Mauritanie, le régime impose un couvre feu numérique

Le lendemain de l’élection largement fraudée du candidat du pouvoir, le général Ghazouani, les autorités de Nouakchott ont coupé les réseaux sociaux pour empêcher la contestation de s’étendre.

La France s’est empressé de saluer, le mardi 25 juin, « le bon déroulement de l’élection présidentielle », intervenue « dans un climat pacifique », et « félicité » Mohamed Ould Ghazouani, le candidat du pouvoir élu dès le premier tour (1). Il est vrai que l’actuel ministre français des Affaires étrangères et ancien ministre de la Défense de François Hollande, Jean Yves Le Drian, n’a cessé depuis 2012 d’entretenir les meilleures relations avec le président sortant, Mohamed Oulld Abdel Aziz, salué comme le bon élève du G5 Sahel. Et cela malgré les petits arrangements connus de tous du président avec les groupes djihadistes. https://mondafrique.com/les-reseaux-troubles-du-pouvoir-mauritanien-au-nord-mali/

Sur place à Nouakchott, la situation est nettement moins brillante que ne le dit à Paris le Quai d’Orsay. Des centaines de manifestants ont manifesté dès le lendemain du vote. du 22 juin. Depuis, la mobilisation populaire n’a pas cessé. Dès dimanche, les autorités mauritaniennes ont coupé Internet pour tenter de limiter l’ampleur des manifestations. Leur hantise est qu’un scénario à l’algérienne commence à embraser le pays tout entier.

Les vieilles recettes

Depuis son élection de samedi, les seules réponses du candidat du pouvoir, le général Ghazouani, fort mal conseillé par son prédécesseur omniprésent, auront été une répression violente et un mutisme constant. Les rares images qui sortent de Mauritanie montrent des forces de l’ordre brutales et des manifestants à terre et inanimés.

Le lundi 24 juin, la pression est montée d’un cran encore. Le siège de campagne de Baba Hamidou Kane, un des candidats de l’opposition à l’élection présidentielle, est saccagé par la police et de nombreux militants interpellés. Dès le lendemain, les locaux des trois autres candidats de l’opposition sont également fermés, « sur ordre du gouvernement », a indiqué leur entourage à l’AFP.

Parallèlement l’ensemble des opposants candidats à la Présidentielle ont été convoqués et sermonnés au ministère de l’Intérieur. Sur le thème, « calmez vos troupes, sinon vous le paierez cher »

« La main étrangère »

Disons que le pouvoir mauritanien, pris au dépourvu par l’ampleur de la contestation, ne fait pas dans la dentelle; « Il y a une main étrangère qui est derrière ces événements », a affirmé le ministre de l’Intérieur, Ahmedou Ould Abdallah, pour expliquer l’arrestation d’une centaine d’étrangers maliens, sénégalais ou gambiens..Et d’évoquer un « plan de déstabilisation » du pays. « Nous avons arrêté des étrangers dont on ne peut expliquer la présence dans la contestation d’une élection dans un pays qui n’est pas le leur », a ajouté le ministre. 

Face à ces manoeuvres grossières, les chefs de l’opposition maintiennent des consignes de non violence. Parvenu en seconde position lors du scrutin de samedi d’après les résultats officiels, Biram Ould Dah Ould Abeid, qui mobilise les descendants d’esclaves les plus marginalisés, a demandé aux Mauritaniens de se « méfier des provocations des autorités ». Le pouvoir, a-t-il ajouté, a l’habitude d’invoquer les risques de sédition « à chaque fois qu’il est en difficulté ».

Sauve qui peut !

La coupure d’internet est en revanche une mesure inédite en Mauritanie. Au pouvoir depuis 2008, le président sortant, Mohamed Ould Andel Aziz, a tenté, depuis le printemps arabe de 2011 de présenter une façade légaliste à ses partenaires internationaux. Même si le régime a persécuté ses opposants les plus déterminés, Aziz tolérait quelques sites d’information sans grands moyens, mais indépendants, dont les animateurs étaient régulièrement poursuivis. Le régime mauritanien, ces jours ci, ne prend plus de gants.

Interrogé par des journalistes sur ces coupures, le ministre de l’Intérieur a semblé ironiser. « Vous n’avez pas d’autres moyens qu’internet pour travailler ? » a-t-il répondu, le sourire aux lèvres. 

Trois des candidats à la Présidentielle du 22 juin ont introduit un recours en annulation devant le Conseil constitutionnel. Il est vrai que cette instance est présidée par un ancien ministre de la Défense du président Aziz, qui, à priori, ne peut rien refuser au pouvoir. Encore que les exemples récents du Soudan et de l’Algérie montrent que de mobilisations populaires peuvent provoquer des retournements soudains des situations les plus acquises et provoquer quelques soudaines prises de conscience.