Législatives Côte d’Ivoire, l’axe Bédié/Gbagbo menace le président Ouattara

Les deux poids lourds de l’opposition, les anciens présidents Bédié et Gbagbo, très largement majoritaires, ont trouvé des accords dans la plupart des circonscriptions pour les élections législatives qui ont lieu le samedi 6 mars. Une première en Côte d’Ivoire qui pourrait ouvrir sur une cohabitation inédite. 

 
Les élections législatives sont une partie difficile à jouer pour le président Ouattara dans une Afrique de l’Ouest qui doit compter désormais avec l’acteur incontournable qu’est devenu le peuple mobilisé.Inédite dans l’histoire de ce pays depuis l’avènement du multipartisme en 1990, l’accord entre le PDCI de Bédié et le FPI de Gbagbo aurait largement de quoi bouleverser le rapport de forces politiques en Côte d’Ivoire. Arithmétiquement, cette alliance représente en effet une large majorité sociologique, le FPI pro-Gbagbo, deuxième parti ivoirien, s’étant allié au premier, l’ancien parti unique, le PDCI-RDA, fondé par Félix Houphouët-Boigny, le « père de la nation » ivoirienne.

De telles alliances électorales lors de scrutins législatifs ne sont pas légion ailleurs dans le monde. En Côte d’Ivoire, l’alliance Bédié-Gbagbo est présentée dans 218 des 255 circonscriptions à pourvoir lors de ce scrutin. Situées dans le nord du pays, les 37 autres ont été taillées sur mesure pour le RHDP, la coalition pro-Ouattara qui regroupe le RDR de l’actuel président et plusieurs micro-partis.

Simone Ehivet Gbagbo rencontre Henriette Bédié à son domicile à Cocody, dans l’Est d’Abidjan,

« L’union pour réconcilier les Ivoiriens »

Selon un document interne à cette alliance que Mondafrique s’est procuré (voir sa publication ci dessous), cette alliance présentera :

  • 128 candidats uniques aux deux partis sous la bannière « Union pour réconcilier les Ivoiriens»,
  • 32 candidats du PDCI sans la concurrence de candidat pro-Gbagbo dans la même circonscription,
  • 29 candidats pro-Gbagbo sans la concurrence de candidat du PDCI dans la même circonscription.

A ce stade, le PDCI le FPI pro-Gbagbo aligneront ensemble 189 candidats, alors que la  majorité absolue à l’Assemblée nationale est de 128 sièges, soit un taux d’accord locaux de plus de 86,7%. Dans les 30 circonscriptions restantes, les discussions entre les formations n’ont pas (encore ?) abouti.

Le pouvoir ivoirien, entre démocratie et dictature, tente de gérer « la zone grise » des scrutins électoraux face à une opposition unie, des partenaires internationaux lassés, un lobbying actif des ONG et surtout des mobilisations populaires massives. 

Affi N’Guessan, « le traitre »

Depuis la chute de leur héros le 11 avril 2011, les électeurs pro-Gbagbo ont boycotté tous les scrutins. En 2014, une dissidence menée par Pascal Affi N’Guessan, ancien Premier ministre de Gbagbo, dit « Affi », a bien failli fracturer le FPI, le très socialiste Front populaire ivoirien fondé par Laurent Gbagbo.

Cette fronde, qui arrangeait au mieux les affaires d’Alassane Ouattara et, partant, de la France, a fait long feu et a valu à son chef Affi N’Guessan une solide réputation de « traître » aux yeux de la majorité des pro-Gbagbo.

Le 6 mars, « Affi » va donc aligner ses candidats pour tenter de faire mieux que son score de… 3 députés sortants (dont lui-même), le FPI officiel (reconnu comme tel par la justice ivoirienne) s’alignant avec le logo historique du parti ; ceux de Gbagbo se présenteront sous la bannière de la plate-forme EDS (Ensemble pour la démocratie et la souveraineté).

L’enjeu de la participation

Si les partisans de Gbagbo se mobilisent en masse lors de ces législatives, leurs suffrages, ajoutés à ceux du PDCI, ouvriraient de larges perspectives à l’alliance. Mais l’exécutif ivoirien, qui contrôle toujours la commission électorale, le Conseil constitutionnel, l’administration, l’armée, la gendarmerie et la police, ne reculera à l’évidence devant rien pour éviter une cohabitation à l’ivoirienne, et retardera sans doute le retour à domicile de Gbagbo.

Car c’est lui désormais le héros de la jeunesse africaine, et pas seulement ivoirienne. Voilà maintenant plus de deux ans que l’ex-prisonnier de Scheveningen a été innocenté par la Cour pénale internationale, et plus de deux mois que l’exécutif ivoirien lui a remis deux passeports, dont un diplomatique. Mais deux ans après son fiasco, la procureur de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, ne s’est toujours pas décidée à faire appel ou non de l’acquittement de son plus illustre ex-prisonnier en première instance.

Un milicien (un Microbe, comme dise les Ivoiriens) a été filmé en train de shooter dans la tête d’un manifestant à SDaoukro

Un opposant décapité

De quoi arranger les affaires d’Alassane Ouattara, réélu il y a quatre mois, avec un score soviétique de 94% des voix, pour un troisième mandat contre lequel la totalité de l’opposition s’est dressée, le jugeant « illégal, illégitime et anticonstitutionnel », à l’issue d’une campagne électorale marquée par un vaste (et vain) mouvement de désobéissance civile pour faire barrage à Ouattara. Bilan officiel, 85 morts.

Ces violences pré et post électorales ont culminé début novembre quand un milicien (un Microbe, comme dise les Ivoiriens) a été filmé en train de shooter dans la tête d’un manifestant que lui et ses acolytes venaient de décapiter à la machette ! La video, depuis, a été authentifiée comme ayant bien été filmée à Daoukro, fief de Bédié. Mondafrique s’est refusé pour l’instant à diffuser ces images.,tout en n’aynat jamais cessé de dénoncer la nature répressive du pouvoir ivoirien

Mais à Paris, le ton a changé, et Ouattara n’a plus de chèque en blanc. Mise devant le fait accompli lors de l’élection présidentielle ivoirienne d’octobre 2020, la France, de mauvaise grâce, a fini par renouveler son soutien au président sortant. « Il n’y avait pas, a déclaré Emmanuel Macron à Jeune Afrique,  d’autre solution ».

L’alliance Bédié-Gbagbo pourrait bien bousculer, ce samedi, les petits arrangements entre Paris et Abidjan

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)