
Les sources de l’opposition affirment dans ce cadre que le différend qui a opposé Saad Hariri au président Aoun et qui a empêché, en apparence, la formation du gouvernement n’est en réalité que la partie visible de l’iceberg. La cause du blocage, croient savoir ces sources, réside dans la volonté du pouvoir des mollahs iraniens de maintenir un climat d’instabilité chronique au Liban et de contrôler de la sorte la carte libanaise – en empêchant toute médiation occidentale, notamment française – dans l’attente que se décantent les pourparlers avec les Etats-Unis sur le dossier nucléaire.
Si cette perception s’avère fondée, Negib Mikati risque fort bien d’être confronté aux mêmes difficultés que Saad Hariri et Moustapha Adib. Et par ricochet, la population libanaise continuera de subir les multiples retombées de la crise socio-économique et financière qui ébranle le pays depuis plus de deux ans.
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