Liban, l’escalade politique du Hezbollah

La tension suscitée par le parti pro-iranien s’est accentuée ces deux derniers jours au Liban: rassemblements de protestation, fermetures de certains axes routiers, déclarations fracassantes.

Un article de Michel TOUMA

Le Liban est-il le deuxième champ de confrontation auquel l’Iran, via le Hezbollah libanais pro-iranien, a recours dans son escalade actuelle face à l’Occident et aux pays du Golfe ? Après les attaques aux missiles et aux drones lancées la semaine dernière par la milice yéménite des houthis (proche de Téhéran) contre l’Arabie Saoudite, et après l’attentat contre un navire saoudien dans les eaux du Golfe perpétré à la fin de la semaine par les Gardiens de la Révolution iranienne, le Hezbollah se livre depuis quelques jours au Liban à une escalade politique, médiatique et sécuritaire.

Le déclic, ou plutôt le prétexte, de cette escalade est la position adoptée par le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, qui prône avec insistance l’adoption d’un statut de neutralité pour le Liban, le désengagement de tous les conflits régionaux, et la tenue d’une conférence internationale afin de consacrer ce statut de neutralité et de placer le Liban sur la voie d’une stabilité durable. Le Hezbollah n’a pas tardé à monter au créneau et mène sur ce plan une virulente campagne contre le patriarche.

Un discours fondateur

Cette tension s’est aggravée samedi dernier à la suite de l’important meeting populaire de soutien aux positions du patriarche, tenu dans la grande place du siège du patriarcat maronite, à Bkerké (au nord de Beyrouth). Au cours de ce rassemblement, qui a regroupé non moins de 15 000 personnes, le cardinal Raï a prononcé un discours historique et fondateur, dans lequel il a appelé les Libanais à rejeter « les armes illégales » et non libanaises (allusion évidente à l’arsenal du Hezbollah), stigmatisant dans ce cadre « l’existence de deux armées, de deux Etats », du fait de la présence prépondérante de la milice du Hezbollah.

Dénonçant le diktat imposé par le parti chiite sur le pouvoir libanais et les principales institutions constitutionnelles, le patriarche Raï a déclaré qu’après avoir « libéré le territoire, nous devons maintenant libérer l’Etat ». Le prélat maronite a été jusqu’à souligner que le pays fait face à « une situation semblable à un coup d’Etat visant à contrôler le pouvoir et à saper ce qui fait la spécificité de la société libanaise en Orient ».

Et d’ajouter : « Le non- respect par l’Etat, ou par une quelconque faction, de la politique de neutralité est la cause principale de toutes les crises et les guerres auxquelles a été confronté le Liban. L’histoire, passée et récente, a prouvé que chaque fois qu’une faction prenait partie pour un axe régional ou international, cela provoquait des dissensions au sein de la population, la formule libanaise (de coexistence intercommunautaire) était ébranlée, et des conflits armés éclataient. L’essence même de l’entité libanaise est la neutralité », a ajouté le patriarche qui a insisté sur l’importance d’une conférence internationale afin de stabiliser de manière durable le Liban. Le meeting était ponctué de slogans lancés par la foule, accusant le Hezbollah de terrorisme et appelant à mettre fin à l’influence iranienne dans le pays.

Le discours du patriarche a provoqué l’ire du Hezbollah, et pour cause : un statut de neutralité du Liban va à l’encontre du rôle central joué par ce parti pro-iranien dans la stratégie régionale des Gardiens de la Révolution iranienne (Pasdarans). D’où la campagne politique et médiatique fiévreuse menée contre le patriarche. Ces attaques s’accompagnent depuis samedi après-midi de rassemblements de protestation organisés par des partisans du Hezbollah dans des quartiers contrôlés par le parti pro-iranien et par la fermeture de certaines routes au moyen de pneus enflammés.

La « souveraineté nationale » en jeu

Cette tension s’est poursuivie dimanche soir, faisant craindre un dérapage, parallèlement à une escalade dans la campagne politique et médiatique, le Hezbollah affirmant qu’une conférence internationale serait « une atteinte à la souveraineté nationale ».