Annoncé le 6 janvier, le remaniement ministériel qui consacre l’influence d’Ennahda n’apportera pas de solutions de long terme aux défis économiques et sécuritaires sans précédent auxquels se confronte le pays.
Des partis discrédités
Et pour cause. Le dernier sondage crédible, effectué par l’université de Maryland sur un échantillon de 3070 personnes, a rendu un verdict clair et sans appel. 82% des tunisiens ont une totale confiance en leur armée alors qu’ils ne sont que 22% à faire confiance aux partis politiques.
Il faut dire que le spectacle que leur offre le premier parti politique du pays, Nida Tounes, est plutôt désolant. Fondé de bric et de broc par Beji Caied Esssbsi pour en faire essentiellement un instrument d’accession au pouvoir, le parti s’est fourvoyé depuis l’été dans une piste de dislocation progressive sous l’effet d’une féroce lutte fratricide entre le fils génétique du président (Hafdeh) et son « fils politique » et ancien conseiller à la présidence de la république, Marzouk. Résultat des courses : mercredi 6 janvier, ce dernier a annoncé son irrévocable décision de créer un nouveau parti politique, à trois jours seulement des assises du premier congrès de Nida que ses organisateurs, sous l’impulsion directe d’un président de la république qui, selon les termes de la constitution, devait se situer au-dessus des partis, ont voulu consensuel et non électif.
Bref c’en est fini de la cohésion et de la suffisance du parti du président. Ce qui a du approfondir la défiance des tunisiens ce ne serait pas tant ces querelles en elles mêmes, communes à tous les partis politiques du monde, que l’absence tragique, derrière ces querelles, de tout débat de fond ou d’idées. Ce ne seraient à leurs yeux que des affrontements, de niveau médiocre sinon bas, d’egos surdimensionnés. Ce qui transparait nettement à travers un autre sondage tout autant crédible de Sigma Conseil qui révèle que le plus populaire des ministres ne recueille qu’un pauvre pourcentage de 25% de satisfaction.
Une économie plombée
Autre motif de désenchantement des tunisiens à quelques jours du cinquième anniversaire de la « révolution du jasmin » : la détérioration visible à l’oeil nu de leur pouvoir d’achat. Il est désormais acquis, selon les statistiques officielles, que près de 25% d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, alors que la classe moyenne, corps hypertrophié de la pyramide salariale, se rétrécit de plus en plus rejoignant subrepticement le peloton du bas du tableau. Et le budget de l’état pour 2016 ne semble pas pouvoir redresser ce déséquilibre de sitôt. Un budget qui aura révélé un grand souci de l’état : arracher de partout de quoi financer ses charges.
Celles-ci sont relativement colossales tandis que les recettes sont d’autant plus avares que, une nouvelle fois, la Tunisie devra avoir recours et à l’indulgence du FMI et à la sollicitude du marché financier international lequel n’a manifesté jusqu’à ce jour aucune intention sérieuse de prêt en faveur de la Tunisie. Les agences de notation continuant à lui distribuer des notes peu flatteuses.
Menace sécuritaire
Pour compléter le tableau qui, il faut le dire, n’a rien de réjouissant, les tunisiens doivent encore vivre les affres d’un terrorisme « daechien » qui, venant de la Libye voisine, frappe à leur porte. Encore traumatisés par les attentas du Bardo et de Sousse qui ont condamné pour longtemps encore l’activité touristique frappée de sinistrose, les Tunisiens sont en train de s’habituer à vivre avec.
Le remaniement ministériel opéré le même mercredi va-t-il pouvoir insuffler aux tunisiens la dose de foi et d’optimise qui leur manque ? Difficile à dire, tant les équilibres politiques fondamentaux construits autour de l’axe stratégique entre le parti islamiste Ennhadha et le parti du président, ont été maintenu. Comme l’a révélé « Maghreb-Afrique confidentiel », trois ministres de souveraineté ont quitté le gouvernement : le ministre des affaires étrangères Taieb Baccouche, le ministre de l’intérieur Najem Gharsalli et le ministre de la justice Farhat Horchani. Un jeu de chaises musicales. Pas plus. Les orientations politiques majeures ne changent pas. Deux vieux cheikhs (Ghanouchi qui garde la main sur l’intérieur et la justice et Essebsi qui garde la main sur la défense et les affaires etrangeres) continuent d’en tracer les lignes. Quant aux tunisiens, ils peuvent toujours se consoler avec leur prix Nobel.