Mali, le décès de l’ex président Moussa Traore

Moussa Traore, dictateur implacable à la tête du Mali de 1968 à 1991, est décédé 

Du Guinéen Moussa Dadis Camara au Tchadien Hissène Habré, les procès contre les ex chef d’Etat africains pour les crimes commis sous leur règne sont désormais courants. La longue histoire de ces « Nuremberg » à l’Africaine conduits tantôt sur le territoire national, tantôt dans un autre pays, puisent leurs racines dans plusieurs jugements précurseurs. Celui du général Moussa Traoré, dictateur inflexible qui régna d’une main de fer sur le Mali de 1968 à 1991 en est l’un des plus emblématiques.PUBLICITÉ

Premier chef d’Etat africain a être jugé dans son pays en 1992 pour avoir réprimé dans le sang les manifestations contre son pouvoir en 1991, « le cas Moussa Traoré » a fait des petits sur tout le continent. Sa trajectoire d’homme politique, elle, reste toutefois sans pareil. Condmané à mort, puis à la prison à vie, finalement grâcié et aujourd’hui réhabilité sous les bienveillantes auspices d’Ibrahim Boubacar Keïta, l’issue de son jugement est à l’image de sa vie : éclatée et plurielle.

« Mister 90 % »

Ancien de l’armée française formé à l’école d’officiers de Fréjus, Moussa Traoré s’est hissé au sommet de l’Etat malien comme il s’en est allé : par la force. Du coup d’Etat au coup d’Etat, la violence qui a marqué le Mali sous ces vingt-trois années de règne est ancrée dans toutes les mémoires avec son lot de détails sordides. Dans le pays, rares sont ceux qui n’ont pas gardé en tête le récit d’un proche réprimé, emprisonné, torturé. « A l’époque, c’était la mode de l’électrocution par l’eau » rit jaune un ancien opposant.

Lorsqu’il accède au pouvoir en novembre 1968 après le coup d’Etat mené par un groupe d’officiers, le jeune lieutenant encore inconnu a pourtant déjà une réputation de dur à cuire. Sur les images d’archives, son souffle scandé par un léger bégaiement rythme étrangement ses paroles à la façon d’un pas de bottes. Grand, le dos droit et le regard fixe, son personnage inspire l’autorité et incarne au mieux l’ordre souverain dont il prône le retour après des années de régime « socialiste ».

Son prédécesseur, le père de l’indépendance, Modibo Keïta, avait en effet choisi de placer Bamako dans l’orbite de l’URSS qui soutient le développement du pays à travers une politique de collectivissation des campagnes et de nationalisation de l’économie. Très vite, le pays enclavé souffre d’importantes pénuries et le régime est critiqué pour son dirigisme.

A peine son uniforme troqué contre un boubou présidentiel, Moussa Traoré s’applique donc à démanteler l’économie socialiste à la faveur d’un modèle libéral. Pour s’assurer le soutien d’une population composée à 90% de paysans, le régime supprime les terres collectives et autorise la vente libre des produits agricoles. Il remodèle les entreprises d’Etat jugées trop coûteuses et atténue la pression fiscale. Les réformes sociales ne suivent pas. Proclamant, dans des discours emportés, l’instauration de la démocratie, il met en place le parti unique et un régime autoritaire qui réprime durement toutes manifestations. Un système vérouillé qui lui assure une large victoire à chaque nouveau scrutin. « C’était Mister 90%, à tous les coups ! » plaisante le même opposant.

Sur le plan extérieur, son règne est marqué par le litige frontalier qui l’oppose au Burkina Faso de Thomas Sankara. Aux tensions idéologiques entre les deux chefs d’Etat – Thomas Sankara — s’ajoutent d’anciences velléités territoriales sur « la bande d’Agacher », un territoire riche en gaz et minerais situé entre le nord du Burkina et l’est du Mali. Lorsque fin 1985, les autorités burkinabé organisent un recensement qui s’étend jusqu’aux limites d’une zone peule que le gouvernement malien considère comme faisant partie de son territoire, Moussa Traoré déclenche l’offensive armée. La réconciliation sera scellée à Yamoussoukro autour du président ivoirien Félix Houphouët au terme de négociations qui aboutissent au partage du territoire disputé en deux parties.

Condamnations

Au début des années 1990, le régime Traoré bat de l’aile. La corruption a atteint d’énormes proportions. Dans l’ombre de son mari, l’épouse du président, Mariam, gère les affaires familiale avec brio. En mettant en place un vaste réseau de sociétés confiées à des prêtes-noms, elle assure à ses proches le contrôle de plusieurs marchés publics. Lors de son procès, Moussa Traoré sera accusé d’avoir détourné près de 2 milliards de dollars d’argent public sur des comptes personnels basés en Suisse.

Lors de 16e conférence des chefs d’État d’Afrique et de France de 1990, le président malien reçoit de plein fouet le discours de François Mitterrand qui conditionne l’aide versée par la France aux pays africains au respect des principes démocratiques.

Peine perdue. A la grogne populaire contre les dirigeants maliens s’ajoute un creusement des inégalités sous la pression des politiques d’ajustement structurel de la Banque Mondiale. L’atmosphère déjà électrique finit par exploser en 1991 lorsque Moussa Traoré donne l’ordre à l’armée de tirer sur une foule de jeunes manifestants dans les rues de Bamako. Plus de 200 personnes meurent sous les rafales de balles. Emmené par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT), un groupe de militaires mécontents se soulève contre Moussa Traoré contraint de quitter le pouvoir.

Après deux ans d’emprisonnement dans la prison de Markala au nord du pays, l’ex homme fort du Mali devient, en 1992, le premier chef d’Etat africain porté devant la justice de son pays. Accusé de « crimes de sang » contre plus de 200 personnes, Moussa Traoré est condamné à la peine capitale. Sa peine sera commuée en prison à perpétuité, puis il sera gracié par son successeur, Alpha Oumar Konaré, qui s’oppose à la peine de mort.

Retour en grâce

Après plusieurs années de retraite discrète et paisible dans sa résidence du quartier bamakois Djikoroni-Para, l’ancien président que de nombreux maliens qualifient encore aujourd’hui de « dictateur sanguinaire » ne s’imaginait pas lui-même entamer (encore) une nouvelle phase de vie. Celle de la réhabilitation. Face au marasme sécuritaire du pays depuis 2012, Moussa Traoré et certains de ses anciens lieutenants font un étonnant retour en grâce.

Dans un article publié sur Slate Afrique en 2013, le journaliste Fabien Offner relève que le régime de transition de Diocounda Traoré mis en place au printemps 2012 a ramené au poste de premier ministre, Cheikh Modibo Diarra, le gendre de Moussa Traoré remplacé sept mois plus tard par.. Diango Sissoko, l’ancien secrétaire général de la présidence sous la dictature. Plusieurs signes avant-coureurs qui ouvraient la brèche à une réhabilitation similaire pour Moussa Traoré lui-même.

En réalité, c’est une véritable consécration que lui assure l’arrivée au pouvoir en 2013 du nouveau président Ibrahim Boubacar Keïta. Invité d’honneur à sa cérémonie d’investiture, Moussa Traoré se verra qualifié de « grand républicain » par le nouvel homme fort du Mali qui débute son allocution en lui rendant hommage. Parmis les membres de la société civile, la démarche provoque la gêne, parfois l’indignation. Fatigué du chaos qui mine toujours le pays après trois années d’une crise éprouvante, Bamako aurait-elle le syndrome du « c’était mieux avant » ?