L’attaque djihadiste, ce lundi 7 mars, contre la ville de Ben Guardane sonne comme une déclaration de guerre à la Tunisie
Les quelques milliers de djihadistes, dont de nombreux tunisiens, qui ont élu domicile dans des camps situés dans l’Ouest libyen à Darna, Syrte et Sabratha inquiétent sérieusement les diplomates occidentaux en poste à Tunis. En une semaine, deux attaques, dont la dernière le lundi 7 mars, se sont produites contre les casernes de Ben Guardane, à quelques kilomètres de la frontière libyenne. Le début d’une offensive générale ? Beaucoup à Tunis le craignent. « Ces attaques, tranche un observateur occidental, en annoncent d’autres ».
Cette fois, le pire a été évité. L’attaque de la semaine dernière avait déjà été être anéantie sans trop de pertes. Ce lundi 7 mars, les quelques dizaines de djihadistes qui ont lancé une double offensive, à cinq heures du matin puis neuf heures du matin, ont pu être refoulés. « Les forces de sécurité –l’armée, la Garde nationale et la police-, note une source sécuritaire tunisienne, ont réagi avec une grande cohésion ». On comptera une trentaine de victimes, essentiellement parmi les assaillants; sept d’entre eux ont pu être arrêtés.
Le pire à venir?
Toujours d’après des sources tunisiennes proches du ministère de l’Intérieur, le scénario initial était autrement plus inquiétant. Deux cent à trois cent djihadistes devaient attaquer les casernes de Ben Guardane, prendre position de la ville, instaurer l’Etat Islamique et poursuivre leur progression vers le sud tunisien. « Seul le raid aérien américain de février, qui a décapité le mouvement en tuant une quarantaine de leurs responsables, note un haut cadre sécuritaire, a évité une attaque trop massive ».
De source diplomatique, on apprend que les dispositifs de sécurité ont du être considérablement renforcés autour de la base aéro navale de Bizerte. Des renforts ont du être envoyés également pour protéger les régiments de Ramada, la véritable porte vers le Sahara et depuis toujours un haut lieu stratégique à une centaine de kilomètres de la Libye. Sous Bourguiba, l’armée avait installé un corps d’élite, le régiment territorial saharien.
Désormais bien équipés dans leurs camps retranchés de Syrte, de Darna et de Sabratha, les commandos de l’Etat islamique semblent décider à porter des coups au cœur du système tunisien. En face, les forces sécuritaires ne semblent pas en ordre de marche. Lors d’un voyage à Tunis voici quelque smogs, le ministre français de la Défense, Jean Yves Le Drian s’était plaint de l’absence de coopération de ses interlocuteurs tunisiens. Des diplomates américains regrettent en privé « le manque de coopération » de l’administration tunisienne, notamment en matière de renseignement.
Place au trabendo-terrorisme
Tous les regards se tournent naturellement vers l’Etat Islamique, qui à force d’être diabolisé, masque parfois l’essentiel. A savoir que les terroristes sont désormais comme des poissons dans l’eau dans une économie tunisienne grise qui a gangrené des pans entiers de l’activité économique: le ciment, le fer, le pétrole, l’essence, l’agro alimentaire. Les promoteurs de ce trabendo-salafisme, comme l’avait baptisé le chercheur Michael Ayari d’International Crisis, qui fait vivre plus d’un million de tunisiens, a tout intérêt à entretenir un certain désordre aux frontières.
Ces caïds locaux sont adossés à des cartels plus vastes, qui ont passé des arrangements financiers douteux avec la classe dirigeante. Ainsi un immense trafic de cigarettes s’étend depuis le Mali et la Libye vers la Tunisie, avec la complicité, dit-on à Tunis, d’une partie de l’appareil de l’UGTT. Le trafic d’essence, qui fait vivre des dizaines de milliers de revendeurs sur les routes qui vont vers les frontières, est contrôlé, lui aussi, par des hommes d’affaires corrompus, propriétaires des camionnettes bachées entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye.
« Monsieur Banane »
Le plus célèbre de ces affairistes malfaisants est l’ancien chaouch de la famille Trabelsi, Rafik Jarraya, surnommé autrefois « Monsieur banane », parce que connu pour faire de juteux trafics avec la Libye de Khadafi.
Au mieux successivement avec les islamistes tunisiens au pouvoir en 2012 et 2013, puis aujourd’hui avec le propre fils du Président de la République, Hafedh Caïd Essebsi, avec qui il boit le café chaque matin dans le quartier du Lac à Tunis, cet homme d’affaires visiblement consensuel et généreux fait la pluie et le beau temps.
Quel intérêt aurait-il à sécuriser la frontière algérienne ? Aucun. Au mieux avec les milices islamistes de Tripoli, qui contrôlent une partie des frontières et capable de trouver des arrangements avec une administration des douanes corrompue, monsieur Banane représente, pour le pire, la Tunisie de l’après Révolution. Sur fond de complicité d’une partie de la classe politique.
Avec l’Etat Islamique aux portes de la Tunise, le sort des Jarraya et consorts ne doit pas tarder à être réglé par le pouvoir politique tunisien s’il veut sauver la transition démocratique en marche.
A revoir, le documentaire « Tunisie, la transition inachevée » qui nous emmène sur les traces du « trabendo-salafisme » qui mine le pays.