MAURITANIE : « ICI, ON N’A PAS DE ROUTES, PARFOIS PAS DE MAISON, MAIS ON A UNE GROSSE VOITURE »

En Mauritanie, le trafic de voitures de luxe en provenance d’Europe est monnaie courante. La ville de Nouadhibou, à la frontière avec le Sahara occidental est le point de transit entre le Maroc et l’intérieur du pays. Rencontre sur place avec un amateur de belles berlines.

Dans les rues de Nouadhibou, capitale économique de la Mauritanie au nord-ouest du pays, on ne compte plus les Jeep Cherokee, les Toyota Land Cruiser et les Mercedes LS 500. Brillantes sous le soleil, leurs carrosseries ronflantes contrastent avec le délabrement des routes et le manque d’infrastructures de la ville. Située à la frontière avec le Maroc, elle est depuis longtemps connue pour être le point d’entrée en Mauritanie d’un important trafic de voitures de luxe venues d’Europe. Devant une petite boutique non loin du port autonome qui s’ouvre sur l’Atlantique, un connaisseur nous livre son expertise.

« En Europe, une personne vend une voiture au noir à un acheteur qui veut la faire ramener à Nouadhibou. Il garde les clés et donne un double à un intermédiaire qui se charge d’acheminer le véhicule à bon port. Le vendeur déclare la voiture volée quelques mois après. Comme ça il touche l’assurance, à la cote du véhicule au moment du vol, plus la somme d’argent de la vente du véhicule. » A l’achat en Mauritanie, les voitures neuves coûtent en moyenne trois fois moins cher que le prix initial. « Une Mercedes dernier cri à 130 000 euros s’achète 40 000 euros ici. »

Interrogé sur les contrôles, l’habitué précise : « Interpol peut retrouver dans ses fichiers tout véhicule déclaré volé. Même si on change la plaque d’immatriculation c’est difficile et trop coûteux d’enlever le numéro de châssis ou le numéro de moteur. Mais en général ce n’est pas un problème car la majorité des signalements n’arrivent en Mauritanie que plusieurs semaines après la déclaration de vol par leurs propriétaires qui sont souvent eux-mêmes dans le coup. Entre temps, les nouveaux acquéreurs ont souvent revendu leur véhicule ici ou dans un pays voisin. En fait, ce n’est pas vraiment du vol, plutôt de la magouille entre propriétaire et acheteur. » Depuis quelques années, les plaintes répétées de l’Europe ont un peu renforcé les mesures de contrôle à la frontière entre la Mauritanie et le Maroc, non sans générer quelques désagréments lors des déplacements des personnes. « Avant, affirme notre expert, de nombreux touristes ou personnels d’ONG pouvaient venir jusqu’ici avec une voiture et la vendre avant de repartir en avion. Maintenant, les douaniers font signer un engagement sur l’honneur à repartir avec la voiture. Et c’est estampillé sur les passeports. A plusieurs reprises on m’a moi-même empêché de prendre l’avion à cause de ce tampon. »

Malgré ces mesures, le trafic de véhicule reste cependant monnaie courante en Mauritanie et tire aujourd’hui de nombreux avantages de l’accès ouvert à certaines technologies. Plusieurs outils permettent en effet aux traficants de mieux brouiller les pistes. « On achète ce qui s’appelle un «outil de diagnostic ou OBD vendu aujourd’hui sur internet. Il s’agit d’un logiciel et d’un boitier qui permet de relier un ordinateur à la voiture. Avec ça, on scanne toutes les informations que la voiture a dans le ventre. Comme nous, quand on va chez le médecin » plaisante l’interlocuteur. « A partir de là, on modifie des informations. On peut modifier certains paramètres inscrits dans les systèmes électroniques des voitures comme par exemple le kilométrage ou les options de sécurité. On peut même désactiver le GPS pour ne pas être suivi. » Une petite révolution qui, explique-t-il, évite quelques tracasseries : « il y a un an, un russe qui vit à Nouadhibou se rendait à Nouakchott en voiture. Le véhicule a été stoppé en plein désert par satellite à travers le GPS qui était doté d’un système antivol. Maintenant avec les outils OBD, on peut éviter ça. Un bon diagnostic coûte environ 3000 euros ». A Nouadhibou où la grande majorité des individus ne peut se permettre une telle dépense, des personnes mettent leurs économies en commun pour s’acheter cet outil. « On partage l’investissement de départ… et les gains à la fin. »

Sur le boulevard maritime, artère principale de la ville, le va-et-vient des voitures soulève un nuage de poussière. Le sourire en coin, notre connaisseur conclut : « Ici, on a pas de routes, parfois pas de maison, mais on a une grosse voiture. »